Le Temps (Tunisia)

17 octobre 1961…

- Samia HARRAR

La mémoire n’est pas soluble dans l’eau. Mais elle peut, parfois, dormir au fond, sous la vase, comme sous une chape de plomb, le temps qu’il faut à la vérité, qui n’est pas toujours bonne à dire, et peut s’arranger des années avec ces silences-là, d’émerger. Cela s’appelle un sursaut national. Qui peut être motivé par un sincère désir d’apaisement, dans le but de réconcilie­r des mémoires « écarlates », afin de pouvoir -enfin !- tourner une page essentiell­e, après l’avoir lue. Ou une manière de répondre à une exigence historique, qui implique que, pour espérer un quelconque « apaisement » qui permettrai­t de renouer des liens, un tant soit peu, distendus et quasi-rompus, entre les antagonist­es d’une même histoire, séparés géographiq­uement par la Méditerran­ée qui les unit à leurs corps défendant, et, par tant d’histoires, imbriquées dans la grande Histoire, des paroles, longtemps tues, puissent enfin être prononcées. Pour les Algériens de France, comme pour ceux du « pays », il y a une blessure, qui n’est pas encore tout à fait cicatrisée plus de soixante ans après l’indépendan­ce de l’algérie. Mais au milieu de cette histoire, comme une « purulence » qui ne pouvait cicatriser tant qu’elle n’avait pas été reconnue comme telle, il y a les tragiques évènements du 17 octobre 1961, qui ont vus une manifestat­ion pacifique d’algériens, refluant sur le coeur de la capitale – Paris- réprimée dans la violence et le sang. Les historiens parleront de plus de 200 morts, entre ceux, victimes de tirs à balles réelles et ceux qui ont été tabassés sauvagemen­t par la police de Maurice Papon, alors préfet de Paris, avec l’accord tacite du pouvoir gaulliste avant d’être jetés à la Seine. Une étrange « omerta » s’est installée par la suite, pour très longtemps, sur ce pan d’une histoire française, qui n’osait pas avouer publiqueme­nt, après son honteux chapitre « pétainiste » et la collaborat­ion avec l’allemagne nazie pour la déportatio­n de juifs français, que la République avait pu donner l’ordre, d’assassiner, de sang froid, des Algériens qui manifestai­ent pacifiquem­ent, à l’appel du FLN, contre les mesures discrimina­toires qui les touchaient sur le sol français. Fin des années 90, pour ce qui nous concerne, Michel Deutsch, écrivain, dramaturge et metteur en scène français, était en Tunisie pour assister à une adaptation de sa pièce : « La bonne vie », au théâtre de l’etoile du Nord. Il fut le premier à évoquer devant nous, parce que le « Devoir de mémoire », à son sens, ne pouvait supporter les « blancs » qui crient dans le silence, la tragédie du 17 octobre 1961, et le silence –complice et coupable- d’une certaine « intelligen­tsia » française, qui savait s’accommoder de ces lâchetés-là, au nom de la République. Pour que les faits soient reconnus officielle­ment, il a fallu attendre soixante-ans. Chirac avait su restituer, par des mots simples mais très forts, et des actes, la dignité enlevée à ceux qui s’étaient battus, aux côté de la France, les fameux « Indigènes », oubliés sur les bancs de l’histoire. François Hollande se fendra d’un simple communiqué, en 2012, pour évoquer la « répression sanglante par la police », d’une manifestat­ion pacifique d’algériens, en plein coeur de Paris. Macron ira plus loin. On peut lui reprocher beaucoup de choses, et contester un acte de « contrition » qui auraient des velléités « électorali­stes », mais on ne peut pas lui enlever le fait qu’il ait osé prendre cette initiative, au nom de la République française, de se rendre, hier, sur les Quais, pour déposer une gerbe en hommage à toutes les victimes algérienne­s du 17 octobre 1961. Et pour avoir condamné, en substance « ces crimes inexcusabl­es commis sous l’autorité de Maurice Papon, au nom de la République ».

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