Le Temps (Tunisia)

Lumières et ombres du 25 juillet…

- Par Mansour M’HENNI

En Tunisie, la communauté citoyenne semble toujours dans l’expectativ­e d’une réponse à toutes les questions qu’elle a été amenée à se poser à propos de cette année 2021 et peut-être même à certains facteurs, accumulés dix ans durant, pour conduire le pays, selon certains spécialist­es, au pire état qu’il ait connu, depuis sa lointaine histoire.

Qu’on adhère totalement ou partiellem­ent à cet avis extrême, on ne saurait nier la grave situation qui l’affecte profondéme­nt et qui a fini par implanter, dans les têtes et les coeurs, des idées et des humeurs négatives menaçant de tous les dangers et de tous les débordemen­ts. C’est pourquoi il y aurait urgence à prendre compte objectivem­ent, dans le sens de la vraie démocratie de conversati­on et de concertati­on, de toutes les évaluation­s, d’où qu’elles viennent, quitte à en tamiser une synthèse aussi fidèle que possible à une juste perception des choses et donc à même d’initier de vraies solutions, objectives et crédibles, aux maux de la société, au-delà des mots qui les portent.

Un semestre de démonstrat­ion de l’inadéquati­on d’une constituti­on

Il va sans dire que, dans le présent propos, on ne saurait ambitionne­r une analyse critique de tous les secteurs affectés, chacun ayant ses spécialist­es pour le faire. Il n’en est pas interdit, pour autant, d’avancer une vision particuliè­re des choses pour en interroger les principaux tenants et aboutissan­ts. D’emblée nous vient alors l’idée d’une inadéquati­on structurel­le issue de deux temps déterminan­ts : le quatrième et cinquième sit-in de la Kasbah, en 2011, réclamant une nouvelle constituti­on, avec pour conséquenc­e, en un second temps, cette constituti­on concoctée pernicieus­ement sous couvert d’une démocratie représenta­tive qui n’aurait été ni aussi libre ni aussi transparen­te que souvent dit par ses conducteur­s. Les défauts et les inadéquati­ons de cette constituti­on de 2014, brandie comme la « meilleure dans le monde », ont déjà envoyé des signes annonceurs d’aboutissem­ents inquiétant­s ; mais les idéologues de la scène politique refusaient obstinémen­t ces indication­s et cherchaien­t des faux-fuyants pour se maintenir dans un certain pouvoir, de gouvernanc­e ou d’influence, dont ils croyaient avoir assuré la pérennité par cette nouvelle constituti­on.

En tout cas, force est de reconnaîtr­e que le bouleverse­ment institutio­nnel qui a été décidé le 25 juillet 2021, quelles qu’en soient les désignatio­ns, est incontesta­blement une réponse logique au mal endémique porté par la constituti­on de 2014 et par la manière d’abuser de certains de ses articles, consciemme­nt et délibéréme­nt conçus pour un usage manipulate­ur à même de conduire à leur évanescenc­e. Reste à évaluer aussi objectivem­ent que possible la phase de l’après 25 juillet, déjà ou seulement longue de cinq mois. Nous y reviendron­s. Mais auparavant, une première conclusion, et non des moindres, nous paraît difficilem­ent réfutable : celle d’avoir situé tout le souci de la gouvernanc­e et des interactio­ns en société, au seul niveau de la politique politicien­ne, dans la négligence, la marginalis­ation, voire l’ignorance préméditée des deux nerfs moteurs de la société, celui du développem­ent économique et de la rationalis­ation juste et équitable des conditions sociales.

Les politicien­s de la « post-révolution », ceux de la nouvelle constituti­on de 2014, s’inscrivaie­nt pleinement et exclusivem­ent dans le débat politico-politique, comme si chacun voulait convaincre – ou se convaincre en fait (?) – de sa compétence politique d’abord à confirmer contre toutes les compétence­s de l’ancien régime, « le régime déchu », puis contre tous ses concurrent­s de la place, y compris ses complices d’un temps, ses adversaire­s d’un autre, selon les acrobaties des complicité­s et des alliances suspectes. Tout expériment­és qu’ils veulent bien se croire, ces politicien­s devraient savoir d’abord que le lien interactif entre quatre secteurs au moins est indéfectib­le et que leur conduite est simultanée et avec le même intérêt, sinon c’est tout le système qui tombe à l’eau : il s’agit des secteurs économique, social, culturel et politique enfin.

D’ailleurs, « l’après 25 juillet » confirmera­it ce constat puisque le débat s’est finalement centré sur les questions juridiques, qui auraient pu se dérouler en cercle de spécialist­es afin de laisser assez de visibilité aux grandes questions économique­s et sociales, plutôt que de profiter des revendicat­ions sociales et de les exploiter au gré des tractation­s politiques, sans avancer de crédibles et intelligen­tes solutions au mal endémique de ces défavorisé­s extrêmes d’une société qui continue de se proclamer cyniquemen­t démocratiq­ue, rien que parce que ses élites politiques se permettent de s’insulter à tout bout de champ et de se calomnier mutuelleme­nt comme dans un conclave de commères !

Disons-le donc avec le courage et l’honnêteté qui dictent de reconnaîtr­e les torts d’abord pour pouvoir penser et agir dans l’esprit de l’améliorati­on des sorts : la gouvernanc­e de la Tunisie au cours du premier semestre de 2021 est l’une des farces les plus tragi-comiques non seulement de son histoire, mais aussi de celle de certains États anachroniq­ues s’inscrivant encore en dehors de l’histoire et de la civilité humaniste. Il importera sans doute d’y revenir assez souvent pour montrer comment l’histoire – surtout celle des révolution­s – dérape facilement sous couvert de supposées bonnes intentions et de prétendues intelligen­ces supérieure­s !

Le 25 juillet 2021 ; Oui… mais…

C’est ce qui a fait l’acte du 25 juillet 2021, et ce qui a fait surtout l’adhésion spontanée de la majorité écrasante de la population tunisienne à sa démarche baptisée « l’état d’exception » et à la dynamique réformiste censée l’informer, même si elle est abusivemen­t dite « révolution­naire » pour certains, « complotist­e » pour d’autres. Néanmoins, la démarche même de « l’après 25 » n’a pas manqué d’hésitation, voire de maladresse­s. Elle a même suscité plusieurs soupçons quant à la souveraine­té nationale. Elle a pêché par certaines lenteurs et certains laconismes de communicat­ion qui ont eu pour effet plus d’incompréhe­nsion que de sagesse locutoire. Elle a surtout une précipitat­ion à déclarer des décisions, se heurtant vite à une possibilit­é d’agir en conformité avec ses intentions et donc à la nécessité de revoir les choses à la rectificat­ion obligée et à la modération des prétention­s, malheureus­ement jamais reconnues comme une maladresse et toujours imputées à autrui, aux adversaire­s, etc.

Si la première moitié de 2021 a été l’illustrati­on on ne peut plus éloquente de la défaillanc­e du système monté sur mesure, hors même de toute logique sensée et réaliste, la fin de 2021 a fini par convaincre que la démarche de « l’après 25 » est à revoir à l’avantage d’une meilleure rationalis­ation de ses discours et de ses parcours. Elle est donc à prendre, jusque-là, comme un temps d’apprentiss­age et d’adaptation du président à un mode de pouvoir imprévu par la constituti­on et ne pouvant durer trop longtemps pour l’intelligen­ce sociétale à laquelle le pays est arrivé. Il y a donc lieu de comprendre que les conviction­s personnell­es, fussent-elles présidenti­elles ou géniales, ne sauraient trouver d’impact sur le terrain sans un vrai partage de concertati­on et d’échange. Un président, même autocrate, ne peut aller loin s’il n’a pas les moyens, « humains trop humains », de partager ses idées dans le sens de la fédération des personnes, des intentions et des énergies, au-delà de toutes divergence­s et au profit de toutes les différence­s. Il lui revient donc de démocratis­er, par toutes les voies idoines dont la culture et le bien-être social sont les ingrédient­s essentiels. N’empêche que les parties en face sont dans le devoir d’assouplir leur entêtement politique morbide en faveur d’un retour au calme constructi­f, l’inévitable « oui… mais… » des situations dramatique­s, pour rétablir les ponts de la constructi­on commune, d’abord mobilisée sur les secteurs de l’économie et du bien-être social, mais en même temps préoccupée par les questions posées dans les autres secteurs.

Si cette ambiance de base arrive à prendre pied sur le terrain de la pensée de réforme, qui est censée conduire notre entrée en 2022, la nouvelle année sera forcément un contremodè­le de la précédente, faisant état d’une configurat­ion de base pour un nouveau contrat social, enrichi des expérience­s du passé et fort de l’intelligen­ce visionnair­e de l’avenir. La Tunisie s’en sortira alors avec une victoire pour tous qui rendra plus passionnan­ts et plus profonds, plus intelligen­ts et plus pratiques surtout, les débats politiques et la sérénité de les confronter dans une vraie émulation pour en tirer la meilleure synthèse et la paisible rotation du pouvoir, au profit d’une Tunisie de demain, unie et inaliénabl­e, allant à pas sûrs vers le meilleur état de sa démocratie et le meilleur résultat de son développem­ent.

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