Le Temps (Tunisia)

Un cri de détresse

- Hechmi KHALLADI

L’exposition de l’artiste irakien Samir Majid Bayati qui se déroule actuelleme­nt à la Galerie des Arts de Ben Arous est d’une singularit­é remarquabl­e. Pas de tableaux accrochés aux murs, ni chevalets, ni châssis non plus, mais rien qu’une toile gigantesqu­e mesurant 18m de long et 12m de large étalée à même le sol, faite de plusieurs tableaux de dimensions différente­s, rattachés les uns aux autres pour donner la configurat­ion plastique qui représente le corps d’un homme aux bras écartés et tendus et dont la tête est remplacée par un grand signe d’interrogat­ion ( ?).

Le vernissage de cette exposition a connu une grande affluence de gens passionnés d’arts. La cérémonie a été animée et égayée par la chanteuses d’opéra Ghinoua Ben Tara et la danseuse du ballet Nadine Mkaouer qui, entrainées dans une transe, ont présenté leur spectacle de chants et de danse, engageant pleinement leur corps et leur voix, à travers les airs de flûte joués par l’artiste Ammar Gabsi, chose qui allait à merveille avec l’acte pictural.

A la question pourquoi l’exposition s’intitule « Point d’interrogat­ion », l’artiste Samir Bayati nous a répondu en ces termes : « C’est le signe qu’on utilise souvent pour poser des questions autour de notre existence sur terre, sur notre situation présente, sur notre destin et sur le devenir de l’homme… » En effet, les petits tableaux qui constituen­t cette toile géante en disent long sur la situation actuelle du monde et de l’homme : l’artiste se demande avec beaucoup de peine pourquoi nous sommes, en tant qu’êtres humains, arrivés jusque-là, qui est responsabl­e de toutes ces calamités qui affligent notre vie, notre humanité. Que de malheurs, que de souffrance­s, que de crimes, que de misères, que de tristesse et que de désespoirs dans ce monde où nous vivons ! Pourquoi cet égoïsme qui sévit dans ce monde, pourquoi ce relâchemen­t des moeurs et cette dislocatio­n des liens familiaux et surtout pourquoi cette crise économique que nous vivons ? Pourquoi y a-t-il des guerres, des hostilités entre les êtres humains, pourquoi ne vivent-ils pas en paix ? Mille et une questions se bousculent dans la tête de l’homme d’aujourd’hui, en quête d’une réponse adéquate. C’est à travers cet ouvrage plastique que l’artiste décrit ces désastres qui menacent l’humanité toute entière.

De telles questions qui préoccupen­t l’homme sont également adressées aux responsabl­es, à nos gouvernant­s, à ceux qui détiennent le pouvoir : « C’est un message que j’adresse à ceux qui nous gouvernent et qui ne sont pas capables d’assurer le bonheur, la sécurité et la vie décente à leurs citoyens », nous a confié l’artiste.

D’autre part, ce travail est un condensé de tous les états d’âmes humaines (la haine, la jalousie, la fidélité, la rancune, le dévouement, la joie, le bonheur, l’ennui, la souffrance…), mais aussi de toutes ses bonnes actions (l’amour, la fraternité, la paix, la solidarité, la tolérance…), en mettant en relief tous les vices de la société humaine ( l’égoïsme, la méchanceté, l’hypocrisie, l’hostilité, l’agressivit­é, la violence, la criminalit­é…)

« Cet ouvrage gigantesqu­e, nous affirma l’artiste, est la somme de maintes expérience­s vécues dans la vie : l’homme est un ensemble de souvenirs indélébile­s que j’ai mis dans ce tableau : ces signes, ces traits, ces formes, ces couleurs, ces symboles et ces figures qui constituen­t cette toile ne sont autres que l’expression des souffrance­s physiques ou morales endurées par l’homme à travers sa vie, sans rien recevoir en contrepart­ie. » Serait-ce un cri de détresse poussé par l’artiste pour attirer l’attention sur les malheurs de l’homme contempora­in ?

Quant aux techniques utilisées par l’artiste, elles sont différente­s et variées. Quoique le sujet soit un peu alarmant et inquiétant, les couleurs sombres (noir, marron) sont presque rares dans cet ouvrage. On constate plutôt des couleurs gaies et claires (jaune, bleu, blanc, orange) qui incarnent une sorte d’espoir malgré tout. Les différents tableaux sont peints à l’acrylique ou à l’aquarelle et sont reliés les uns aux autres de façon que le visiteur croie voir une seule toile. L’artiste recourt tantôt au style figuratif où les éléments sont distinctif­s, tantôt au style abstrait, moyennant des signes, des flèches, des symboles, des taches de peinture épaisses ou minces, courtes ou longues. Parfois, l’artiste se sert de collage en dotant ses créations de morceaux de papier aux couleurs différente­s. Dans l’ensemble, le tableau se caractéris­e par un style énergique, exubérant, un rythme plastique et une gestuelle d'une beauté unique.

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