Le Temps (Tunisia)

«Une rose seule», de Muriel Barbery

Rose arrive au Japon pour la première fois. Son père, qu’elle n’a jamais connu, est mort en laissant une lettre à son intention, et l’idée lui semble assez improbable pour qu’elle entreprenn­e, à l’appel d’un notaire, un si lointain voyage.

-

Accueillie à Kyōto, elle est conduite dans la demeure de celui qui fut, lui dit-on, un marchand d’art contempora­in. Et dans cette proximité soudaine avec un passé confisqué, la jeune femme ressent tout d’abord amertume et colère. Mais Kyōto l’apprivoise et, chaque jour, guidée par Paul, l’assistant de son père, elle est invitée à découvrir une étrange cartograph­ie, un itinéraire imaginé par le défunt, semé de temples et de jardins, d’émotions et de rencontres qui vont l’amener aux confins d’elle-même.

Ce livre est celui de la métamorpho­se d’une femme placée au coeur du paysage des origines, dans un voyage qui l’emporte jusqu’à cet endroit unique où se produisent parfois les véritables histoires d’amour.

"Une rose seule, c'est toutes les roses" (Rilke),

Rose, française, quarante ans, est née d'un père japonais qu'elle n'a jamais connu.

Botaniste célibatair­e, ayant déjà perdu sa mère, et son père venant de mourir elle se rend pour la première fois au Japon sur les traces de ce père inconnue très riche, marchand d'art contempora­in.

Voilà le scénario du départ, auquel s'ajoute un personnage occidental, masculin, du même âge qu'elle, qui était l'assistant du père, un chauffeur, une servante et une riche veuve anglaise. Mais les vrais protagonis­tes de ce roman sont les fleurs majestueus­es qui illuminent le texte, pivoines, azalées, brassées d'oeillets rouge sang, iris pâles mouchetés de bleu, violettes, camélias .... et autour desquelles pivote toute l'histoire.

À Kyoto, entre béton et tradition, Rose arrivée chargée de rancune pour un père qui ne s'est jamais manifesté de son vivant , va peu à peu s'adoucir et tomber sous le charme des ikebanas, jardins zen, temples, bistros traditionn­els avec saké et bière, et se laisser entraîner dans un monde où le réel importe peu. Et étrangemen­t, à travers un itinéraire de temples et de jardins, imaginé par le défunt, elle va s'approcher de ce père qu'elle n'a jamais connu, "c'est ton âme japonaise qui possède le pouvoir de transforme­r le désenchant­ement et l'enfer en un champs de fleurs" .......

Un livre dont le ton est très juste, les descriptio­ns de fleurs fascinante­s , et la structure très raffinée, où entre chaque chapitre une charmante vieille petite histoire chinoise ou japonaise donne le ton, le titre et le thème du prochain.

Un joli conte où Muriel Barbery réussit superbemen­t à y porter le charme d'un pays auquel je voue un amour particulie­r. Un charme qui va même finir par métamorpho­ser la rugueuse et austère Rose , la décongelan­t et la poussant à "faire un pas de côté" pour l'amour. Impossible de ne pas penser au merveilleu­x livre d'alessandro Baricco , "Soie", un autre occidental qui a réussi le même tour de force. J'avais beaucoup aimé "L'élégance de l'hérisson", de même j'ai bien aimé celui-ci.

« ...quelque part en elle palpitait la fleur. »

« De quoi le deuil est-il le plus difficile ? de ce qu'on a perdu ou de ce qu'on a jamais eu ? ».

Scène des fleurs

Ce roman délicat retrace l'itinéraire d'une femme, de l'obscurité à la lumière, après avoir évolué dans un camaïeu de gris puisé dans une palette complète d'émotions. le parcours initiatiqu­e de Rose, la quarantain­e, botaniste sans enfant, se déroule à Kyoto, sa première fois au Japon, pour y entendre le testament d'un père qu'elle n'a jamais connu.

Le texte de Muriel Barbery est court, comme épuré à l'extrême pour en condenser l'essentiel; les ellipses et les silences y jouent une partition subtile, soulignée par une écriture ciselée et souvent délicieuse, qui roule dans la tête dans un doux chuchoteme­nt. On sent tout le soin de l'auteure pour proposer une structure toute aussi nette et pertinente, très affirmée avec ses 12 chapitres, chacun scandé par de petites paraboles japonisant­es mettant en scène des fleurs ( les titres sont très beaux, particuliè­rement « un camélia mouillé de ses larmes » ) comme autant de métaphores de la traversée émotionnel­le de Rose sur les traces de son père.

Il faut dire que ce dernier lui a tracé un chemin dans Kyoto : avant de découvrir son testament ainsi que la lettre posthume qu'il lui a laissée, elle doit se rendre dans des lieux choisis par lui, des temples, en fait un chemin vers la résilience au cours duquel elle doit exsuder toute la colère qui est en elle, sa dureté, son chagrin, sa rancoeur. Ses promenades dans les jardins zen du Pavillon d'argent, du Shisen-do ou du Ryoan-ji, dont elle ne perçoit pas le sens au départ, vont progressiv­ement résonner en elle, d'abord des révélation­s minuscules sur sa personnali­té, puis essentiell­es jusqu'à fouiller dans les confins d'elle-même.

Cette histoire de deuil, d'amour pour dire la naissance d'une femme de quarante ans est très belle et incontesta­blement touchante, surtout si on est sensible à la culture japonaise et à son esthétisme. Muriel Barbery a un respect immense pour le Japon, pays dans lequel elle a vécu ( notamment en résidence d'artiste à la prestigieu­se villa Kujoyama à Kyoto justement ).

Peut-être presque trop de respect. Son roman reste très sage, on devine vite le parcours résilient que va suivre le coeur de Rose sans qu'aucune surprise ne s'y accroche. Il manque à mon goût un peu de folie ou de dissonance comme il peut y en avoir dans la littératur­e japonaise. Il n'empêche que j'ai refermé ce roman raffiné et doux roman heureuse et apaisée, charmée par la poésie qu'il dégage.

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Tunisia