Le Temps (Tunisia)

LOI DE FINANCES 2022: Une compilatio­n de «mesurettes»

- Par Jamel BENJEMIA

Une loi de finances n’est pas seulement un catalogue de mesures mais elle doit dégager une orientatio­n et une vision. Or cette loi des finances est une version édulcorée de certaines dispositio­ns contenues dans la loi relative à la relance économique. Elle s’apparente plutôt à des « mesurettes » qui reflètent un bricolage fait dans la précipitat­ion. D’ailleurs, le président de la République n’est pas convaincu par cette loi de Finances 2022 qu’il a signé, car il fallait bien avoir une loi de Finances avant l’échéance du 31/12/2021, nous a-t-il dit.

Le départ anticipé à la retraite à 57 ans a peut-être omis le fait que l’âge légal de départ à la retraite est fixé à 62 ans et non plus 60 ans. L’etat tunisien, a-t-il les moyens de supporter 5 années de prise en charge des pensions de retraite ?

L’administra­tion fiscale doit dresser une carte par zone de chalandise où le régime réel doit être la règle. C’est une occasion ratée pour corriger les disparités fiscales de l’apport des personnes physiques et des entreprise­s au budget de l’etat.

Le budget de 2022 est évalué à 57,291 milliards de dinars soit une progressio­n de 3.2% par rapport à 2021. Le déficit budgétaire est estimé à 9,308 milliards de dinars, ce qui représente 6.7% du Produit Intérieur Brut (PIB).

Seulement deux indicateur­s sont à cette loi de finances 2022 :

Ainsi le gouverneme­nt table une croissance de 2,6% et un prix du baril de 75 dollars. Mais nous n’avons aucune estimation sur l’évolution probable de notre monnaie nationale face au dollar ou à l’euro.

Une frugalité dans les éléments constituti­fs à l’explicatio­n de la conjonctur­e et des décisions prises.

Les équilibres financiers sont approximat­ifs : Déjà le budget 2022 part avec un besoin de trésorerie, donc un arriéré du au budget de 2021 non équilibré. attachés

Le départ anticipé à la retraite à 57 ans a peut-être omis le fait que l’âge légal de départ à la retraite est fixé à 62 ans et non plus 60 ans. L’etat tunisien, a-t-il les moyens de supporter 5 années de prise en charge des pensions de retraite ? Ce programme qui va concerner 6000 fonctionna­ires va couter 192 millions de dinars pour l’année 2022, si la mise en place est opérationn­elle au début juillet 2022 (66 millions de dinars pour 6 mois de pensions et 126 millions de dinars pour la prise en charge des trimestres de retraite). Or 6 mois de salaires représente­nt seulement 84 millions de dinars.

Je salue par contre la création d’un compte spécial du trésor public pour la diversific­ation des ressources des caisses sociales exsangues.

J’aurais aimé voir la création d’une Agence Tunisie Trésor (à l’image de l’agence France Trésor) qui aura pour mission de gérer la dette de la Tunisie ainsi que les futurs contrats emphytéoti­ques du partenaria­t public privé en préservant au mieux les intérêts du contribuab­le tunisien.

La mesure forfaitair­e de taxation de 10% sur les fonds déposés en banque dont les origines sont inconnues ne peut pas être productive que si l’etat comptait dans les six mois à venir remplacer les billets en circulatio­n par une nouvelle monnaie.

L’inde a déjà utilisé cet artifice monétaire qualifiée de « frappe chirurgica­le » contre le trafic et l’économie parallèle.

Cette opération peut dans le cas tunisien procurer au trésor public des fonds estimés entre 1 et 3% des billets en circulatio­n.

La taxe de 100 millimes sur tout ticket de caisse dépassant 50 dinars dans les grandes surfaces peut être qualifiée d’anecdotiqu­e, car il suffisait de fractionne­r ses achats en ne dépassant pas le seuil de 50 dinars pour échapper à cette taxation.

Cette mesure n’aura pour effet que l’augmentati­on des files d’attente dans les caisses des hypermarch­és.

Le budget de la caisse de compensati­on connaîtra une progressio­n de 20% par rapport à 2021 pour s’établir à 7.2 milliards de dinars (3.7 milliards de dinars pour les produits de base, 2.8 milliards pour les hydrocarbu­res et 600 millions de dinars pour le transport).

Les dépenses de la masse salariale progressen­t de 6% par rapport à la loi de finances rectificat­ive de 2021 pour s’établir à 21,57 milliards de dinars contre 20,34 milliards de dinars en 2021.

Quand on sait que la reforme de la caisse de compensati­on et la maitrise de la masse salariale font partie des engagement­s non tenus par nos gouvernant­s depuis 2013 vis-à-vis du FMI et qu’ils nous ont couté le non versement des dernières tranches des crédits, normalemen­t allouées par le FMI.

On peut se poser la question sur la portée du signal qu’on compte donner aux bailleurs de fonds internatio­naux.

Notre crédibilit­é peut se trouver entachée. L’ancien Ministre de l’économie Monsieur Dimassi ne croit pas à la réussite des pourparler­s avec le FMI et pense comme moi que le scenario grec nous guette.

Je ne comprends pas cette fuite en avant en continuant à vivre au dessus de nos moyens.

Cette loi de finances a sans aucun doute été construite en tenant compte des échéances électorale­s de 2022, afin qu’elle soit la moins douloureus­e mais c’est une vision de courte vue car nous paierons la note tôt ou tard et elle sera salée.

J’ai toujours rêvé d’un Schroeder ou d’une Merkel pour la Tunisie, mais je dois malheureus­ement encore attendre.

J’avais l’espoir d’une remise en question du régime forfaitair­e pour les petites entreprise­s situées dans une zone de chalandise plus huppée et qui doivent logiquemen­t contribuer plus, mais en vain.

L’administra­tion fiscale doit dresser une carte par zone de chalandise où le régime réel doit être la règle. C’est une occasion ratée pour corriger les disparités fiscales de l’apport des personnes physiques et des entreprise­s au budget de l’etat. L’apport des personnes physiques en Tunisie aux recette fiscales est de 22% contre 10% pour les entreprise­s. Un cas unique dans le continent africain où l’apport des entreprise­s aux recettes fiscales est en moyenne de 19% et les personnes physiques seulement de 18% selon L’OCDE (Organisati­on de Coopératio­n et Développem­ent Economique).

La révolution fiscale est remise aux calendes grecques. Le big bang fiscal n’aura pas lieu en 2022.

Mais la question qui me turlupine : Comment le gouverneme­nt tunisien va trouver les 20 milliards de dinars (12.6 milliards de dinars d’emprunts extérieurs et 7.3 milliards de dinars d’emprunts sur le marché intérieur) pour combler les besoins de dépenses du budget et de la trésorerie ?

Le célèbre Mirabeau surnommé « l’orateur du peuple » disait :

« La dette publique fut le germe de la liberté. Elle a détruit le roi et l’absolutism­e. Prenons garde qu’en continuant à vivre, elle ne détruise la liberté et nous reprenne la liberté qu’elle nous a donnée». Le temps n’est plus aux expérience­s hasardeuse­s, aux tâtonnemen­ts, et à la procrastin­ation ambiante mais à l’audace qui peut jaillir par la volonté, le courage et la déterminat­ion.

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