L'indépendance sacrifiée du Kazakhstan
Confronté à un soulèvement populaire sans précédent, le pouvoir de l’ancienne république soviétique a officiellement demandé l’intervention de l’armée russe, donnant à Vladimir Poutine une occasion d’accroître son emprise sur la région.
C’est une situation nouvelle dans l’ex-union soviétique : confronté à un soulèvement populaire sans précédent, le président du Kazakhstan a demandé l’intervention de troupes de pays alliés, menées par l’armée russe. Depuis jeudi 6 janvier, des militaires russes arrivent par avion à Almaty, principale ville de cette vaste république d’asie centrale.
Les communications et les liaisons aériennes étant très perturbées depuis le début des troubles, il est difficile d’avoir un tableau précis et fiable de l’évolution de la situation. Mais il est clair que ce qui avait débuté le 2 janvier dans une ville de l’ouest du Kazakhstan, Janaozen, comme un mouvement de colère contre le doublement des prix du carburant, s’est rapidement étendu au reste du pays et a dégénéré en une violente contestation du régime, de sa gestion de l’économie, basée sur l’exploitation du gaz et du pétrole, et de sa corruption.
Visiblement pris au dépourvu, le président Kassym-jomart Tokaïev a fait quelques concessions ; il a annoncé la démission du gouvernement et – signe qu’il a bien compris l’objet de la contestation – écarté l’ancien président Noursoultan Nazarbaïev. Celui-ci, déjà au pouvoir à l’époque de l’union soviétique et aujourd’hui âgé de 81 ans, avait fini par quitter la présidence en 2019 mais maintenait son influence à travers un nouvel organe, le conseil de sécurité. Symbole du ressentiment de ses compatriotes, au moins une de ses statues a été déboulonnée au cours des émeutes.
Répression sanglante
Ces concessions n’ont pas suffi. Le bilan humain des affrontements, si l’on en croit les chiffres rendus publics vendredi par le ministère de l’intérieur, est lourd : 26 manifestants et 18 membres des forces de l’ordre tués, des centaines de blessés, 3 000 arrestations. Le président Tokaïev assure avoir rétabli « l’ordre constitutionnel ». Mais à quel prix ?
Au prix d’une répression sanglante, assurée par des services de sécurité sur lesquels le président a repris la main, en nommant à leur tête un de ses proches, à la place d’un homme de Nazarbaïev. Et au prix d’un appel à l’aide à Moscou, en prétextant une agression « terroriste », susceptible de justifier l’intervention de l’organisation du traité de sécurité collective (OTSC), qui lie le Kazakhstan à la Russie, à l’arménie, à l’ouzbékistan, au Tadjikistan et au Kirghizistan. Le président Vladimir Poutine ne s’est pas fait prier pour envoyer aussitôt 3 000 hommes, qui seront appuyés par quelques centaines de troupes des autres pays, hormis pour l’instant celles du Kirghizistan. Ces forces étrangères sont supposées assurer la sécurité des points stratégiques tandis que les forces kazakhes tentent de rétablir l’ordre.
Si elles y parviennent, M. Tokaïev aura sauvé son siège et tourné la page Nazarbaïev, mais il sera, comme son collègue biélorusse Alexandre Loukachenko, redevable à Moscou de son maintien au pouvoir. Pour un pays qui a tenté ces dernières années une sorte d’équidistance entre Pékin et Moscou, en cultivant également ses relations avec la Turquie et l’europe, c’est un énorme renoncement et un tragique retour en arrière.
Quant à M. Poutine, il peut espérer accroître ainsi son emprise sur une partie de cet empire disparu qu’il regrette tant : après l’arménie et la Biélorussie, il contrôlerait aussi le Kazakhstan. Mais, à la veille de l’ouverture de négociations qu’il a exigées avec les Etats-unis en menaçant de nouveau l’ukraine, il apparaît surtout comme le maître contesté d’un domaine en proie à d’incessantes rébellions, où il ne peut régner que par la force et la répression.