Ces « lignes rouges » que Saïed ne veut pas transgresser…
On imagine mal qu’il ait demandé au procureur, puis au procureur général d’incarcérer Bhiri, avant de recourir à l’assignation à résidence à l’encontre de ce dernier. A supposer qu’il l’ait fait, cela serait considéré comme une ingérence de nature à porter atteinte à l’indépendance de la justice. Cependant ce n’est pas ce qu’affirme le Parquet qui, en réponse à Taoufik Charfeddine, ministre de l’intérieur, a déclaré qu’il était en train d’examiner le dossier Bhiri, depuis le 7 octobre 2021 et de procéder aux investigations nécessaires. Il n’a pas manqué de contredire le ministre de l’intérieur quant au manque de diligence dont il l’accuse. A aucun moment, le Parquet n’a fait allusion à l’intervention de Kais Saied invoquée par Mourad Messaoudi. Il a tout simplement évoqué qu’il a reçu le dossier relatif à Bhiri, envoyé par la police judiciaire et qu’il est en train de procéder aux examens nécessaires, qui mettront le temps qu’il faut afin de ne pas commettre d’erreur judiciaire. Aucune allusion n’a donc été faite à propos de l’intervention directe de Kais Saied auprès du procureur ou du procureur général dans l’intention de faire pression sur eux.
Ce scénario semble plutôt avoir été inventé de toutes pièces par les détracteurs de Kais Saied qui du reste, en période d’exception est en droit d’intervenir pour activer les dossiers qui traînent dans les tiroirs de la justice. Il a manifesté clairement cette volonté de poursuivre tous ceux qui ont fauté en déclarant dernièrement que « quiconque aurait commis une infraction doit être traduit devant la justice ». Il a aussi insisté sur le fait « qu’il n’est pas question de faire intervenir la politique dans la justice ».
C’est là où le bât blesse, car la frontière entre politique et justice est de plus en plus ténue. Le politique influe sur le juridictionnel, même lorsqu’il n’y a pas d’ascendant directe du pouvoir politique sur le pouvoir judiciaire. En Tunisie, il est certain que la relation entre les deux pouvoirs n’est plus ce qu’elle était durant l’ancien régime. L’indépendance de la magistrature est désormais garantie par la Constitution de 2014 et le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), n’est plus présidé par le président de la République. Seulement ce qui a justement nui à l’intégrité de la justice, ce sont les tiraillements politiques dans lesquelles ont été impliqués certains magistrats, qui ont trahi la confiance de leurs pairs et par là même celle des justiciables. Le système de démocratie exige qu’il y ait une nette séparation entre le pouvoir politique et le pouvoir judiciaire. Il messied mal donc que les politiques interviennent dans le champ judiciaire. Or il se trouve qu’à un certain moment, certains députés, surtout ceux qui étaient issus des partis majoritaires dont celui du mouvement Ennhadha, n’hésitaient pas à intervenir dans le domaine judiciaire afin d’exercer indirectement leur influence sur les juges, notamment dans les affaires de crime politique, telles que celles relatives aux assassinats de Chokri Belaid et Mohamed Brahmi, qui sont du reste, encore pendantes devant le tribunal. C’est ce qu’insinue donc Kais Saied en déclarant qu’il ne faut pas faire intervenir la politique dans la justice.
Dès lors, la réforme de la justice devient une priorité pour Kais Saied afin de remettre les pendules à l’heure. Ce qui le préoccupe, c’est l’attitude de certains magistrats revêches au sein du conseil supérieur de la magistrature (CSM) qui voient en son rappel à l’ordre, surtout en période d’exception où il concentre tous les pouvoirs, une immixtion dans les affaires de la justice. Leur attitude semble consister à vouloir défendre leur secteur coûte que coûte, sans prendre en considération les nombreuses carences qui existent au sein du pouvoir juridictionnel. Ce qui a amené à un bras de fer entre le Président de la République et le CSM. Certes ce dernier, est un organe défini par la Constitution en tant que garant de l’indépendance de la magistrature. Mais ce n’est pas une raison de faire la politique de l’autruche en refusant de se mettre autour d’une table avec toutes les parties prenantes afin de revoir ce qui entrave la bonne marche de la justice. En attendant Kais Saied vient à la rescousse afin d’éviter que le pouvoir judiciaire prenne une mauvaise tournure qui nuit à l’image de la justice. Car le CSM n’est pas un syndicat mais un organe constitutionnel qui doit préserver la justice de tout ce qui peut lui nuire.
Remettre le prévenu à la justice pour un procès équitable
Il est donc peu probable que Kais Saied soit directement intervenu, dans l’affaire Bhiri, pour demander au procureur ou au procureur général de le mettre en prison. Mais il a jugé utile d’intervenir pour activer les choses et appliquer à son encontre la mesure d’assignation à résidence afin d’inciter le parquet à une meilleure diligence dans cette affaire dont il avait la charge. Quant à la mesure d’assignation à résidence elle peut paraître contraire au droit à un procès équitable. Il est donc souhaitable, maintenant que le parquet a répondu qu’il est en train de mener les investigations nécessaires dans cette affaire, de remettre Bhiri entre les mains de la justice. Surtout que lors de sa rencontre lundi dernier avec la cheffe du Gouvernement, Kais Saied a affirmé que le ministère de l’intérieur détient des documents accablants établissant l’implication du concerné dans des affaires de faux documents et d’octroi illégal de passeport. Quoiqu’il ait fallu que ce soit le parquet lui-même qui demande sa remise avec les pièces du dossier. Une affaire qui se complique pour l’intéressé qui est en grève de la faim et dont la santé se dégrade à cause de son refus de prendre ses médicaments pour crier à la victime.