Le Temps (Tunisia)

«Oktob, Me Ena Bikatib», de Jalal El Mokh

- Hechmi KHALLADI

Jalal El Mokh, écrivain-poète, vient de publier chez les Editions de la Maison Culturelle, un autre recueil intitulé « Oktob Me Ena Bikatib » qu’on peut traduire approximat­ivement par « Ecris, je ne saurais le faire ! » Il s’agit d’un nouveau recueil de seulement 10 poèmes mais assez longs, en vers libres et au style vif, pur et élégant.

Le recueil s’ouvre sur un poème intitulé « Ville des Dieux », dédié à la ville balnéaire Hammam-lif, de son ancien nom « Naro », où le poète réside depuis longtemps. Il y évoque sa montagne Boukornine, sa forêt et ses eaux minérales qui coulent de sources, exprimant ainsi son amour éternel pour cette ville dont il ne peut jamais se séparer : « Ô Naro, ville du cyclamen/ Qui embaume les battements du coeur de l’univers/ Le bienêtre coule ainsi dans les artères de la vie/l'eau coule des sources de la créativité/ivre, elle se précipite, furieuse et mousseuse… »

Un deuxième poème intitulé « Le dictateur n’est pas mort » parle de ceux qui détiennent le pouvoir et s’y agrippent éternellem­ent. Le poète s’indigne profondéme­nt contre ces « dictateurs » qui font la pluie et le beau temps et qui existent dans toutes les époques en citant leur tyrannie et leur oppression : « Il ne cesse d’écraser l'homme de ses pieds durs et lui coupe la respiratio­n/ Lui bande les yeux et étouffe ses aspiration­s… »

Dans un autre poème intitulé «Funambule », le poète s’intéresse à la foule des gens qui s’entassent en ville où règnent l’insécurité, le bruit, la pollution, le stress, l’étouffemen­t, l’épuisement, la confusion, bref toute la débandade de la ville qui transforme les citadins en funambules. Pourtant, il existe d’autres espaces plus agréables et plus accueillan­ts pour l’homme : «Le paradis et les jardins leur ouvrent leurs bras/ Les arbres les appellent avec un amour pur…/ Mais ils tombent comme des feuilles d’automne/ Et leurs cadavres se putréfient sur le sol… » Quant à lui, il trouve sa vocation, il préfère quitter la ville pour aller vivre dans la nature : « Quant à moi, je ne marche pas dans ces ruelles surchauffé­es/ Ni ne chemine dans ces avenues dont les lumières aveuglent les yeux/ Je n’emprunte pas ces tournants/ Je ne bondis pas dans ces rues et ces boulevards/ Je ne me promène pas non plus dans ces espaces… » Dans ce poème, Jalal El Mokh rejoint un peu la philosophi­e de Nietzsche, auteur de « Ainsi parlait Zarathoust­ra » qui nous enseigne une contre-morale par laquelle l'homme doit se libérer de ses habitudes pour se créer une nouvelle vie.

Le poème qui porte comme titre «Les oiseaux sortent de ma tête », une métaphore qui renvoie aux idées qui naissent dans l’esprit de l’homme. Dans ce poème, il s’agit des idées, des pensées et des sensations exprimées par le poète mais qui souvent n’ont pas d’écho et ne suscitent pas de réactions chez autrui : « les oiseaux sortent de ma tête/ De formes et de couleurs différente­s/ Les unes sont amorphes, les autres sont incolores/ Au diable vos petites cages, vos prisons étroites et vos mondes clos… » « Nous avons juré sur le triomphe du soleil » est un poème élégiaque dédié à feu Mokhtar Loghmani, sous forme d’un vif hommage rendu à ce grand poète tunisien décédé en 1977 à l'âge de 25 ans. Avec beaucoup de tristesse, le poète écrit : « Le destin t'a trahi/et tu es parti tôt/ avec mille rêves dans ton coeur pour le bien de ton frère l’homme… »

« Des poèmes au souk » est un autre poème où l’auteur exprime sa douleur en voyant des recueils de poésie étalés à même le sol dans le souk en quête d’un acquéreur ! Là, tout se vend et tout s’achète et tout le monde se rue sur les marchandis­es de toutes sortes. Mais personne ne se soucie des poètes qui proposent leurs recueils de poèmes à la vente : « Dans un coin du marché, des poètes s’installent/ mettent leurs poèmes en vente/ certains les attachent par des épingles/d'autres les posent par terre/respirant la poussière et les odeurs des passants, des tas de poèmes et de vers jaunis par la chaleur du soleil… »

Dans le poème éponyme « Ecris, je ne saurais le faire », le poète imagine un dialogue entre sa plume et luimême. Sa plume réitère son ordre « Ecris », mais à chaque fois le poète lui répond : « Je ne saurais le faire », car selon lui, ce sont la plume et le papier qui se chargent de l’expression des idées, des pensées et des sentiments du poète : « Ce sont les milliers de pages que j’ai noircis/ les centaines de textes que j’ai brodés/ et les centaines d’expression­s que j’ai notées qui m’écrivent et me dessinent… » La poésie de Jalal El Mokh conjugue sentiments et pensées ; elle s’adresse au coeur comme à l’esprit, chose qu’on retrouve souvent dans tous ces recueils précédents où le lecteur appréciera dans ces oeuvre les tournures esthétique­s, les images rhétorique­s et évocatrice­s, mais aussi beaucoup de valeurs humaines. L’originalit­é de la poésie de Jalal réside dans le fait qu’elle cherche à plaire et à instruire.

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