Le crime et le châtiment
C’est tout de même déroutant : ceux qui avaient marché au cortège funèbre de Chokri Belaïd et qui ont eux-mêmes organisé le sit-in Errahil, après l’assassinat de Mohamed Brahmi, se mettent, aujourd’hui, à disserter à qui mieux mieux, sur les prétendus dépassements de Kaïs Saïed. Du coup, on s’emmêle les pinceaux et on confond tout. On bascule entre un chapitre et l’autre ; on confond entre consultation populaire et référendum, entre référendum et plébiscite et entre plébiscite et « réminiscences dictatoriales ».
Peut-être, sans doute, Kais Saied ne facilite-t-il pas lui-même les choses, dès lors qu’il s’en tient toujours aux mêmes leitmotivs, entre autres : l’inadéquation Légitimité/ Légalité, et surtout lorsqu’il s’agit d’une légitimité usurpée et d’une légalité phagocytée.
Cela fait une décennie que des comités de défense se battent pour que soit établie la vérité sur les assassinats politiques, sur le funeste appareil secret d’ennahdha, sur la désinvolture avec laquelle Ghannouchi a asservi les institutions du pays. Pourquoi, par exemple, n’a-t-on pas crié au scandale quand Youssef Chahed mit quatorze personnes en résidence surveillée ? Et avec les conséquences que l’on sait ?
Quelque chose d’ambigu est en train de se mouvoir ces jours-ci : dès lors que
Saïed entend tout refaire (au niveau de la Justice), mais sur la base de données avérées, ah, le corporatisme si doux des temps de « la Justice de B’hiri », monte au créneau. Peur d’être dévoyés ? Peur de se retrouver broyés par un retour de manivelle ? Peur d’être rattrapés par certains démons, mauvaise conscience d’une Justice qui n’aura servi que les intérêts de la secte et de ses suppôts…
Aujourd’hui, tout s’égrène. L’affaire Jilani Dabboussi s’internationalise. Les dépassements et la persécution féroce en prison, comme dans les tribunaux à l’endroit des suppôts de l’ancien régime, méritent eux-aussi qu’on les réexamine…
Si cela ne tenait qu’à des passeports falsifiés, à la limite, c’est dangereux, mais ce n’est pas grave.
Ce qui l’est, en revanche, c’est la Justice de dix bonnes années d’outrances, de racket, de spoliations et d’assassinats camouflés…
Or, voilà que les tribuns débarquent. Voilà que toutes les tendances antithétiques se fondent dans le même moule de la contestation. Voilà qu’on essaiera par tous les moyens de distendre les mailles d’une Justice, opaque et mystérieuse durant toute une décennie, mais qu’on cherchera à diluer dans le temps et dans l’espace. Or, le crime, ça paye parfois. Mais le châtiment ne rate pas.