Le Temps (Tunisia)

Le crime et le châtiment

- Raouf KHALSI

C’est tout de même déroutant : ceux qui avaient marché au cortège funèbre de Chokri Belaïd et qui ont eux-mêmes organisé le sit-in Errahil, après l’assassinat de Mohamed Brahmi, se mettent, aujourd’hui, à disserter à qui mieux mieux, sur les prétendus dépassemen­ts de Kaïs Saïed. Du coup, on s’emmêle les pinceaux et on confond tout. On bascule entre un chapitre et l’autre ; on confond entre consultati­on populaire et référendum, entre référendum et plébiscite et entre plébiscite et « réminiscen­ces dictatoria­les ».

Peut-être, sans doute, Kais Saied ne facilite-t-il pas lui-même les choses, dès lors qu’il s’en tient toujours aux mêmes leitmotivs, entre autres : l’inadéquati­on Légitimité/ Légalité, et surtout lorsqu’il s’agit d’une légitimité usurpée et d’une légalité phagocytée.

Cela fait une décennie que des comités de défense se battent pour que soit établie la vérité sur les assassinat­s politiques, sur le funeste appareil secret d’ennahdha, sur la désinvoltu­re avec laquelle Ghannouchi a asservi les institutio­ns du pays. Pourquoi, par exemple, n’a-t-on pas crié au scandale quand Youssef Chahed mit quatorze personnes en résidence surveillée ? Et avec les conséquenc­es que l’on sait ?

Quelque chose d’ambigu est en train de se mouvoir ces jours-ci : dès lors que

Saïed entend tout refaire (au niveau de la Justice), mais sur la base de données avérées, ah, le corporatis­me si doux des temps de « la Justice de B’hiri », monte au créneau. Peur d’être dévoyés ? Peur de se retrouver broyés par un retour de manivelle ? Peur d’être rattrapés par certains démons, mauvaise conscience d’une Justice qui n’aura servi que les intérêts de la secte et de ses suppôts…

Aujourd’hui, tout s’égrène. L’affaire Jilani Dabboussi s’internatio­nalise. Les dépassemen­ts et la persécutio­n féroce en prison, comme dans les tribunaux à l’endroit des suppôts de l’ancien régime, méritent eux-aussi qu’on les réexamine…

Si cela ne tenait qu’à des passeports falsifiés, à la limite, c’est dangereux, mais ce n’est pas grave.

Ce qui l’est, en revanche, c’est la Justice de dix bonnes années d’outrances, de racket, de spoliation­s et d’assassinat­s camouflés…

Or, voilà que les tribuns débarquent. Voilà que toutes les tendances antithétiq­ues se fondent dans le même moule de la contestati­on. Voilà qu’on essaiera par tous les moyens de distendre les mailles d’une Justice, opaque et mystérieus­e durant toute une décennie, mais qu’on cherchera à diluer dans le temps et dans l’espace. Or, le crime, ça paye parfois. Mais le châtiment ne rate pas.

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