La justice fiscale redéfinira les relations de l'afrique avec le monde
Le rapport de la CNUCED sur le développement économique en Afrique (2020) est sans appel : le continent subit une hémorragie constante de ses ressources, en raison de fuites de capitaux. Au niveau global, le FMI estime les pertes fiscales annuelles des sociétés associées au transfert de bénéfices vers les paradis fiscaux à 500 milliards de dollars, dont environ 200 milliards pour les pays en développement.
Plus spécifiquement, l'évasion fiscale du réseau des multinationales fait perdre à l'afrique 23,2 milliards de dollars chaque année (Tax Justice Network). Une manne imposante, qui fait dire au professeur émérite Léonce Ndikumana que la richesse accumulée à partir de la fuite des capitaux et dissimulée à l'étranger dépasse largement les engagements de l'afrique vis-à-vis du reste du monde, c'est-à-dire sa dette extérieure. Cet état de fait est d'autant plus dérangeant que les multinationales opérant sur le continent - et donc responsables de la situation - sont occidentales, pour leur écrasante majorité.
Pourtant, l'impôt sur les sociétés, source importante de recettes publiques pour les nations africaines, est vital pour les économies du continent en ce que le secteur informel y occupe une place prépondérante. S'ils étaient collectés, ces revenus pourraient grandement contribuer à combler les déficits de financement auxquels sont confrontés ces espaces dans leurs efforts pour atteindre les objectifs du développement durable. C'est pourquoi la ratification en octobre 2021 par 136 pays - représentant 90 % du PIB mondial - d'un accord visant à harmoniser la taxation des bénéfices des multinationales à hauteur de 15 % a tout le potentiel de renforcer les économies africaines, rééquilibrant par là même les relations entre le continent et le reste du monde.
En effet, cette action est tout d'abord une bonne nouvelle pour l'économie mondiale qui devrait en sortir largement gagnante : en créant ce taux plancher de 15% pour imposer les grandes entreprises de plus de 750 millions d'euros de chiffre d'affaires, la réforme neutralise les petits paradis fiscaux à taux 0. Elle devrait ainsi bénéficier aux pays en développement, à l'image du Nigeria, qui pourrait en tirer entre 200 et 300 millions de dollars par an, selon les dernières estimations.
Ce traité est par ailleurs susceptible de jeter les bases d'une fiscalité commune en Afrique, qui limiterait la pression des multinationales occidentales qui cherchent à obtenir des exemptions fiscales associées à la mise en concurrence généralisées des économies. Il permettrait aussi de rendre plus transparents et lisibles les systèmes fiscaux des économies du continent vis-à-vis des agences internationales qui y interviennent, mais surtout vis-à-vis des entreprises qui souhaitent s'implanter en Afrique et qui, lorsqu'elles n'ont pas les moyens de sonder les systèmes fiscaux de chaque état, reculent face à l'opacité à laquelle elles se pensent confrontées.
Enfin, cette décision pourrait permettre aux Etats africains d'être moins dépendant de l'aide internationale, en leur fournissant des capacités d'autofinancement et d'autonomie politique inédites, mais aussi en allégeant la pression fiscale à laquelle les entreprises « résidentes » - au sens de celles dont le siège social est implanté sur le continent - ne peuvent échapper. Autant d'actions qui contribueraient à développer des tissus économiques et industriels davantage pourvoyeurs d'emplois locaux, clés de tout développement économique.