Immersion dans un magazine vivant
C'est sur le thème de la Palestine du futur que l'exposition "Here After" se déploie dans la station d'art de Bhar Lazreg. Entre les feuilles d'une revue et les méandres de l'art, une démarche singulière du Collectif Lifta.
Le premier volume de la revue du Collectif Lifta a pour thème "Future Palestine". Plusieurs contributeurs y dressent le portrait d'un pays rêvé sous le regard attentif de Rashed Al Deiri et Amira Asad, animateurs du projet.
Un bouillonnement synchronique et diffus
Il en résulte un ouvrage de près de 250 pages dans lequel cohabitent plusieurs approches, écrites et dessinées dans plusieurs styles et langues. L'ensemble est saisissant dans la mesure où il nous met face à des fragments de Palestine et à des échos du monde. Les expressions littéraires coexistent avec des conversations hachées et parfois raturées comme pour dire leur précarité, des photographies jouxtent des poèmes ou des échanges épistolaires, des posters succèdent à des cartes géographiques et des palimpsestes.
Véritable fouillis de sens, ce volume créé - car il s'agit bien de création - par le Collectif Lifta n'est en aucun cas hétéroclite ou hétérogène. De fait, il s'agit ici d'un message jaillissant qui s'exprime de diverses manières et appartient à une même matrice artistique et intellectuelle. Ce message est diffus dans chaque bribe d'expression et il faut savoir s'en emparer pour appréhender ce volume comme un tout bruissant de mille paroles feutrées ou rugissantes, de mille gestes défricheurs d'avenir. Face au bouillonnement des idées et des démarches artistiques, il fallait envisager de découvrir ce flux irrépressible autrement qu'en feuilletant un ouvrage.
C'est dans cet esprit qu'est née l'exposition "Here After" dont le titre se réfère en le détournant du "Hic et Nunc" des Latins. Ce titre est plein de significations et peutêtre que la plus éloquente d'entre elles, consiste dans le brouillage entre réalité et fiction, dans un subtil télescopage des logiques temporelles. En effet, le principe même de "Future Palestine" est d'être un moment synchronique, une sorte de convergence qui placerait l'ordre du discours dans une fusion de tous les statismes diachroniques, compartimentés et figés.
Une double dialectique de la déconstruction
Dans cette exposition, c'est la fluidité induite par ce concept qui est mise en jeu. Il s'agit ni plus ni moins que d'immerger le visiteur dans les pages de la revue. L'impression qui vous prend en visitant l'exposition est bien celle de déambuler dans un univers qui est en plein mouvement, qui est traversé de multiples tensions et tiraillements, qui frémit en permanence tant les idées partagées sont porteuses de radicalité constructive. Imaginée par Karim Sultan, commissaire de l'événement, et développée par la Fondation Kamel Lazaar, cette exposition s'inscrit dans un double mouvement qui consiste à déconstruire une revue qui ellemême déconstruit les poncifs et les rhétoriques ressassées. Il est alors propice, en un deuxième temps, de reconstruire le contenu de la revue dans l'espace ouvert et vivant d'une station d'art. Par conséquent, le visiteur se trouve projeté dans une nouvelle dimension, se promène entre les pages et les chapitres, est confronté à des extraits, citations et fragments tout en découvrant à chaque pas, de nouveaux reflets. Dans ce kaléidoscope qui se place à "un pas du passé et du présent", tout retrouve un sens, s'emboîte et éclaire le visiteur. À elle seule, cette impression de traverser une revue, constitue l'apanage créatif de cette exposition qui, parfois, nous place dans une autre forme de reconstruction : celle de discours qui vont chercher dans la science-fiction, leurs accents mythiques et tentent de sortir des litanies guerrières ou romantiques qui sont la sémiologie traditionnelle de la Palestine.
Une sémiotique du puzzle
Subtilement, l'exposition instaure une sémiotique alternative qui oscille entre le cri votif et l'oeuvre fragmentée. Ces éclats de sens sont clairement posés sous nos yeux et chaque pas que nous faisons, nous place dans une nouvelle dimension, sous d'autres éclairages.
Cette exposition comprend d'autres éléments tout aussi dynamiques, notamment une trilogie filmique de Larissa Sansour et un texte à vif de Karim Kattan. Toutefois, ces deux volets de "Here After" ne peuvent être pleinement saisis qu'en tant que contrepoints à l'oeuvre du Collectif Lifta, qui continue à se développer et invite chacun à ajouter une pièce de sens à cette sémiotique du puzzle. Car au fond, cette exposition ancrée dans une revue est aussi une invitation à poursuivre la réflexion entamée et déployée par Lifta, à s'en emparer pour lui donner nos propres prolongements et lui donner ainsi son caractère de manifeste futuriste entre esthétique et militance.