Boris Johnson ou la culture du mensonge
Au Royaume-uni, dont la prééminence du droit est l’une des facettes de l’identité, le mépris affiché par son premier ministre pour les règles édictées sous sa propre autorité cause à juste titre une intense colère. Les Britanniques, comme toutes les populations touchées par le Covid, ont enduré leur lot de drames, de contraintes et de privations : confinements, réunions familiales annulées, funérailles en petit comité. Le pays vient de franchir le cap des 150 000 décès liés à la pandémie, un triste record, assorti d’un taux par habitant supérieur à celui de l’union européenne (UE). Or, pendant qu’il édictait interdits et sanctions envers la population, le gouvernement de Boris Johnson multipliait les parties arrosées à Downing Street. Selon les révélations de la presse, le premier ministre a participé en mai 2020 à l’une de ces fêtes collectives moins d’une heure après que l’un de ses ministres eut annoncé l’interdiction de tels rassemblements. En avril 2021, une autre de ces réceptions s’est tenue la veille du jour où la reine Elizabeth a assisté seule, dans la chapelle de Windsor, aux obsèques de son époux, Philip. Poignante, l’image de la reine assise au milieu de stalles vides, face au cercueil du prince, a fait le tour du monde. Dans un pays dont la prééminence du droit (« the rule of law ») est l’une des facettes de l’identité, le mépris affiché par Boris Johnson pour les règles édictées sous sa propre autorité cause à juste titre une intense colère. Deux Britanniques sur trois souhaitent sa démission, selon des sondages, tout comme plusieurs députés de son parti. Venant après une longue série de bévues, le scandale des parties illégales est visiblement celui de trop, celui qui marque le début de la fin du règne tonitruant de M. Johnson sur la politique britannique. Cette fois, le mépris à l’égard du peuple est flagrant.
Illusionniste
En 2019, alors que Westminster était paralysé, incapable de dégager une majorité sur l’accord de divorce avec l’union européenne négocié par Theresa May, Boris Johnson était apparu non seulement comme le sauveur du Parti conservateur, mais comme l’homme qui allait enfin « réaliser le Brexit ». Son opportunisme, sa légèreté, son rapport élastique à la vérité étaient déjà connus. Mais enveloppées dans un aplomb phénoménal, un indéniable charisme et un solide humour, ces caractéristiques du personnage ont pu apparaître à certains Britanniques comme des atouts, au moment de larguer les amarres avec le continent. Depuis lors, les deux principales constantes de M. Johnson auront été son mépris des institutions et sa propension aux mensonges, associée à sa rage à les nier. A l’été 2019, craignant la censure des députés à propos du Brexit, il est allé jusqu’à « suspendre » le Parlement, jusqu’à ce que la Cour suprême stoppe l’aventure. Reniant sa propre signature sur les contrôles douaniers en mer d’irlande, il a menacé, plus récemment, de dénoncer l’accord sur le Brexit. Même pris sur le fait, Boris Johnson continue de nier : les soirées de Downing Street étaient des « réunions de travail », a-t-il osé. Mais le mensonge originel du premier ministre a porté sur rien de moins que le Brexit luimême. En répétant que les Britanniques pourraient « avoir le beurre et l’argent du beurre » (« to have the cake and eat it ») une fois sortis de L’UE, Boris Johnson a séduit une large partie de l’opinion : à la fois des électeurs populaires pro-brexit, à qui il a fait miroiter l’aide de l’etat, et les ultralibéraux de son parti, qui attendent au contraire une dérégulation drastique. Aujourd’hui, tous attendent en vain les « dividendes du Brexit » qu’il a promis. La démocratie britannique aura besoin de tous ses atouts pour sortir le pays de l’impasse où l’illusionniste « Boris » l’a conduit.