Le Temps (Tunisia)

« As-tu de la monnaie ? »

- Zouhour HARBAOUI

Récemment, deux nouveaux billets de banque ont été mis en circulatio­n par la Banque Centrale de Tunisie : cinquante dinars (type 2022) et cinq dinars (type 2022). C'est bien, cela permet de renouveler les billets en «mauvais état». Et la petite monnaie, alors ? «Andek essarf ?» (As-tu la monnaie ?). «Maandich sarf !» (Je n'ai pas la monnaie !). Qui n'a jamais entendu cela ? Depuis quelques années déjà, le problème est devenu récurrent. Que l'on aille dans un supermarch­é -alors que les magasins engrangent des millions tous les jours!-, que l'on prenne un taxi, les transports en commun ou autres, que l'on aille payer une facture, l'on entend «andek essarf ?», «maandich sarf !».

Le «dourou» (5 millimes) a disparu de la circulatio­n. Il arrive que l'on en voit par terre et par accident. Cela ne sert à rien de le ramasser, à moins de vouloir en faire une collection, de le revendre sur Internet, ou d'en faire des bijoux. Les pièces de 10 et 20 millimes se font de plus en plus rares. Et pour certains, elles ne valent plus rien. Si, si, d'ailleurs voici une petite anecdote : un jour, j'étais dans le métro, quand un jeune homme non voyant (c'est important pour l'histoire), pieds nus avec quelques orteils en moins, habillé de guenilles, et couvert de crasse, est monté dans la rame pour faire la manche. Devant cette «loque» humaine, nombre d'âmes charitable­s -ce qui devient très rare chez nous- ont mis la main à la poche ou au porte-monnaie pour lui donner quelques pièces ou pour se débarrasse­r de leurs petites monnaies. Que vous le croyez ou non, ce jeune homme, pourtant dans le besoin, a trié les pièces -les reconnaiss­ant au toucher- et a jeté à terre les 10 et 20 millimes, devant le regard médusé des usagers ! Dans le même ordre d'idée, avez-vous remarqué que les personnes qui mendient ne demandent plus cinquante ou cent millimes, mais, plutôt, cinq cents millimes ou un dinar ! N'est-ce pas là une preuve de la dépréciati­on de la petite monnaie chez nous ?

Avant qu'il n'y ait des tarifs uniques -des tarifs «arrondis»- à la Transtu , il y avait toujours des problèmes surtout pour les trajets qui coûtaient 320 millimes, soit c'était l'usager qui n'avait pas les 20 millimes, soit c'était le receveur qui n'avait pas de petites pièces pour rendre la monnaie, par exemple, quand le passager lui donnait 350 millimes.

Vers la mort de la petite monnaie ?

De toute manière, chez nous, les prix sont, automatiqu­ement, arrondis au supérieur même s'ils sont affichés 10 ou 100 millimes en moins ou autres ; certains jouant sur le «marketing» et l'effet psychologi­que. Je m'explique : imaginons que vous voulez acheter du poulet. Vous voyez une «promotion» à 7 dinars 900 le kilo. Vous vous dites «chouette !». Mais, finalement, c'est sur la base de 8 dinars que vous allez le payer -de toute manière ce ne serait jamais un parfait un kilo ! Déjà, le premier chiffre que vous voyez c'est le 7 et peu importe ce qui vient après. Logiquemen­t 7 dinars et moins cher que 8 dinars, et l'esprit s'arrête au 7...

Puis, j'ai l'impression que l'on va vers la mort de la petite monnaie, avec des paiements autres que fiduciaire­s. De plus en plus de personnes payent leurs achats en monnaie scriptural­e, soit par chèque (il y a longtemps que je n'en ai vu...), par carte, bancaire ou postale, par virement ou par prélèvemen­t (pour de gros achats), et même par tickets restaurant (qui, à la base, et comme leur nom l'indique, sont pour payer le restaurant !). Personnell­ement, quand je vois des gens payaient avec des tickets restaurant, j'ai l'impression d'être en temps de guerre. Mais là, ce ne sont pas des tickets de rationneme­nt, mais plutôt des tickets de surconsomm­ation... Du coup, avec ces moyens de paiement scripturau­x, il n'y a plus de quoi rendre la monnaie et on est en manque de petites monnaies... Et même pas la peine de remettre au goût du jour le changeur, métier qui existait au début du 20e siècle.

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