Le Temps (Tunisia)

Les villes, enjeu stratégiqu­e et moral pour Kiev

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Sur les bords de la mer d’azov, les Ukrainiens ont tenu, pendant des semaines, le complexe industriel d’azovstal, alors que le reste de Marioupol, en ruines, était déjà sous contrôle russe. Depuis quelque temps, Severodone­tsk semble elle aussi au bord de tomber. L’armée ukrainienn­e a annoncé lundi avoir abandonné le centre-ville. Mais de cesser le combat, il n’est pas question. Deux villes largement détruites, des semaines de feu à la limite du désespoir, mais pour des enjeux différents. «Le siège de Marioupol a forcé les Russes à allouer des forces substantie­lles» pour s’en emparer, explique William Schneider, chercheur à l’institut américain Hudson, estimant que le déploiemen­t de plus de douze bataillons russes vers le Donbass avait été retardé pour prendre la cité portuaire.

Severodone­tsk, aux portes de la région, «a une significat­ion politico-militaire plus large», relève l’américain, dès lors que Moscou veut à court terme «prendre le contrôle de toute la région et l’annexer».

«Encouragés par l’exemple»

Depuis le début de l’invasion russe, les forces de Kiev ont déjoué les pronostics. La capitale n’est pas tombée, le nord du pays a résisté. Moscou a revu ses objectifs pour se concentrer sur l’est. Dans le même temps, la nation ukrainienn­e s’est révélée à elle-même, derrière la figure auparavant contestée du président Volodymyr Zelensky, lequel est devenu le guide charismati­que d’une résistance acharnée. «À Marioupol en particulie­r, les Ukrainiens peuvent apparaître comme des martyrs», constate une source militaire française sous couvert d’anonymat. «Même si c’est désespéré, c’est une façon de garantir le ciment et l’homogénéit­é des unités, qui sont armées de plus en plus par de jeunes soldats ou des volontaire­s qui ont rejoint la guerre tardivemen­t, unités qui ont aussi besoin d’être encouragée­s par l’exemple.»

Désertions et pertes humaines L’effet est donc largement psychologi­que, mais aussi extrêmemen­t concret. «À chaque fois que les Russes ont été ralentis dans une ville, ça les a empêchés d’avoir une manoeuvre dynamique», constate l’officier français. Pour autant, la méthode est coûteuse. Les forces de Moscou grignotent du terrain et bombardent aveuglémen­t l’adversaire. Le ministère britanniqu­e de la Défense évoquait, la semaine dernière, des désertions côté ukrainien. «Il commence à y avoir des soldats qui, par la pression, la fatigue, la puissance de feu qui leur tombe dessus, décrochent», confirme le militaire français.

Kiev a récemment admis une centaine de morts et 500 blessés par jour. Côté russe, c’est peut-être pire encore. Les chiffres fiables manquent, mais l’histoire de la guerre montre que la défense souffre moins que l’attaque.

Une guerre d’usure Assurément, ce qui se joue est une guerre d’usure. «Le sujet n’est pas la progressio­n russe limitée, progressiv­e, mais plutôt qui use qui, plus vite que l’autre?» résume, sur Twitter, Gustav Gressel, analyste au Conseil européen des relations internatio­nales. Pourquoi se battre pour Severodone­tsk? «La ville est favorable à la défense», rappelle-t-il. «Si vous pouvez forcer l’ennemi à s’y battre, vous avez de meilleures chances.» Dans une récente analyse sur le début de la guerre pour l’institut français de relations internatio­nales, l’ancien colonel français Michel Goya relevait que plus de 30 villes ukrainienn­es avaient la taille nécessaire pour «résister plus d’un mois à une armée russe complète». S'y ajoutent «quatre villes superbasti­ons de plus d’un million d’habitants» à l’est du fleuve Dniepr, qui coupe l’ukraine en deux. La suite du conflit pourrait donc se figer autour d’autres villes.

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