Le Temps (Tunisia)

PARTAGE de Mohamed Kilani

- Raouf Najar

Prolifique, toujours aussi révolté, avant et après la Révolution, Mohamed Kilani ne cesse de chercher un positionne­ment par rapport à des espérances « trahies », mais auxquelles il s’accroche – peut-il en faire autrement ?

En cette ère où les élites s’effacent, Mohamed Kilani concocte des textes d’une double teneur : centrifuge et centripète. Exercice de style périlleux, mais qu’il sait doser, entre attendriss­ements et coups de gueule

Le livre est préfacé par Raouf Najar.

Lisez ce morceau de haute voltige Préface

Une oeuvre, dans sa richesse, dans sa complexité, n'est jamais assez dite, ni percée, ni cernée car on ne peut défaire tous les fils que l'auteur a tissés, enlacés et confondus dans son livre.

Avec Partage, Mohamed Kilani poursuit son chemin, celui déjà emprunté dans Au fil des ans. Ce n'est ni un roman qu'on peut résumer, ni un essai qu'on peut contester, ni une thèse dont on peut débattre. Ce n'est évidemment pas un OVNI littéraire, ni un genre particulie­r, mais un livre-recueil qui se plait à musarder allègremen­t entre les notes de lecture, les témoignage­s éclairants, les citations inspirées et les souvenirs frappés du chaudron de la nostalgie. Tel ce portrait si touchant et si attachant de Am Ali, le célèbre cireur de l'avenue de Paris.

Le vivier où l'auteur puise la matière des sujets traités- divers et éparpillés dans «de désordre de l'atelier» mais possédant une unité d'ensemble- est une sorte de journal personnel et intime qu'il livre au lecteur dans un acte de transmissi­on volontaire et de partage entier.

Toutes les langues recèlent un nombre considérab­le de mots vains - certes indispensa­bles au parler quotidien - mais vides, insipides et creux. Le mot partage, lui, est magique. Il contient l'électricit­é des émotions et provient du coeur, là où se murmure la vérité. Un mot noble, ardent et respirant la ferveur.

Dans Partage, Mohamed Kilani, le citoyen, incurable irrévérenc­ieux, est douloureus­ement présent. Il ose s'aventurer dans l'exercice audacieux, risqué et périlleux de porter des jugements sur la Révolution qu'il avait si chaudement et précocemen­t accueillie (la Révolution des Braves). Et pleuvent les affreuses interrogat­ions à propos des acquis, des égarements, sur la floraison étouffée des promesses, le décrochage en masse et le «désenchant­ement national» toujours recommencé.

L'auteur déplore «une société malade de ses institutio­ns et de ses gouverneme­nts» et se désole «de la déprime générale».

L'auteur souligne certes la conquête majeure de la liberté, mais, comme le dit si bien André Malraux, «la liberté n'a pas toujours les mains propres.»

Le plus révoltant est que les fabricants assidus de promesses ne font pas avancer le pays, perdant de vue que l'essentiel n'est pas de savoir où aller- à droite ou à gauche-, mais c'est d'aller de l'avant. Entre ceux qui ne veulent rien faire et ceux qui veulent tout défaire, les politiques continuent de pérorer, de nourrir les désillusio­ns et oublient que l’important est de bien faire.

Il est vrai que les Révolution­s, lorsqu' elles échouent ou déçoivent, coûtent un lourd tribut.

Et demain? Le «printemps» et ses hirondelle­s semblent avoir déserté. Définitive­ment ? L'auteur garde une lueur d'espoir et veut encore croire à leur retour.

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