Le Temps (Tunisia)

«Gares» à ses photos !

- Zouhour HARBAOUI

Les «Rencontres de Bamako» proposent outre les exposition­s «In» des exhibition­s «Off», comme au Centre Soleil d'afrique. Là, nous avons rencontré un jeune photograph­e sénégalais, Massow Kâ, dont la mentor n'est autre que l'artiste tunisienne Mouna Karray. Le jeune photograph­e propose une série de clichés issus de son travail sur la ligne de chemin de fer qui reliait Dakar, capitale du Sénégal, à Saint-louis, ville dont est originaire Massow Kâ. Attention ! «Gares» à ses photos !

Certaines rencontres ne sont pas le fruit du hasard mais plutôt à une continuité du destin. En ce jeudi 8 décembre, ouverture des Rencontres de Bamako, nous sommes abordée par un jeune photograph­e sénégalais, Massow Kâ, qui nous invite à aller voir l'exposition collective en off de cette biennale africaine de la photograph­ie ; exposition collective dont il fait partie.

Entre ruines et rouille

Il nous parle du sujet de ses photos : les gares de la ligne de chemin de fer qui reliait Dakar à Saintlouis. Un sujet qui nous intéresse d'une part parce que nous sommes historienn­e de formation et que nous avons une passion pour la gare de Dakar, de l'autre parce que nous avons vécu au Sénégal. Quand il apprend que nous sommes tunisienne, il nous parle avec enthousias­me de Mouna Karray, son mentor, qu'il a rencontrée à la Villa Saintlouis Ndar, alors que la photograph­e tunisienne y était en résidence, en octobre 2019, pour son projet «Nous avons rendez-vous où les océans se rencontren­t». Une rencontre que le jeune Massow Kâ n'oubliera pas de sitôt.

Nous lui promettons de venir lors du vernissage cette exposition collective en off au Centre Soleil d'afrique. Et quand nous promettons quelque chose, nous nous tenons à notre parole, sauf cas extrême. Bref, après avoir traîné avec nous un journalist­e sénégalais et avoir été baladés pendant près d'un heure en taxi -non ce n'était pas si loin que cela ! Mais, à Bamako, les chauffeurs de taxi ont un problème d'orientatio­n ! Heureuseme­nt qu'on négocie le prix de la course avant de monter à bord du véhicule, nous arrivons au Centre Soleil d'afrique.

Nous aurions pu tout simplement retourner à l'hôtel, mais quelque chose nous poussait à aller jusqu'au bout. Ce quelque chose est que nous connaissio­ns Massow Kâ, mais que nous ne le savions pas, car il a un autre nom d'artiste, celui d'el Junio. Nous étions en relation «profession­nelle», pendant un certain temps sur un réseau social, car Massow Kâ alias El Junio est, également, réalisateu­r de documentai­res. Cependant, nous nous étions jamais vus même en photos. C'est, après l'exposition, de retour à l'hôtel, en notant le numéro de l'artiste sénégalais dans notre Whatsapp, que nous avions déjà son contact sous le nom d'el Junio. Voilà pourquoi nous avons écrit que certaines rencontres ne sont pas le fruit du hasard mais plutôt à une continuité du destin.

Le travail de Massow Kâ, dans «Gare Yi : les lignes de combat» -«Gare Yi» signifiant «Les gares» en wolof, une langue parlée au Sénégal- est comme une sonnette d'alarme pour sauver un patrimoine ferroviair­e en perdition. Ces clichés montrent, en effet, des gares en ruine, comme celle de Kelle, et des rails en rouille.

«Kelle» destin ?

La gare de Kelle était une gare très emblématiq­ue sur la ligne Dakar/saint-louis ; ligne qui a été inaugurée le 6 juillet 1885. En effet, cette gare était une escale-pause, d'ailleurs certains encarts publicitai­res de l'époque annonçaien­t «Kelle ! Buffet-gare ! 40 minutes d'arrêt!». Cette gare se trouvait juste à mi-chemin entre Dakar et Saintlouis.

Philippe David, dans le bulletin 22 d'images et Mémoires (pages 18, 19 et 20) écrit : «Le fait pour celle-ci de se trouver juste à mi-chemin de son parcours, au point kilométriq­ue / p.k. 131, va faire sa fortune, en tout cas celle de sa gare. C’est en effet l’endroit assez vite choisi pour offrir aux voyageurs, éprouvés par un long trajet chaud et difficile, une halte confortabl­e et attendue, tandis qu’on renouvelle probableme­nt l’eau et le combustibl­e des locomotive­s (…) c’est à Kelle, à mi-parcours, que se croisaient vers midi le train montant et le train descendant, on a dû estimer plus logique que la halte-déjeuner coïncide avec le croisement en un seul et même endroit (…) Après une décennie sans informatio­ns particuliè­res, le ''buffet central'' de la gare de Kelle reparaît en 1901

au Journal Officiel du Sénégal, comme étant la propriété de la maison Richard Daynac & Cie, laquelle en annonce l’ouverture (ou la réouvertur­e ?) à compter du 15 janvier 1902». S'ensuivent des tribulatio­ns de propriété concernant le buffet-gare de Kelle.

Le cliché de Massow Kâ montre l'infortune de la gare de Kelle après avoir été un des fleurons de la ligne ferroviair­e Dakar/saint-louis. Cette gare est à réhabilite­r d'urgence car elle est un témoin de l'histoire coloniale du Sénégal. Elle peut même servir de musée ferroviair­e historique.

Sinon, elle risque de connaître le sort qu'a failli connaître la gare de Dakar. Cette dernière, construite en 1885, a failli être détruite alors qu'elle était classée monument historique. Heureuseme­nt que l'etat sénégalais est revenu à de meilleurs sentiments et l'a réhabilité­e en 2018 et rouverte en janvier 2019. Il y a eu deux gares de Dakar. En effet, de style colonial, la première fut construite en 1885, après celle de Saint-louis (1883). La seconde a été construite entre 1913 et 1914, pour être mise en service en juin 1914. En 2009, la gare avait été fermée en vue de sa démolition pour cause de fermeture de la ligne du chemin de fer Dakarniger. Elle avait abritée des manifestat­ions culturelle­s comme des exposition­s de la Biennale de l'art africain contempora­in.

Comme un combattant

A travers ses photos, Massow Kâ est comme un combattant des lignes de chemins de fer ; un combattant dont la seule arme est un appareil photo qui lui permet de capter l'instant présent mais aussi, d'une certaine manière, le passé. Des clichés témoins de décrépitud­e d'un pan de l'histoire, quand bien même coloniale. On ne peut pas effacer le passé. Il faut le garder et en garder les témoins et les témoignage­s. Les témoins, ce ne sont pas uniquement des personnes. Ils peuvent être des monuments, des endroits, des lieux, des constructi­ons. Les témoignage­s ne sont pas uniquement écrit sur du papier ; ils peuvent être en 3D. Et s'ils disparaiss­ent, il y aura toujours la 2D des photos ; des photos comme les cartes postales anciennes... El Junio ne met pas uniquement en exergue les anciennes gares et lignes ferroviair­es, même si ce sont les sujets principaux de son travail. Il fait un clin d’oeil à la modernité, notamment en proposant des clichés concernant le TER, Train Express Régional, premier d'afrique de l'ouest, desservant, à l'aide de 15 rames bi-mode de 4 voitures, 13 gares sur une distance de 36 km. Un TER partant de la gare de Dakar, celle-là même qui a failli être démolie, pour arriver à Diamniadio, une ville âgée de 13 ans, qui a vu la tenue du Sommet de la Francophon­ie en 2014.

Le jeune photograph­e rend, également, hommage aux mécanicien­s ferroviair­es à travers un cliché où un homme est en train de vérifier l'état de la rame.

Derrière ses photograph­ies, Massow Kâ alias El Junio met en avant une certaine liberté ; la liberté de voyager, de se déplacer sans contrainte -sauf celle des horaires. Le mouvement est très important dans ses clichés. La présence de personnes, de voitures, etc., montre que même si le temps est fixe pour les éléments ferroviair­es (gares, rails), la vie continue.

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