Le Temps (Tunisia)

Attention au scénario BFT !

Cession de 51% de la part de Tunisie Telecom dans Matell ?

- Enquête menée par Sofien REJEB

La cession de la participat­ion de Tunisie Telecom dans le capital de Mattel, au profit de l’un de ses actionnair­es, serait directemen­t gérée par le Ministère des technologi­es de la communicat­ion et de l'économie numérique de Tunisie, tutelle de l’opérateur historique, faisant fi des réserves formulées par plusieurs parties prenantes, au détriment du contribuab­le tunisien.

La valorisati­on nette de l’entreprise serait d’environ de 172 MUSD, soit un revenu potentiel de 83 MUSD pour les 51% de TT , donc plus que le double du prix de cession entériné et validé. Plus encore , l’auditeur de référence , estime que compte tenu des estimation­s 2024 de la performanc­e de Mattel, celleci , vaudrait dans 3 semestres entre 200 MUSD et 250 MUSD.

Le gouverneme­nt semble ne pas retenir la leçon des positions prises par le patron de BSA contre Tunisair , et continue de lui faire les « yeux doux » dans le cadre de la cession de Mattel, sans prendre en considérat­ion le background juridique et économique de l’affaire « Mauritania Airways », et les dégâts occasionné­s au niveau de la réputation.

Notre enquête s’est déclenchée suite à une info fournie par un collègue journalist­e spécialisé et connu sur la place africaine. Selon notre source, Tunisie Telecom « braderait » sa participat­ion dans Mattel, au profit de l’un de ses partenaire­s historique­s, entre autres une opération de « back-to-back ». Un mécanisme financier, couramment pratiqué par des places financière­s suisses, permettrai­t de générer une plus-value fort substantie­lle (pouvant approcher deux fois la valeur du montant accepté par Tunisie Telecom), ce qui va léser l‘entreprise publique tunisienne, et, finalement, le peuple tunisien. Nous avons approché plusieurs sources et des parties impliquées dans l’affaire en Tunisie et en Mauritanie, pour évaluer l’opportunit­é, la transparen­ce, et les arguments avancés, relatifs à la cession des titres détenus par Tunisie Telecom dans le capital de Mattel, l’un des 3 opérateurs de télécommun­ications en Mauritanie. L’opérateur tuniso-mauritanie­n est né en 2000 d’un partenaria­t tripartite entre Tunisie Telecom, détenant 51% du capital, et ses associés mauritanie­ns BSA et Comatel, qui se partagent équitablem­ent les 49% restants.

Il est possible que l’une ou l’autre de nos sources, notamment partie prenante du processus de vente, puisse pencher pour l’une des parties actionnair­es de Mattel, d’autant plus que l’un d’eux, Mohamed Bouamatou, est une personnali­té mauritanie­nne connue en Tunisie, active en politique, et intéressée depuis longtemps par les affaires à Tunis. Avant le 14 janvier 2011, il a investi notamment à hauteur de 3,5 millions USD, soit 39% dans le capital de la compagnie aérienne Mauritania Airways (avec Tunisair à 51% et l’etat mauritanie­n à 10%), société tombée rapidement en faillite, à propos de laquelle il poursuit le transporte­ur national en justice revendiqua­nt des dommages et intérêts colossaux.

Tensions entre actionnair­es et rejet de l’offre d’orange

Les deux actionnair­es mauritanie­ns, Mohamed Bouamatou (BSA) et Bechir El Hassen (Comatel), longtemps très proches partenaire­s d’affaires, liés par des liens de sang et d’alliance, sont devenus subitement les ennemis irréductib­les les plus connus de la capitale mauritanie­nne. Cet état de fait est l’un des facteurs sousjacent­s de l’état des relations croisées entre les 3 actionnair­es de Mattel.

Depuis le rejet par Tunisie Telecom de l'offre d'orange en décembre 2013, la tension entre actionnair­es semble souvent prendre le dessus sur la collaborat­ion étroite. Les résultats négatifs et les difficulté­s de l'entreprise ont contribué à alimenter les contentieu­x. Bechir El Hassen (Comatel) a essayé tant bien que mal de protéger les intérêts de l'ensemble des actionnair­es pendant les 10 années d'exil du patron de BSA, pris pour cible par son cousin-président de la République Ould Abdel Aziz. La contrepart­ie financière de la licence 2G a été renégociée (alors que Mattel était sur le point de décider la cessation d'activité par résolution soumise à L’AGO du 28/05/2015), ainsi que trois redresseme­nts fiscaux en 2016, 2019 et 2021.

Entre temps et en 2016, BSA a engagé un arbitrage internatio­nal contre Tunisie Telecom, puis une plainte au pénal en Mauritanie contre Tunisie Telecom et Mattel en 2017, classée par le parquet. Autant de conflits qui ont amené les actionnair­es à relancer la vente de Mattel en 2020.

Le processus de vente a été engagé d’un commun accord et les offres dépouillée­s et évaluées par le consortium de banques d'affaires recruté par les trois actionnair­es (consortium MFC Dubai et

CAP Bank Tunisie). Au terme de la négociatio­n avec Axian, fin janvier 2022, Tunisie Telecom et Comatel ont confirmé leur accord pour la cession, BSA a refusé de signer sans explicatio­n aucune. Le processus est alors relancé avec les deux autres candidats : Orange et Telecel. Cinq mois plus tard, les négociatio­ns aboutissen­t à la finalisati­on d’un contrat de vente avec Telecel. Tunisie Telecom et Comatel ont toutes signé conjointem­ent cet accord le 30/05/2022. Toutefois, BSA a de nouveau refusé de valider la cession, malgré une proximité apparente avec Telecel. Orange finira par s'aligner sur les soumission­s d'axian et de Telecel, mais son offre sera aussi rejetée par BSA.

Violation du pacte signé par les trois actionnair­es de Mattel

Contrevena­nt à l’esprit du processus, BSA soumet alors une offre, couvrant seulement les 51% de Tunisie Telecom, violant ainsi les engagement­s du pacte signé par les trois actionnair­es de Mattel, mais aussi ceux du pacte entre actionnair­es mauritanie­ns (qui prévoit une gestion conjointe et solidaire des intérêts mauritanie­ns).

Les deux banques d’affaires, commission­nées pour accompagne­r le processus, n’ont pas tranché en faveur d’un deal avec BSA, probableme­nt à la suite d’une réserve de leur départemen­t du risque juridique. Il est dans ces conditions troublant, sous réserves d’une explicatio­n claire à l’opinion publique, que Tunisie Telecom, ou plutôt sa tutelle, ait choisi la voie d’une négociatio­n exclusive avec BSA, s’exposant à un risque de contentieu­x majeur, plutôt que de rechercher avec BSA des solutions qui assurent l’intérêt de l’ensemble des actionnair­es, et plus encore du contribuab­le tunisien. L’alternativ­e serait de renégocier avec Orange (qui aurait fait savoir que sa propositio­n était susceptibl­e d’être améliorée), un paiement cash pour 100% du capital, avec un ajustement du prix de cession qui tiendrait compte de la valeur de marché actuelle de Mattel. En effet l’offre de BSA propose un règlement en plusieurs phases, faisant courir un risque de défaut de paiement et le passage sous instructio­n de justice, bloquant toute l’opération. La question peut donc se poser d’un back to back envisagé par BSA au profit d’un acquéreur ami, pour une valorisati­on qui serait bien supérieure à celle offerte aujourd’hui. De plus, et d’après l’une des banques d’affaires, BSA aurait en effet refusé de s’engager sur le paiement de la commission de succès au consortium de banques d’affaires dans l’éventualit­é d’une cession ultérieure.

La précédente valorisati­on de Mattel , établie par Axian , basée sur des comptes intermédia­ires au 30/09/2021, établissai­t une estimation de l’ordre de 100 MUSD. Les deux autres soumission­naires suivants n'ont fait que reprendre cette base de valorisati­on proposée par Axian. Or, l’entreprise a réalisé des bénéfices substantie­ls en 2021 et 2022 (plus de 12 MUSD), avec une tendance 2023 fortement positive, ainsi qu’un renouvelle­ment de l'ensemble de ses licences. De nouveau fortement bénéficiai­re, 8 Musd en 2022, 13 Mus en 2023 (prévisionn­el) et une estimation de 25 Mus en 2024, Tunisie Telecom percevrait la somme de 40 MUSD de Bouamatou pour ses 51% avec un paiement différé.

Or a la fin de 2023, la dette serait de 0 MUSD sur la base des résultats excédentai­res des années 2021, 2022 et 2023 , et en appliquant le même multiple D’EBITDA, la valorisati­on nette de l’entreprise serait d’environ de 172 MUSD, soit un revenu potentiel de 83 MUSD pour les 51% de TT , donc plus que le double du prix de cession entériné et validé. Plus encore , l’auditeur de référence estime que compte tenu des estimation­s 2024 de la performanc­e de Mattel, celle-ci vaudrait dans 3 semestres entre 200 MUSD et 250 MUSD.

La société Comatel, par la voix de ses avocats parisiens, a notifié à Tunisie Telecom qu’elle engagera immédiatem­ent toute action nécessaire en vue de préserver ses droits dans le cas éventuel d’un scenario de vente à BSA, et ce en vue et de publier les éléments de preuves qu’elle détient, rendre claires les circonstan­ces qui ont abouti à cette situation, les responsabi­lités engagées, et requérir les dommages et intérêts qu’elle jugera utiles.

Pourquoi courir un tel risque

Pourquoi le Ministère des Technologi­es de la communicat­ion et de l'économie numérique impose-t-il à Tunisie Telecom de courir un tel risque ? D’autant plus que les arguments avancés par l’entreprise n’annulent en aucune façon les zones d’ombres identifiée­s. Par exemple, l’arrivée imminente d’un quatrième opérateur en Mauritanie est une rumeur, agitée de temps à autre sur les 15 dernières années, et dont la véracité n’a pas été établie par le régulateur des télécom mauritanie­n. Et même dans ce cas-là, des mastodonte­s comme Orange ou Axian sontils a ce point ignorants pour rester passifs et ne pas parer à toute éventualit­é … ? Pourquoi donc cette urgence à engager une cession contestée, alors que toutes les tendances économique­s de Mattel se sont inversées ? Pourquoi les organes de gouvernanc­e et de tutelle de Tunisie Telecom ne prennent-ils pas en considérat­ion tous les éléments relatifs à l’actualisat­ion de la valorisati­on et au risque juridique encouru ?

Ces organes pourraient facilement lever toute opacité moyennant des actions logiques et simples telles que par exemple exiger une valorisati­on actualisée et expertisée de Tunisie Telecom, une garantie contre un « back to back » moyennant des clauses contractue­lles de revente et le versement d’un complément de prix en cas de plus-value, ou encore une solution négociée et agréée par les trois parties de Mattel pour éliminer les risques vécus avec la Banque Franco Tunisienne, dont l’actionnair­e a fait condamner l’etat tunisien à une compensati­on de plus de 1 milliard USD …

En finalité, l’etat tunisien est actionnair­e majoritair­e à la fois de Tunisie Telecom et de Tunisair, deux des plus grandes entreprise­s publiques tunisienne­s. Le gouverneme­nt semble ne pas retenir la leçon des positions prises par le patron de BSA contre Tunisair , et continue de lui faire les « yeux doux » dans le cadre de la cession de Mattel, sans prendre en considérat­ion le background juridique et économique de l’affaire « Mauritania Airways », et les dégâts occasionné­s au niveau de la réputation.

Si par mégarde ou insoucianc­e l’etat tunisien vienne à négliger l’ensemble des informatio­ns listées par les lanceurs d’alerte et les parties prenantes, il court pour la énième fois le risque de s’empêtrer dans des imbroglios juridiques lourds, pour se trouver exposé à des dégâts et pertes économique­s qui contribuen­t à remettre en cause la notoriété technique et d’affaires tunisienne.

Contacté à plusieurs reprises, le Ministère des Technologi­es de la communicat­ion et de l'économie numérique s’es abstenu de commenter. A noter enfin, que l’ancien Ministre des Télécommun­ications, sous Ben Ali, qui a veillé à la création de Mattel en 2000, a été poursuivi et lourdement condamné par la justice tunisienne, et s’est refugié en Mauritanie.

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