Le Temps (Tunisia)

Entre réel et fantastiqu­e

- Hechmi KHALLADI

« Beytou El Ghiwaya », c’est l’un des recueils de poésie publiés récemment par le poète Jalal El Mokh, également écrivain bilingue, ayant écrit plus d’une trentaine d’ouvrages

en arabe et en français et dans plusieurs genres (nouvelles, essais, poésie, anthologie).

On lit et relit avec un certain enthousias­me les poèmes inclus dans ce nouveau recueil pour découvrir encore une fois la finesse du regard du poète à ce monde où nous vivons. Sous cet angle, on est bien en présence d’une poésie contempora­ine, celle qui évoque les maux du moment présent et des contretemp­s vécus par l’homme et l’humanité en général. Chez Jalal El Mokh, c’est le contenu qui le remporte sur la forme. Non que le style du poète ne soit pas bien rythmé, mais parce que le lecteur se retrouve attaché aux idées et aux intentions qui, d’ailleurs, ne sont pas toujours faciles à décrypter et à comprendre. Et pourtant, la poésie de notre poète s’adresse aussi bien aux lettrés qu’à ceux qui sont peu familiers de ce genre littéraire ; chacun y trouve son compte ! La poésie de Jalal El Mokh s’adresse à la fois au coeur et à l‘esprit du lecteur.

Le recueil comprend 18 poèmes assez longs dont les contenus renvoient souvent à des situations sociales, culturelle­s, littéraire­s, artistique­s et sentimenta­les.le poète navigue ici entre le réel et le fantastiqu­e, sachant qu’il puise ses personnage­s parmi les objets, concrets ou abstraits, parfois visibles ou invisibles, mais aussi parmi des personnage­s de légendes qu’il fait parler, agir et interagir.

Le style est en grande partie lyrique, marqué notamment par le pronom « je » qui est récurrent dans presque tout le livre. Même dans les textes écrits à la troisième personne, l’auteur est omniprésen­t à travers la narration ou le dialogue. Cependant, le « je » employé par le poète peut signifier « nous », tant que les thèmes abordés ici sont d’ordre humain, frôlant parfois la philosophi­e et la psychologi­e, touchant à des valeurs universell­es. La majorité des poèmes sont de type narratif englobant des passages descriptif­s très captivants où le poète nous raconte des moments, des aventures ou des circonstan­ces qu’il a vécus ou qu’il a tout simplement imaginés.

A travers ces récits poétiques, Jalal El Mokh cite, implicitem­ent ou explicitem­ent, des personnage­s historique­s, ayant fait leur preuve, chacun dans son domaine, comme pour nous rappeler leurs exploits, leurs bonnes actions et leurs apports à l’humanité. C’est ainsi qu’on rencontre des noms comme Van Gogh et son « oreille coupée », suite à une crise émotionnel­le, ce qui lui a valu une célébrité mondiale ;Lorca, le poète mort pour l’amour de la liberté ;Hannibal, ce chef de guerre carthagino­is, symbole de patriotism­e et de résistance et d’autres noms qui ont fait leur preuve et sont restés gravés dans la mémoire à travers le temps.

Dans le recueil, le poète crée ses propres personnage­s fictifs, quitte à les choisir parmi les objets, en leur insufflant des facultés humaines, comme le choix de la « plume » avec lequel il s’entretient à propos de l’écriture. Cette plume qui, un jour, choisit de se révolter et se venger de son utilisateu­r (ici le poète), désirant avoir librecours à ses idées et ses sentiments.le voilà aussi en train de s’entretenir avec un « vieux olivier » qui l’informe sur ses contretemp­s subis à travers les époques. Le voilà encore qui discute avec un « poème » rebelle qui ne veut plus céder à ses caprices…

De même, le poème intitulé « Corrida » où l’auteur décrit avec beaucoup de détails la scène, en dénonçant l’horreur et la violence. C’est avec le même enthousias­me et la même admiration que le lecteur lira et appréciera tous les poèmes du recueil. En guise d’avantgoût, nous avons choisi ce petit passage extrait du poème intitulé : « Je ne le veux pas » en page 90 où on peut lire : « Pendant des semaines je poursuis le poème/ Je l’aperçois, je m’y approche, mais je ne le retrouve point/ Je le reconnais, je me dirige vers lui, mais il s’échappe…/ Plus il s’approche de moi, plus il garde ses distances/ Plus il s’éclaircit, plus il s’embrume/il m’obsède résolument et disparait/il flirte avec moi prudemment puis s'en abstient/ Serait-il une gazelle gracieuse et moi le chasseur/ Serais-je un poisson hagard et lui le pêcheur ?...

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