Le Courrier du Vietnam

RENDEZ-VOUS

Alors que de nombreux poètes et philosophe­s faisaient toutes sortes d’éloge, Nguyên Công Tru, un militaire, poète et grand mandarin vietnamien du début du XIXe siècle, vantait plutôt la pauvreté...

- HUU NGOC/CVN (Décembre 2002)

Éloge de la pauvreté

Poètes et philosophe­s de tout temps et de tout pays ont fait toutes sortes d’éloge : éloge de la folie (Erasme), éloge de la volupté (Jouhandeau), éloge de l’ombre (Tanizaki), éloge de l’alcool (Li Tai Po), éloge de la paresse, de l’oisiveté, de l’argent, que sais-je ? Nguyên Công Tru (17781859), poète de talent et grand administra­teur, fait plutôt l’éloge de la pauvreté. Fidèle à l’idéal confucéen de sobriété, cet homme a connu des hauts et des bas dans sa carrière mandarinal­e, a chanté non sans ironie la pauvreté du lettré qui sait s’en accommoder. Ci-dessous quelques bribes de son long poème :

Sus à la pauvreté

Sus à la pauvreté

On a beau être talentueux

Pauvreté est vice

Les six malheurs, elle en est, les livres sacrés l’enseignent

Le premier des crimes, c’est elle, le proverbe l’a dit

Voici l’homme

Quatre cloisons de feuilles

Un toit de chaume

Les punaises de bois gravent des étoiles sur les poutres.

Les araignées à la porte tissent leur rideau contre le vent

Cuisine, chambre à coucher, une cloison de bambou les sépare

Millet, haricot, un entre-noeud de bambou les contient

Sous un lit de bambou, les termites dessinent leurs arabesques

Au pied d’un mur de torchis, les vers de terre accumulent leurs déjections.

Un gosse balbutie à regarder les ronds que le soleil projette sur les cloisons

Un chat guette auprès des trous de souris que l’eau de pluie pénètre Le cochon grignote son auge, la faim l’empêche de crier

Une souris lasse de fouiller dans une marmite vide se tient coite.

Trois fois par jour, on s’emplit la panse de légumes, l’homme de bien n’aspire point à se rassasier.

Cinq veilles durant, on dort à poings fermés, toutes portes ouvertes, car ne sommes-nous pas en temps de paix ? Des feuilles de badamier, de goyavier emplissent la théière, donnant un breuvage âcre et amer.

Des aubergines, des courges cuites à l’eau, quels plats délicieux ! Un éventail fait de roseaux, une pipe de bambou, quels trésors ?

Pour les soirées une théière au col ébréché

Pour les festins, une gourde d’alcool rafistolée

Comme antiquité, un tableau au mur, tout couvert de suie aux couleurs indistinct­es comme un tableau ancien

Comme richesse, quelques livres sur une étagère, rongés par les blattes, comme marqués de vermillon

Un jeu de cartes en service depuis trois génération­s :

On ne distingue plus le roi de la reine Un échiquier qui a survécu à sept propriétai­res : on confond les cases les unes avec les autres.

J’ai le dos trop maigre, signe de non richesse

Trop de bouches au foyer, avec quoi les nourrir ?

Rien n’est prêt aux repas, les gosses criaillent comme les abeilles affolées Je remets dette sur dette, les créanciers hurlent comme des orfraies

J’ai pensé me faire médicastre, mais à lire l’éthique du médecin, j’ai renoncé à vouloir guérir les gens Devenir sorcier, cela rapporte, mais le courage m’a manqué

Se faire connaître, ce n’est pas si simple

Le métier de devin, abuser des livres saints, exploiter la crédulité des autres, cela ne vaut pas plus que du sel qu’on jette à la mer

Repérer ci et là la veine du dragon, hélas je suis piètre géomancien, n’ayant même pas trouvé un lieu pour enterrer mon père.

J’ai failli faire le commerce, la corporatio­n ne m’a pas accepté, et des bénéfices, je n’en ai guère vu

J’ai tenté ma chance au jeu, le capital et l’expérience m’ont manqué, rien n’est sorti de rien.

Quand la malchance ou la maladie vous assaille, il faut bien frapper à une porte ou à une autre,

J’invoque, je supplie, des heures durant, mes jambes flageolent Argument, prétexte, les gens refusent, tirant sur leur barbe.

Aux enfants, je rappelle l’enseigneme­nt des anciens : le sage trouve sa joie dans la doctrine, oubliant la pauvreté.

Quand mes amis discutent de la vie, je leur répète :

Celui qui cherche la vertu d’humanité, ne peut s’enrichir.

La pauvreté nous est conférée par le Ciel

La richesse nous est donnée par le sort

Ceux qui possèdent à foison rizières et buffles, dont les silos regorgent de paddy, ne sont en vérité que de pauvres gardiens de trésors.

 ??  ?? Le temple dédié à Nguyên Công Tru dans la province de Ninh Binh, au Nord. CTV/CVN
Le temple dédié à Nguyên Công Tru dans la province de Ninh Binh, au Nord. CTV/CVN
 ??  ?? Nguyên Công Tru. CTV/CVN
Nguyên Công Tru. CTV/CVN

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