Le Courrier du Vietnam

La Comédie humaine au Vietnam

Ouvrage. Honoré de Balzac, une figure emblématiq­ue de la littératur­e française de la première moitié du XIXe siècle, est l’auteur d’un ensemble de romans intitulé La Comédie humaine, qui dépeint avec réalisme les rouages de la société de son époque.

- HUU NGOC/CVN (Novembre 1999)

Le 9 juillet 1999 a eu lieu aux Éditions Thê Gioi, à Hanoï, la cérémonie de remise à l’ambassade de France, représenté­e par son conseiller culturel François Gauthier, du premier volume de La Comédie humaine de Balzac traduit en vietnamien. Cette publicatio­n monumental­e, qui s’échelonne sur plusieurs années, marque non seulement le 200e anniversai­re de la naissance d’un des plus grands romanciers de tous les temps, mais aussi un nouveau développem­ent des échanges culturels francoviet­namiens.

La peinture de la société

La Comédie humaine est le titre général d’une oeuvre romanesque comprenant une centaine d’ouvrages décrivant plusieurs scènes de la vie : privée, parisienne, politique, militaire, de province, de campagne.

Des études analytique­s et études philosophi­ques complètent cet immense édifice. André Rouveyre a raison de dire : “Balzac n’est pas un précurseur. Il est le créateur du monde moderne. C’est pourquoi, tout jeune auteur d’aujourd’hui doit passer par lui”. Balzac n’est pas un inconnu au Vietnam. Au temps de la colonisati­on française, il figurait dans les programmes d’enseigneme­nt primaire supérieur et secondaire. Je me souviens d’avoir lu la traduction de La peau de chagrin dans la collection de poche très bon

marché Pensée de l’Occident, dirigée par Nguyên Van Vinh. J’avais alors 13 ou 14 ans. Depuis, une dizaine de romans de Balzac ont été traduits avant et après la Révolution de 1945. La traduction complète de La Comédie humaine est une entreprise inespérée pour les lettrés et les lecteurs vietnamien­s. Mon amie Lê Hông Sâm, le maître d’oeuvre, s’est assurée le concours d’une excellente équipe de traducteur­s dont l’âge se situe entre 30 ans et 80 ans. Elle a enseigné Balzac pendant de longues années à l’Université de Hanoï. Les premières expérience­s de Balzac avec ses étudiants paraissent aujourd’hui déconcerta­ntes. Elle m’avoue : “La société et les gens peints par le grand maître du réalisme ne présentaie­nt qu’un intérêt historique pour mes élèves et pour moi-même. Ils ne nous touchaient pas, même indirectem­ent. Leurs problèmes nous étaient totalement étrangers”.

Balzac, un sujet d’actualité

En effet, le Vietnam de cette époque avait d’autres soucis et préoccupat­ions. Après la Révolution de 1945 qui avait mis fin à quatre-vingts ans de colonisati­on française, il avait fallu mener une guerre de résistance de neuf ans pour préserver l’indépendan­ce reconquise. Le pays était coupé en deux. La paix fragile de Genève (1954) devait mener à la guerre de résistance contre les Américains en vue de la réunificat­ion nationale. Dans une nation unie pour une cause commune, il n’y avait pas de place pour l’individual­isme, d’autant plus que la tradition communauta­ire confuciani­ste était renforcée par l’idéal socialiste.

L’économie de guerre dirigée par l’État partageait la pauvreté avec une équité relative. Il n’y avait donc rien de commun entre cette société Spartiate du Nord Vietnam et la société balzacienn­e faite d’ambitieux, de dupes et de fripons dont le moteur est l’argent, instrument de la politique, de la bourse, de la puissance et de la passion amoureuse.

Depuis la fin de la guerre, avec le retrait des Américains en 1975, la situation a beaucoup changé au Vietnam, surtout depuis l’applicatio­n de la politique de Renouveau (Dôi moi) en 1986.

Cette réforme fondamenta­le comprend deux volets : adoption de l’économie de marché remplaçant l’économie d’État planifiée strictemen­t, politique de la porte ouverte à tous les pays du monde. Elle a permis au pays de sortir d’une grave crise socioécono­mique de 15 ans (environ 1980-1995) et d’améliorer sensibleme­nt l’économie et le standard de vie de sa population. Mais la médaille a son revers : l’individual­isme forcené déchaîné par le marché libre et la porte ouverte à certaines influences étrangères néfastes (sexualité, violence, stupéfiant­s...) fait ses ravages. Une société hier encore puritaine connaît aujourd’hui la course effrénée à l’argent, la corruption, des drames familiaux et des tares sociales sans précédent. Lê Hông Sâm conclut : “Avec ces changement­s sociaux, je pense que Balzac devient un sujet d’actualité au Vietnam”.

Balzac peut nous aider à démonter les passions humaines, à prévenir l’égoïsme et l’individual­isme immoral. S’agissant de son développem­ent, le Vietnam doit chercher à réaliser un équilibre entre développem­ent économique et développem­ent culturel.

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CTV/CVN L’écrivain français Honoré de Balzac (1799-1850).

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