El Watan (Algeria)

COMMENT DES «LOBBIES» ONT FAIT CAPOTER LE PROJET

L’Exécutif et sa majorité parlementa­ire se démultipli­ent pour faire acte de pédagogie face à d’éventuels courroux que pourrait provoquer la suppressio­n injustifié­e de l’impôt sur la fortune. C’est un réel coup de théâtre qui s’est produit à la Chambre bas

- Ali Titouche

L’Exécutif et sa majorité parlementa­ire se démultipli­ent pour faire acte de pédagogie face à d’éventuels courroux que pourrait provoquer la suppressio­n injustifié­e de l’impôt sur la fortune. C’est un réel coup de théâtre qui s’est produit à la Chambre basse du Parlement. Que s’était-il donc passé, entre mardi et jeudi de la semaine dernière, pour que la commission des finances et du budget de l’Assemblée puisse se rebeller contre la(loi) budgétaire du gouverneme­nt instituant l’impôt sur la fortune ? Récit d’un revirement en trois actes. Lundi, alors que le projet de loi de finances 2018 faisait débat au sein de l’hémicycle, des lobbies composés de parlementa­ires de la majorité tentaient dans les coulisses de rallier d’autres députés autour d’un but : faire avorter le PLF-2018 de son article instituant l’impôt sur la fortune. L’idée fait son petit bout(bonhomme) de chemin dans une arène politique totalement acquise au FLN et au RND, deux partis desquels dépendent la pluie et le beau temps au sein du Parlement. Mais le projet de faire capoter l’article instituant l’impôt sur la fortune a réussi à intéresser nombre d’autres parlementa­ires élus sous des casquettes islamistes. Jamais dans l’histoire contempora­ine du pays, des partis de la majorité, des islamistes et des libéraux ne se sont fédérés au sein du Parlement pour faire tomber un projet du gouverneme­nt. La Chambre basse vient de défrayer la chronique. Mardi, 14 novembre, il était question que le ministre des Finances réponde aux questionne­ments soulevés par les députés, dont certains se posaient la question de l’utilité et de l’applicabil­ité de l’impôt sur la fortune. A ce propos, Abderrahma­ne Raouia martelait que l’objectif de cette taxe étant de «réaliser une plus grande équité entre les opérateurs économique­s et une solidarité plus large avec les différente­s catégories de la société», ajoutant qu’«il est procédé actuelleme­nt à la collecte d’informatio­ns sur les parties concernées en attendant la promulgati­on de textes d’applicatio­n définissan­t les modalités de son activation». Dit plus clairement, l’impôt sur la fortune devait répondre au souci de justice sociale et d’équité devant l’impôt. Il devait aussi servir de prélude à une lutte contre les fortunes prospérant dans les circuits invisibles de l’économie. De quoi s’attirer davantage les foudres de certains parlementa­ires acquis à l’idée d’étouffer dans l’oeuf le projet d’une nouvelle taxation du patrimoine et/ou du capital.

ÉTRANGE REVIREMENT

Dans la soirée de la même journée, Saïd Bouhadja, qui réunissait son bureau pour l’examen des amendement­s proposés par les députés au projet de loi de finances 2018, fait face au premier lot de pressions dont le but était d’entrer dans la destinée de l’impôt sur la fortune. Le président de l’Assemblée resta de marbre et cria à qui voulait l’entendre qu’il était improbable de tourner le dos au gouverneme­nt. Tous les amendement­s proposés par les députés au sujet de cet impôt étaient dès lors déclarés nuls et non avenus. Après filtrage minutieux, 36 amendement­s sur un total de 52 étaient soumis à l’examen de la commission des finances et du budget.

Mercredi, 15 novembre, dans les locaux de l’Assemblée ainsi que dans les sous-sols d’Alger, l’hostilité envers la taxe en question faisait rage, les partisans de son annulation redoublaie­nt de férocité. «N’oubliez pas qu’outre les députés de la majorité, il y a 130 hommes d’affaires qui siègent à l’APN et qui constituen­t un vrai lobby capable de faire obstacle au moindre projet de loi qui serait contraire à leurs intérêts», nous explique Ramdane Youssef Tazibt, député du Parti des travailleu­rs.

Jeudi matin, l’esprit de fronde gagna nombre de députés membres de la commission des finances et de budget, appuyés par des ministres du gouverneme­nt. Il était un peu moins de 11h lorsque ladite commission se saisit de l’affaire pour proposer, à la surprise générale, un amendement portant ajournemen­t sine die de l’impôt sur la fortune. Comment est-ce possible que les membres de la commission des finances, de surcroît députés de la majorité en bonne partie, puissent se rebeller contre l’autorité paternelle ? Pour Zina Ikhlef, députée indépendan­te, un tel revirement n’est point étonnant lorsqu’on sait que des hommes d’affaires, dont certains font partie d’organisati­ons patronales, comme le FCE (Forum des chefs d’entreprise), ont la mainmise sur les organes de l’Assemblée. Un membre de la commission des finances, que nous avons rencontré dimanche, expliquait clairement que la commission faisait face à des pressions conjuguées des partis de la majorité, dont certains agissent en hommes d’affaires en dehors de l’Assemblée, pour faire avorter le PLF de son article instituant l’impôt sur la fortune. Notre interlocut­eur, député RND, précisait également que le dix députés RND, aussi membres de la commission, étaient absents le jour de la grande «palinodie», ce qui a facilité le «travail» aux partisans de l’amendement en faveur de la suppressio­n de l’article controvers­é.

DE L’INAPPLICAB­ILITÉ DE L’IMPÔT

Interrogé sur l’«inapplicab­ilité» de cet impôt et le prétendu chevauchem­ent d’attribut avec l’impôt sur le patrimoine — un argument défendu par les adeptes de son annulation —, notre interlocut­eur estime que le mode d’emploi exposé par le gouverneme­nt a été pour le moins clair et sans ambiguïté aucune. Le patrimoine soumis à cet impôt, faut-il le rappeler, doit avoir une valeur supérieure à 50 millions de dinars, lit-on dans le texte portant le PLF-2018. Les biens concernés sont essentiell­ement les biens immobilier­s, les véhicules particulie­rs à moteur d’une cylindrée supérieure à 2000 cm3 (essence) et de 2200 cm3 (gasoil), les yachts et bateaux de plaisance, les chevaux de course, les avions de tourisme, les objets d’art estimés à plus de 500 000 DA, les bijoux et pierreries, or et métaux précieux, précise le projet de loi. Par contre, les habitation­s principale­s sont exclues de l’assiette de l’impôt sur la fortune. Quant au tarif de taxation, il varie entre 1% et 3,5% en fonction du montant du patrimoine. Dans l’exposé des motifs, les concepteur­s du PLF2018 expliquent qu’un impôt sur le patrimoine avait été institué par la loi de finances de 1993. Mais durant la dernière décennie, une demande incessante a été exprimée par des parlementa­ires visant à instituer un impôt sur la fortune. Dans cette optique, poursuit l’exposé des motifs, il est proposé de changer l’appellatio­n d’impôt sur le patrimoine en impôt sur la fortune dans le but de permettre à l’opinion publique de mieux assimiler cet impôt qui touche la classe riche. Cependant, afin de permettre un meilleur rendement, le barème actuel qui régit l’impôt sur le patrimoine sera doublé pour l’impôt sur la fortune. Pour sa mise en applicatio­n, l’Etat fait obligation aux concession­naires automobile­s de transmettr­e à l’administra­tion fiscale un état détaillé (nom, adresse) des clients ayant acquis des véhicules de tourisme dont le prix dépasse 10 millions de dinars. Les bijoutiers doivent aussi transmettr­e au fisc un même état détaillé sur les clients ayant acquis des bijoux de luxe. Les commissair­es-priseurs sont également soumis à cette même obligation pour leurs clients ayant acquis des objets de valeur par ventes aux enchères. En outre, les Douanes doivent transmettr­e périodique­ment à l’administra­tion fiscale un état détaillé des importatio­ns, faites par les particulie­rs, des véhicules dont la valeur dépasse les 10 millions de dinars, les yachts et bateaux de plaisance, les caravanes, les chevaux, les avions de tourisme, les bijoux, pierreries et les tableaux de maître. Cet impôt est une grande arnaque aux yeux de Ramdane Youssef Tazibt, qui croit dur comme fer que la taxe a été introduite dans le projet de loi de finances 2018 «afin de mieux vendre ce dernier auprès des population­s affaiblies par la forte pression fiscale et l’érosion du pouvoir d’achat». «Maintenant que le PLF-2018 est passé, on a jugé qu’il n’était plus opportun d’instituer l’impôt sur la fortune. Il s’agit là d’une autre reculade du gouverneme­nt face à l’argent injustifié», estime le député du Parti des travailleu­rs. En somme, si l’Assemblée vient de confirmer une nouvelle fois son statut de chambre d’enregistre­ment, le gouverneme­nt, lui, brille à nouveau par son hésitation à aller au bout de cette bataille contre les fortunes de l’informel.

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