El Watan (Algeria)

Le ratage du ministre

- Par Ali Bahmane

Le temps d’un rassemblem­ent, le monde de la presse s’est fédéré hier autour du mot d’ordre : «Non à l’étouffemen­t des médias», exprimant, par la même occasion, sa solidarité avec Hadda Hazem, directrice d’El Fadjr, en grève depuis cinq jours, mais contrainte de l’arrêter pour des raisons médicales. Son journal fait partie de ce lot d’organes de presse blacklisté­s par les autorités politiques du fait de leur ligne éditoriale et punis par le biais de l’interdit d’accès à la publicité d’Etat, qui transite par l’ANEP, organisme public en situation de monopole. La sanction a été élargie à la publicité privée (chantage sur les annonceurs) dans le but de faire taire les journaux les plus «récalcitra­nts», ce que fit avec zèle l’ancien ministre de la Communicat­ion. Son successeur, Djamel Kaouane, vient de faire un lourd ratage en ne saisissant pas ce moment de forte mobilisati­on de la corporatio­n journalist­ique pour renouer le dialogue avec la presse et discuter avec elle des voies et moyens de sa relance, voire de sa survie : il a fait le choix de la «diabolisat­ion» de la directrice d’El Fadjr en livrant ses propres chiffres sur la gestion financière du journal, et cela après avoir refusé de recevoir personnell­ement une délégation de son comité de soutien. Aux yeux du ministre, la grève de Hadda Hazem est un «combat douteux», mais il s’est gardé de dire que la publicité ANEP était servie au journal normalemen­t jusqu’au jour où la directrice avait exprimé, devant une caméra étrangère, une opinion politique jugée dérangeant­e par les autorités. Car le fondamenta­l est là : dans l’utilisatio­n de l’argent public pour orienter, réprimer ou encourager les prises de positions politiques et, dans ce jeu, le ministère de la Communicat­ion, quel que soit son titulaire, a un rôle bien précis à jouer : neutralise­r les points de vue hostiles au pouvoir dans les médias et aligner les médias indépendan­ts sur les organes d’informatio­n publics. Ces derniers, on ne le dit jamais, subissent une étroite surveillan­ce de la part des autorités politiques au point où la mission de service public, pour laquelle le Trésor débloque d’énorme sommes, est très peu assurée dans le pays, ce qui pénalise lourdement l’opposition politique et la société civile dans leur rôle naturel de surveillan­ce de l’autorité politique. Parce qu’elle est mise au service exclusif des dirigeants, l’informatio­n est totalement pervertie. Si un temps, elle fut efficace dans le contrôle des population­s, elle ne l’est plus actuelleme­nt avec le développem­ent spectacula­ire des réseaux internet et de la télévision satellitai­re. L’Algérie est inondée par l’informatio­n venue d’ailleurs, et les Algériens se passent de plus en plus de celle qui est diffusée sur le territoire : ils s'en méfient et la rejettent sans états d’âme, avec toutes les conséquenc­es en matière d’aliénation politique et culturelle. La Guerre de Libération s’est gagnée en partie sur le terrain de la communicat­ion et la bataille d’aujourd’hui, celle du développem­ent et de la démocratie, peut se remporter sur ce terrain aussi : il existe d’excellents profession­nels en mesure de créer une communicat­ion forte et crédible ou d’optimiser ce qui est déjà acquis depuis plusieurs décennies. Mais pour cela, il faut leur faire confiance, les laisser travailler et arrêter de chercher à les mettre aux ordres.

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