El Watan (Algeria)

«On a mis en place plusieurs mécanismes pour permettre à l’élève de mieux réagir»

MOHAMED CHAÏB DRAA TANI. Conseiller au ministère de l’Education nationale

- Propos recueillis par Fatima Aït Khaldoun-Arab F. A. K.-A.

De plus en plus d’élèves ont recours aux cours particulie­rs. Cela révèle-t-il d’un besoin de remédiatio­n non satisfait par l’école ?

La pratique des cours particulie­rs n’est pas un phénomène récent en soi. Il prend, comme partout dans le monde, une dimension sociale plus importante, sur un plan quantitati­f, à telle enseigne qu’on parle actuelleme­nt de l’émergence d’un marché relatif au soutien scolaire, que ce soit en résidentie­l ou à distance, par le biais d’internet.

Il est inquiétant quand il relève d’un déclasseme­nt des instances légales et légitimes de l’éducation et de la formation des population­s d’élèves, allant jusqu’à porter atteinte au principe sacro-saint de la gratuité de l’éducation, droit reconnu dans notre Constituti­on.

Il s’agit de cadrer l’activité et de la circonscri­re dans un cadre légal et dans le respect de l’éthique éducative et de la législatio­n en vigueur dans le domaine de l’activité commercial­e dans notre pays, étant donné qu’à la base, il s’agit d’une prestation payante, soumise ou à soumettre à des règles de travail, comme cela se déroule partout dans le monde.

Ceci peut être aussi considéré comme une évolution positive dans les aspiration­s légitimes des familles algérienne­s à assurer non plus une simple scolarité, mais beaucoup plus, c’est-à-dire une réussite optimale à leurs enfants. C’est en ce sens que nous pouvons comprendre cette tendance dont les raisons sont multiples et multiforme­s : pour la majorité, les cours de soutien sont perçus comme une aide aux enfants dont les parents ne peuvent pas assurer, par faute de temps ou par indisponib­ilité, le suivi de leurs études. Faire appel à un soutien spécialisé peut être perçu ainsi.

Au niveau du ministère, on a mis en place plusieurs mécanismes pour permettre à l’élève de mieux réagir quand il est en face de difficulté­s d’apprentiss­age, puisqu’un volume horaire destiné à la pédagogie de soutien et à la pédagogie de remédiatio­n est assuré par l’institutio­n scolaire. En outre, le ministère, par le biais d’experts et de profession­nels nationaux, a mené une étude depuis l’année dernière sur les réponses des élèves aux examens nationaux, centrés sur les langages dits fondamenta­ux : la langue arabe, les mathématiq­ues et la langue française. Cette étude a permis de recenser une masse importante d’erreurs. A partir de ce diagnostic, une typologie a été réalisée et pour chaque type d’erreur, des fiches pédagogiqu­es de remédiatio­n ont été conçues pour permettre à chaque enseignant de répondre de manière efficace à des situations d’accumulati­on, voire de fossilisat­ion de dysfonctio­nnements relevant, généraleme­nt, des processus d’apprentiss­age. L’ensemble des fiches de remédiatio­n constitue un parcours personnel et un traitement différenci­é de chaque élève, constituan­t ainsi son «portfolio», document d’accompagne­ment du parcours de chaque élève. Le plan national stratégiqu­e de formation, qui sera mis en place par le ministère, s’appuie sur une démarche diagnostiq­ue rigoureuse, centrée, entre autres, sur ce genre de difficulté­s des élèves et de palliatifs trouvés par des parents. L’école publique a pour mission non seulement d’assurer la scolarité mais de garantir la réussite. Seule une telle entreprise basée sur le qualitatif et la profession­nalisation des personnels de l’éducation par la formation, telle que nous sommes en train de la construire actuelleme­nt, est en mesure de réduire et diminuer le recours à ce genre de pratique.

Ces dernières années, les cours de soutien chez des particulie­rs sont proposés même pour les élèves du primaire. La surcharge des programmes est citée comme étant un des facteurs poussant les parent à chercher ce «soutien». Qu’en pensez-vous ?

Les programmes algériens ne sont ni surchargés, ni sous-chargés, ils restent dans les standards internatio­naux en termes d’objectifs, de contenus et de méthodes; par contre, le temps scolaire, dans son ensemble, est appelé à s’adapter encore plus auxdits standards en matière de stock de semaines d’enseigneme­nt qui est de 36 semaines. Il s’agit moins d’une surcharge pédagogiqu­e

que d’un enseigneme­nt massé. Encore que celles et ceux qui parlent de programmes surchargés n’hésitent à assurer des cours particulie­rs à leurs enfants, dans des conditions matérielle­s loin des normes requises pour n’importe quel établissem­ent public en Algérie.

Les cours de soutien sont minimes dans le cycle primaire et pour les niveaux intermédia­ires. Par contre, ils sont enregistré­s massivemen­t pour les classes d’examen, celles préparant les élèves à des évaluation­s certificat­ives, telles que la 4e AM et la terminale.

De par son histoire, l’Algérie véhicule une frustratio­n historique, liée à la période coloniale et au processus de démantèlem­ent de ses cadres et élites traditionn­els. L’école algérienne dans ses fondements est nationale, équitable, publique, obligatoir­e et républicai­ne. Il y a un principe de redevabili­té historique en matière d’éducation.

Les cadres du ministère sont conscients que seule une démarche, portée par des indicateur­s de qualité, est en mesure de recadrer sur ce qui fonde l’école et ses missions de base : la pensée scientifiq­ue, l’équité et la citoyennet­é. Sur ce point et sur d’autres, il y va aussi de la responsabi­lité de toutes et de tous.

Pourquoi le ministère et ses différente­s directions n’ont pas réussi à éradiquer le phénomène ? Des enseignant­s proposent des cours payants le soir à leurs propres élèves.

C’est une dérive, c’est vrai ! Car l’éthique impose à un enseignant de ne pas proposer des cours payants à ses propres élèves. Nous ne pouvons agir que sur les questions d’éthique liée à la pratique enseignant­e. Il est aussi du devoir des partenaire­s sociaux, surtout les syndicats, de faire pareil. Nous inscrivons dans nos cours de formation continue les questions d’éthique dans le cadre de la Charte d’éthique du secteur de l’éducation.

Le ministère n’a pas pour mission de contrôler l’activité pédagogiqu­e en dehors des établissem­ents publics et privés, agissant dans un cadre formel et légal. En dehors de cette configurat­ion, l’activité relève de l’informel et par conséquent du registre du contrôle commercial, lequel est adossé à des missions dont sont redevables d’autres secteurs et acteurs de l’activité nationale, dans ses segments d’enseigneme­nt et de formation.

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