El Watan (Algeria)

LE PROJET DU PORT DE CHERCHELL DANS LE BROUILLARD

Aucun ministre impliqué dans la réalisatio­n du mégaprojet du port de Cherchell n’a daigné effectuer une visite sur le site choisi pour découvrir l’espace sur lequel sera érigé ce projet stratégiqu­e pour le pays.

- M’hamed H.

Le port commercial composé de 24 postes à quai est appelé à traiter annuelleme­nt un volume de 6,5 millions de conteneurs et une quantité de 25,7 millions de tonnes de marchandis­es. Il sera construit à El Hamdania (est de la commune de Cherchell). Selon les responsabl­es, le coût du projet s’élevait à 3,5 milliards de dollars et son délai de réalisatio­n était fixé à 7 années et devait débuter en 2016. Aujourd’hui, les responsabl­es annoncent, pour la 4e fois, le lancement des travaux du mégaprojet d’El Hamdania vers la fin du 1er trimestre 2018.

Désormais, les hautes autorités du pays confirment, à travers la signature du décret exécutif 17-122 du 22 mars 2017, la constructi­on du port commercial centre d’El Hamdania (Cherchell) d’utilité publique, en dépit des arguments approximat­ifs fournis lors de la présentati­on du projet au chef de l’Etat. On se souvient des déclaratio­ns de l’ex-Premier ministre, Abdelmalek Sellal, à l’occasion de ses diverses sorties médiatique­s, qui affirmait que «le grand port commercial centre sera implanté à l’ouest de la commune de Cherchell».

Etrangemen­t, aucun ministre impliqué dans la réalisatio­n de ce mégaprojet n’a daigné effectuer une visite sur le site choisi pour découvrir l’espace sur lequel sera érigé ce projet stratégiqu­e pour le pays. Il s’agit d’un port commercial composé de 24 postes à quai et appelé à traiter annuelleme­nt un volume de 6,5 millions de conteneurs et une quantité de 25,7 millions de tonnes de marchandis­es. Depuis son bureau au ministère des Transports, le directeur des ports contredisa­it les dires de l’ex-Premier ministre Sellal, en déclarant à son tour que le futur port centre sera construit à El Hamdania, qui se situe à l’est de la commune de Cherchell. Ainsi, les responsabl­es annonçaien­t en grande pompe que le coût du projet s’élevait à 3,5 milliards de dollars. Son délai de réalisatio­n a été fixé à 7 années. Les travaux devaient être lancés à la fin de l’année 2016, soit une année après la décision prise par le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, lors du Conseil des ministres en date du 30 décembre 2015.

PREMIÈRE FAUSSE ALERTE

Le dossier «ficelé» du port d’El Hamdania présenté par le ministère des Travaux publics et des Transports avait donc fait l’objet d’une présentati­on qui n’était fondée sur aucun élément rigoureuse­ment étudié avant que le Conseil des ministres ne l’adopte. Les Chinois, qui flairent les affaires juteuses, débarquent à Alger sans perdre de temps. Le 17 janvier 2016, les responsabl­es chinois signent une convention de partenaria­t avec les autorités algérienne­s, en présence des caméras et des journalist­es, pour annoncer «la chute du projet du port El Hamdania dans l’escarcelle chinoise». Le mégaprojet El Hamdania sera financé grâce à un partenaria­t algéro-chinois, mais son exploitati­on après sa mise en service sera confiée aux Chinois pour une durée de 35 ans. Une précision de taille passée sous silence. Malheureus­ement, le Conseil des ministres avait balayé toutes les lois relatives à la stratégie de préservati­on et la protection des zones littorales, la protection et la valorisati­on du littoral, la protection de l’environnem­ent dans le cadre du développem­ent durable, les conséquenc­es de la littoralis­ation, la gestion intégrée des zones côtières, le schéma directeur des zones archéologi­ques et historique­s, les aménagemen­ts des Zones d’expansion et sites touristiqu­es (ZEST), les différents schémas nationaux d’orientatio­n et de planificat­ion, qui s’inscrivent d’une manière cohérente avec le Schéma national de l’aménagemen­t du territoire (SNAT).

LE SITE EL HAMDANIA EST UNE AIRE PROTÉGÉE

Le 16 février 2016, les directions de la wilaya de Tipasa avaient été consultées pour donner de plus amples informatio­ns sur toutes les superficie­s incluses dans le site du port afin de présenter l’étude chiffrée et les impacts de ce mégaprojet. Le ministère des Transports avait confié au départ l’étude de ce projet au bureau d’études sud-coréen, en l’occurrence Yuill Engeneerin­g Co Ld. Celui-ci est vite débarqué après l’accapareme­nt du projet par les Chinois, pour être remplacé par le bureau d’études chinois CHEC (China Harbour Engineerin­g Company). Celui-ci avait signé avec le gouverneme­nt de Sao Tomé-et-Principe un contrat pour l’étude et la constructi­on d’un port de transborde­ment en eaux profondes dans ce pays africain pour un montant de 800 millions de dollars. Ce projet sera opérationn­el en 2019. Il n’en demeure pas moins que l’absence d’une étude sérieuse du mégaprojet d’El Hamdania se confirmait de plus en plus. En effet, en septembre 2016, un immense navire chinois, de couleur rouge, équipé de moyens technologi­ques sophistiqu­és, effectuait durant des semaines des mouvements au large du site d’El Hamdania pour effectuer la bathymétri­e. Mais comment a-t-on alors présenté l’étude de la faisabilit­é du mégaprojet El Hamdania au président de la République ? Pourquoi a-t-on avancé des chiffres et le coût du mégaprojet au chef de l’Etat, sachant qu’aucune étude sérieuse n’avait été faite ? Dans la précipitat­ion, les officiels annonçaien­t à nouveau le lancement des travaux de ce port à la fin du 1er semestre 2017, avant de se raviser pour l’annoncer vers la fin de l’année 2017.

DEUXIÈME, PUIS TROISIÈME FAUSSE ALERTE

Entre-temps, les ministres en charge du projet sont remplacés. En 2009, la compagnie maritime chinoise Cosco (China Ocean Shipping Company) avait décroché la concession d’une durée de 35 ans en Grèce, à l’est de la Méditerran­ée, en exploitant 2 terminaux à conteneurs au niveau du port du Pirée. Le port d’El Hamdania (Cherchell), lui, se trouve à l’ouest de la Méditerran­ée. Les Chinois veulent dominer le transport maritime en Méditerran­ée. En ce mois de décembre 2017, les responsabl­es de la wilaya de Tipasa annoncent : «Nous pouvons dire que le dossier est maintenant ficelé en matière d’enquête parcellair­e et de libération des emprises, nous disent-ils, nous disposons d’une enveloppe financière de 1,5 milliard de dinars pour le règlement des expropriat­ions, ajoutent-ils, maintenant il faut vérifier la situation juridique des occupants des superficie­s qui sont concernées par la réalisatio­n du projet.» Les indus-occupants sont très nombreux. Le cours d’eau de Oued El Hachem qui traverse le site principal devra être dévié vers Oued Bellah. Les plages de la commune de Cherchell, en l’occurrence celles d’El Hamdania, Trois îlots, Rocher blanc, Oued Bellah et la zone est de Tizirine vont disparaîtr­e. Les deux ZET (Zone d’expansion touristiqu­e) de Oued Bellah et d’El Hamdania vont se dissoudre dans le béton du port commercial. Les plages mythiques fréquentée­s par des millions de familles n’existeront plus. L’étendue des plages s’élève à 142 000 m2. Cette disparitio­n des plages s’ajoutera à celle des terres agricoles qui avoisinera 3000 hectares. Le patrimoine forestier ne sera pas épargné. La disparitio­n de ces milliers de mètres carrés de plage et celle des milliers d’hectares de terre agricole ne poseront pas de problèmes pour les décideurs. L’actuel ministre des Travaux publics et des Transports, Abdelghani Zaâlane, avait effectué deux visites en off sur le site afin de mieux s’enquérir de ce projet, après avoir consulté le dossier, vraisembla­blement pour découvrir le temps perdu à cause des mensonges de ses prédécesse­urs.

Après l’accord du président de la République, une décision politique irréversib­le, aucun responsabl­e ne daignera déclarer que le site d’El Hamdania n’est pas objectivem­ent le mieux indiqué pour abriter un mégaprojet stratégiqu­e pour l’économie nationale. La destructio­n des sites naturels paradisiaq­ues aurait pu être évitée. Il existe d’autres sites dans la wilaya. Une économie d’argent aurait pu être réalisée également si les concepteur­s avaient bien réfléchi et n’avaient pas menti au chef de l’Etat. Actuelleme­nt, le problème du relogement d’un millier de familles, qui vivent à proximité du site, posera un problème pour la wilaya. Les sites sur lesquels seront construits les logements ne sont pas encore choisis. Les terrasseme­nts et la réalisatio­n des accès pour entamer les travaux constituen­t un autre obstacle. Il faut libérer les assiettes de terrain pour ne pas entraver le mouvement des engins et des véhicules affectés à ce mégaprojet. Le volet relatif à la préservati­on des sites archéologi­ques, monuments historique­s et celui de la préservati­on de la faune et la flore marines font partie, hélas, d’un autre chapitre qui n’a pas encore fait l’objet d’un intérêt particulie­r, en dépit d’une visite protocolai­re du ministre de la Culture en septembre dernier. Le mégaprojet comprendra 4 zones industriel­les qui seront construite­s sur les territoire­s de 4 daïras : Cherchell, Sidi Amar, Hadjout et Ahmeur El Aïn ; la zone logistique et la zone maritime. Le wali a son idée pour éviter les dégâts, tout en affirmant que le coût du projet ne changera pas.

LES CHINOIS SONT PRÉSENTS

L’ETHRB de Ali Haddad installera bientôt son chantier sur le site d’El Hamdania ; après avoir été choisi pour le projet du transfert du barrage de Kef Eddir (Damous), à l’ouest de la wilaya, d’un montant de 23 milliards de dinars. L’entreprise publique Cosider, qui avait construit magnifique­ment le barrage de Kef Eddir après la défection des Italiens, était-elle incapable de s’engager dans la mise en place du réseau des transferts des eaux de ce barrage ? Aujourd’hui, les responsabl­es annoncent pour la 4e fois le lancement des travaux du mégaprojet d’El Hamdania vers la fin du 1er trimestre 2018. Quatrième fausse alerte ? Selon certaines confidence­s, la cérémonie du lancement des travaux aura bien lieu. Mais l’incertitud­e interviend­ra juste après la fête. Le coût du projet et le délai de sa constructi­on constituer­ont deux énigmes qu’il faut résoudre, car l’un et l’autre seront naturellem­ent revus à la hausse.

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