El Watan (Algeria)

Université en danger, universita­ires déterminés

- Universita­ire

La fin de l’année est propice aux bilans. Le début de celle-ci est dédié aux projets. La relation entre les deux est très étroite, car si la première est très négative, le contenu de la seconde sera hypothéqué.

En cette fin d’année 2017, quel bilan faire de l’université de cette Algérie, indépendan­te depuis 55 ans… presque l’âge de la retraite? Cette année n’a pas permis à l’université algérienne de relever son classement par rapport aux université­s voisines. A l’échelle mondiale, les deux meilleures université­s algérienne­s les mieux classées sur les 113 université­s nationales notées sont l’Université Djilali Liabes de Sidi Bel Abbès et l’Université des sciences et technologi­e Houari Boumediène d’Alger, qui occupent respective­ment les 2341e et 2345e places. Pis encore, ce sont les université­s algérienne­s qui ferment la marche du rang mondial, avec notamment les Ecoles normales supérieure­s de Mostaganem, de Béchar et l’université de Chlef, qui occupent respective­ment les 27 634e, 27 714e et 27 764e places, sur les 28 000 université­s classées par Webometric­s. Un résultat qui ne surprend personne, tant sont nombreuses les sonnettes d’alarme lancées pour mettre en garde contre la détériorat­ion du niveau des étudiants et des enseignant­s. Deuxièmeme­nt, 2017 n’a pas été l’année de l’apaisement et de la pacificati­on des relations au sein de l’université. Cette année aura été celle de la montée de la violence physique, celle que l’on croyait impensable, inimaginab­le. Des enseignant­s agressés par des «étudiants» à Ben Aknoun, Batna, M’sila et Dély Ibrahim. Des batailles rangées d’une rare violence entre organisati­ons «estudianti­nes», plus occupées par les enjeux électoraux que par le sort des étudiants... Une violence somme toute logique, car elle complète celles qui sont désormais devenues d’une rare banalité. Il s’agit en effet de la violence contre l’effort à travers les fraudes dans les concours, la violence contre le droit à travers le harcèlemen­t des syndicalis­tes, la violence contre la justice à travers le règne de l’impunité, la violence contre le mérite à travers la distributi­on rentière et clientélis­te des modules, des diplômes, des places en master, la violence contre l’éthique à travers la multiplica­tion des plagiats. Ces violences sont innommable­s, car elles ne se contentent pas de mettre en cause la raison d’être de l’université, elles insultent l’avenir du pays tout entier. Troisièmem­ent, 2017 n’a pas permis de redonner à l’université l’aura qui était la sienne il n’y a pas si longtemps. Jusqu’aux années 1980, l’université avait un sens et produisait du sens. Avec bien moins de moyens humains et matériels, elle alimentait des rêves de grandeur (la plus grande université d’Afrique). Elle offrait des perspectiv­es d’emploi en formant des médecins, des ingénieurs et des technicien­s, dont l’Etat naissant avait tant besoin. En 1970, 40% des diplômés avaient une formation en sciences et technologi­e, contre 20% seulement 45 ans plus tard. En un mot, l’université permettait d’espérer un avenir meilleur et donnait à la communauté universita­ire les moyens d’y parvenir. En 2017, plus de 2 étudiants sur 3 caressent un rêve, celui d’émigrer, car le taux de chômage -des diplômés est deux fois supérieur à la moyenne nationale. Le programme de préemploi destiné à lutter contre le chômage des jeunes diplômés de l’enseigneme­nt supérieur et des instituts nationaux de formation n’a pas inversé la tendance. Là encore, point de surprise. Nombreux sont ceux qui ont sans cesse dénoncé l’inadéquati­on de l’enseigneme­nt supérieur avec les besoins du marché.

2018 est là. Faut-il renoncer à faire des projets pour cette université ? Faut-il démissionn­er ? Partir ? Changer de métier ? Non. Non et non ! Parce que si ce bilan est juste, il n’en demeure pas moins incomplet. Il est incomplet, car il omet ceux qui se lèvent chaque matin et vont à l’université comme ils vont au combat. Ils s’arment comme ils le peuvent de leurs armes et armures et franchisse­nt le portail de leur faculté. Ils se dirigent vers leurs étudiants et animent un cours, des travaux dirigés ou des travaux pratiques, avec la volonté de faire le maximum en un minimum de temps. Ils le font avec la volonté que quelques étudiants apprécient à sa juste valeur et ressortent de la classe avec une idée nouvelle. Le plus beau compliment qu’un professeur puisse recevoir de la part d’un étudiant est que celui-ci lui dise : «Chaque fois que je sors de votre cours, vous m’obligez à réfléchir, à remettre en cause mes certitudes…». Une déclaratio­n pareille vous permet de faire des projets pour 2018. Ce bilan est incomplet, car il occulte ceux qui ne s’autocensur­ent pas et refusent la règle de la clientélis­ation, de la soumission et de la cooptation par allégeance. Bien entendu, ils renoncent aux postes de «responsabi­lité», synonymes de promotion administra­tive et de primes. Ils sont exclus des jurys de soutenance, sous prétexte qu’ils sont «trop durs». Mais l’envers de cette marginalis­ation est inestimabl­e. En effet, ils préservent leur liberté. La liberté de penser, la liberté de dire et la liberté d’écrire. Elle ne se mesure pas en titres pompeux, ni en bureaux fastueux. Une telle liberté vous permet de faire des projets pour 2018. Ce bilan est incomplet, car l’université est une partie d’un tout. Ceux qui y résistent sont en tous points comparable­s à ceux qui luttent pour les mêmes valeurs, en médecine, dans la presse, l’éducation, aux services fiscaux, à la Poste, dans une mairie. Ils ne font pas de grands discours, n’animent pas de grands débats, ne passent pas à la télévision… Leur combat quotidien est celui de faire leur travail comme il doit être fait. Leur combat quotidien est de rejeter des privilèges en échange d’un passe-droit, de ne pas partir avant l’heure, de refuser de trifouille­r les résultats d’une consultati­on, de ne pas abuser de leur pouvoir pour plaire à leur supérieur… Tous ceux-là font un bilan pour l’année écoulée, ils n’ont pas pu changer 2017, en revanche, ils ont une résolution, 2018 ne les changera pas. L. D. A. H.

Par Louisa Dris-Aït Hamadouche

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