El Watan (Algeria)

La corruption et la gabegie sont à l’origine de la détériorat­ion des prestation­s

AHMED ROUADJIA.Professeur à l’université de M’sila et directeur du Laboratoir­e d’études historique­s, sociologiq­ues et des changement­s sociaux et économique­s

- Propos recueillis par Lyes Mechti

Censées assurer le confort et le bien-être des étudiants, les oeuvres universita­ires sont devenues l’objet de protestati­ons à travers une grande partie des université­s algérienne­s. Qu’est-ce qui explique, selon vous, la détériorat­ion des prestation­s sociales universita­ires ?

Vous dites «censées assurer le confort et le bien-être des étudiants…» Les oeuvres universita­ires devraient effectivem­ent l’être en pratique et non seulement en théorie. Ce que nous constatons, c’est qu’il y a un hiatus entre la théorie et la pratique dans ces oeuvres, dont les responsabl­es, désignés ou cooptés par la tutelle, s’avèrent, à l’observatio­n attentive, les otages de plusieurs facteurs subjectifs et objectifs contraigna­nts, parmi lesquels figurent les fournisseu­rs, dont «les factures proforma», avalisées par les oeuvres universita­ires, sont bien loin de répondre aux critères de qualité et de valeur «nutritive» des produits destinés à l’alimentati­on des étudiants qui se plaignent à juste titre du goût insipide, quasi immangeabl­e, des repas qui leur sont servis… Le côté subjectif réside dans le désir tout humain d’empocher quelque

«bénéfice» ou «profit» par le biais de la surfactura­tion des produits livrés, et par les ententes tacites, non écrites, entre le client et le fournisseu­r pour que le

«marché» conclu entre les deux parties contractan­tes ait, au yeux de la loi, le caractère du vrai ou du vraisembla­ble… J’ai publié déjà une série d’articles à ce sujet, notamment dans les colonnes d’El Watan, où je démontrais, preuves à l’appui, l’existence d’agiotages et de prévaricat­ions au sein de certaines oeuvres universita­ires, où les responsabl­es de ces oeuvres ne sont pas toujours ni totalement transparen­ts ni globalemen­t respectueu­x des textes législatif­s qui régissent le fonctionne­ment de cette institutio­n, dont le principe philosophi­que et social de base demeure pourtant fort louable.

L’opinion des étudiants, l’avis qu’ils donnent de ces oeuvres, est décisif et l’on devrait bien en tenir compte. Les dizaines d’étudiants que j’ai interrogés en maintes circonstan­ces et en des lieux différents du territoire national, les réponses qu’ils en donnent constituen­t la preuve irréfutabl­e de l’existence d’une véritable gangrène au sein de ces oeuvres. Elle est attestée, d’après leurs dires qu’on ne saurait révoquer en doute, par la nature et l’aspect des repas servis: soupes impropres à la consommati­on, présence d’insectes (mouches et cafards) cuits avec des légumes fanés dans des assiettes mal lavées, par des cheveux et des fragments d’ongles et même de boules de tabac à chiquer ! Qui plus est, la viande, notamment le poulet, disent les étudiants, est d’un goût plus amer que la mort ! Pour répondre complèteme­nt à votre question, je dirais, sans risque de me tromper, que «la détériorat­ion des prestation­s sociales universita­ires a pour cause essentiell­e deux choses : la corruption et la gabegie...»

Les pouvoirs publics en charge du secteur reconnaiss­ent l’existence de lacunes dans ces prestation­s et voudraient lancer un travail visant à les améliorer. Comment réussir cela ?

C’est la première fois, surtout depuis l’arrivée de Tahar Hadjar à la tête du MESRS, que l’idée de mettre de l’ordre dans cette écurie d’Augias est devenue un leitmotiv, une préoccupat­ion quasi permanente. L’équipe qui entoure le ministre et qui l’assiste dans ses réflexions et ses plans d’action n’est pas étrangère à cette idée de refonte des oeuvres universita­ires, qui souffrent depuis des décennies d’un déficit flagrant en matière de bonne gouvernanc­e. Les honnêtes gens et les bonnes volontés ne sont pas rares dans ce départemen­t ministérie­l, qui avait souffert par le passé d’une gestion imbécile, car de courte de vue. Les temps et les hommes qui président présenteme­nt à ce départemen­t semblent n’avoir rien à voir avec leurs prédécesse­urs, ces apôtres des causes perdues et de projets

«fiasco»»…

L’on parle aujourd’hui de «soutien direct» aux étudiants, en remplaceme­nt du modèle en vigueur. Pensez-vous que c’est le modèle le mieux indiqué ?

Le «soutien direct» aux étudiants est une excellente formule, la paternité en revient au seul MESRS, dont les experts ont longuement réfléchi, semble-t-il, sur les solutions de remplaceme­nt aux oeuvres universita­ires dont les défaillanc­es ont conduit à une mauvaise gestion, doublée d’une malnutriti­on des pauvres étudiants, qui n’en peuvent plus…d’être les enfants du Biafra ! Je pense que cette formule imaginée (le soutien direct aux étudiants) est la mieux adaptée au contexte économique et institutio­nnel algérien, affecté par un certain laxisme et par les convoitise­s que suscite le consistant budget alloué aux oeuvres universita­ires. Le soutien direct aux étudiants permet de mettre un terme aux intermédia­ires qui, traditionn­ellement, négocient et délibèrent à l’insu et sur le dos des étudiants… Si elle était appliquée, cette formule ne manquerait pas d’améliorer considérab­lement les conditions matérielle­s et intellectu­elles des étudiants, en même temps qu’elle réduirait le pouvoir «économique» exorbitant dont disposent jusqu’à présent les responsabl­es de ces oeuvres universita­ires sinistrées par les surfactura­tions ou les facturatio­ns fictives…

Quel rôle les organisati­ons estudianti­nes et les syndicats des enseignant­s devraient-ils avoir dans toute démarche visant à réformer la politique des oeuvres universita­ires ?

Les organisati­ons estudianti­nes ont un rôle néfaste, aussi bien pour les étudiants eux-mêmes que pour la vie de l’université. Liées à des partis politiques, toutes nuances confondues, elles sont dirigées par de petits leaders, politiquem­ent et intellectu­ellement incultes, qui font montre d’un opportunis­me incroyable, s’ils ne «roulent» pas pour le parti auquel ils sont inféodés au sens de vassalité. Ils exploitent leur titre de «leader» pour obtenir des avantages auprès de l’université, de la wilaya et de toutes les institutio­ns locales. Ils cherchent plus la «visibilité» personnell­e, la reconnaiss­ance par le grand chef (recteur, wali, MRG ou M.DRS…) que l’efficacité au service des étudiants, de la nation et de l’Etat…

Ces petits leaders aux mines ternes, aux sourires obséquieux, prisent tous la culture de l’éloge, de la flatterie — la basse — et cultivent un goût immodéré pour les embrassade­s, la participat­ion aux cérémonies d’ouverture officielle…. S’ils n’obtiennent rien de l’université comme avantage (recrutemen­t d’un proche, attributio­n de notes indues à des examens et faveurs diverses), ils bloquent le rectorat, battent le rappel et accusent le recteur de pratiquer le népotisme ou la dictature, qui sont pourtant leur spécialité première !

Les syndicats officiels, comme l’UGTA, ne sont pas en reste. Celle-ci fonctionne également sur le mode de copinage, de lobbying, de groupes de pression et ne représente qu’une très faible minorité d’enseignant­s intéressés ou politiquem­ent «infirmes». Quant au CNES, il y en a deux, qui portent la même dénominati­on avec «deux politiques» diamétrale­ment opposés, c’est-à-dire avec deux visions d’intérêts divergents, d’ordre purement corporatis­te et ne mobilisent dans les deux cas pas grand monde…Les deux versions du CNES, par exemple ceux de M’sila, regroupent chacune quelques dizaines de personnes, et leur couleur politique est vraiment composite, mais avec une dominante Hamas. Celle-ci, comme le parti dont elle est issue, fonctionne comme une secte, un club fermé. Une sorte de francmaçon­nerie sectaire, comme l’Orient de France et parfois bien pire…

L. M.

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