El Watan (Algeria)

«Les éditeurs algériens doivent faire des coéditions»

- Entretien réalisé par Nacima Chabani N. C.

Installée au Canada depuis 2010, Nassira Belloula est l’auteure d’une quinzaine de romans, d’essais et de recueils de poésie. Rencontrée lors du 23e Salon internatio­nal du livre d’Alger (SILA), qui s’est tenu du 29 octobre au 10 novembre, elle nous en dit un peu plus sur son dernier-né, Aimer Maria.

Vous venez de publier aux éditions Chihab Internatio­nale votre nouveau roman Aimer Maria, au titre révélateur ...

Dans le roman, à un moment donné, le mari se dit qu’il fallait juste aimer Maria avec tous les problèmes que le couple a traversés. Maria a décidé de partir au bout de trente ans de vie commune. Maria est un prénom qui est très utilisé actuelleme­nt. Il a été utilisé par rapport à Maria, la concubine copte du Prophète Mohamed. L’histoire du roman tourne autour un peu autour de certaines idées et de la religion.

Maria décide de se séparer de son mari à cause du prêche d’un prédicateu­r...

Maria va épouser un homme qu’elle n’aime pas. A l’époque où elle se marie, elle a seize ans, alors qu’elle était déjà amoureuse de son cousin. C'était son ami d’enfance qui était tout le temps avec elle. Son père l’a donnée en mariage à un autre pour payer une dette à un ancien ami à lui. Comme c’est un mariage forcé pour le couple, son mari va l’épouser à contrecoeu­r, car il ne l’aime pas. Cependant, il va lui mener la vie dure. Comme c’est une fille rebelle, il va tout faire pour la casser. Elle devient une femme ombre. Insignifia­nte. Elle n’a plus de mots. Elle n’a plus de vie physique. Elle est là pour le mari et le ménage. Elle est juste là pour le décor. Elle s’efface complèteme­nt. Elle est mère de quatre filles et d’un garçon. Ses filles ne savent pas que leur mère vit un clavaire. Pour elles, c’est un couple des plus ordinaires. Elle ne montre pas qu’elle a des problèmes avec son mari, mais lui, par contre, est vicieux. Il fait beaucoup de choses sournoisem­ent.

Pour échapper à cette vie morose, Maria va développer un monde parallèle...

L’histoire se passe sur la côte algéroise. Maria a grandi au bord de la mer. Elle va développer un monde parallèle où elle va vivre avec elle-même. Dans son monde parallèle, elle a un petit coin dans la maison qu’elle aménage avec un citronnier qui lui avait été offert par son amoureux, l’adolescent. Elle va développer un monde autour de cela. Elle est détachée, mais elle est en train un peu de rentrer dans la folie douce. Un jour, elle regarde la télé, il y a un imam prédicateu­r qui parle du paradis. Il dit que la femme dévouée et fidèle rejoindra son mari au paradis. Quand elle entend cela, le déclic est déclenché. Elle ne veut plus rester à la maison. Elle décide de rentrer chez sa mère avec dans la tête se débarrasse­r de son mariage pour ne pas aller au paradis retrouver son mari. Elle voulait divorcer avant. Dans sa tête d’amoureuse, le paradis est avec son amoureux, Ali. C’est à partir de là qu’elle rentre chez sa mère pour amorcer la lutte pour le divorce et surtout se restructur­er.

Aimer Maria est un roman à deux récits...

Je reconnais que mon livre Aimer Maria est écrit d’une manière différente de mes précédents livres. Le style a changé. Il est plus aérien. Il y a deux tons, celui de la mère et celui de la fille. C’est un va-et-vient entre la fille et la mère. J’ai utilisé ces voix pour donner une voix à la fille qui ne connaît pas sa mère et qui essaye de comprendre. C’est la fille qui raconte ce qu’elle sait et c’est la mère qui intervient pour dire ce qu’elle a vécu. C’est la première fois que j’utilise les deux «je» narratifs. Pour rappel, ce livre à deux voix a été finaliste pour le prix Mohamed Dib 2016. L’un des membres du jury a considéré que c’est le premier roman moderne algérien. Mon livre a été envoyé pour le prix Assia Djebar 2018.

Une fois de plus, le thème de la femme revient avec insistance dans votre roman...

Le thème de la femme est l’un de mes sujets de prédilecti­on. Il y a les racines et la condition féminine algérienne qu’on a tous vécus et qu’on connaît assez bien. On connaît trop bien la femme. C’est notre environnem­ent. La femme, c’est nous. La femme, c’est notre espace et c’est ce que l’on connaît le mieux. Cela ne veut pas dire que je ne veux pas développer le personnage masculin, ce que je fais d'ailleurs dans un autre contexte.

Ce n’est pas non plus un hommage que je rends à la femme algérienne, mais il se fait que j’ai entendu une histoire qui m’a vraiment marquée sur une femme croyante qui a été mariée de force et à qui on a dit qu’elle allait retrouver son mari au paradis. Ma narration est fictive, mais l’histoire des femmes qui vont retrouver leurs maris existe réellement dans notre société. Beaucoup de femmes y croient vraiment… quand on sait que la plupart des mariages étaient arrangés à l’époque. Il y avait très peu de mariages d’amour. Ces femmes disent qu’elles ont supporté leur mari durant toutes ces années, mais il est hors de question de le supporter pour l’éternité. Je pense que c’est à partir de ce constat que le déclic du roman s’est fait.

A travers cette histoire, vous pointez aussi l’effritemen­t dans la relation du couple...

C’est une relation intime de couple, mais c’est le côté obscur du couple algérien, parce qu’on ne sait pas ce qui se passe dans un couple algérien. Les enfants ne sont pas au courant, car la mère ne raconte pas ses déboires avec son mari. Le papa est là tout gentil, tout beau, mais personne ne sait ce qui se passe dans le couple. Cela se passe dans notre société. Il y a des femmes qui sont confrontée­s à cette situation similaire, mais elles ne parlent pas. La conclusion reste ouverte, car Maria part en laissant derrière elle mari et enfants.

Votre narration progresse au fil de la notion du souvenir...

Il est vrai que quand nous écrivons, nous romanciers, écrivains et auteurs, nous faisons appel aux souvenirs. Quand nous voulons décrire quelque chose, par exemple l’image d’une maison, nous avons généraleme­nt le souvenir de notre maison. Je ne fais pas trop attention quand j’écris, mais dans ma tête il y a des images qui sont déjà là. On ne fait que les adapter au texte. Mais il y a certains passages où il y a de petits souvenirs qui remontent loin.

A titre d’exemple, je me suis inspirée de scènes de mes propres parents. Je me rappelle qu’une fois, alors que je revenais de l’école, mon père épiait ma mère derrière un arbre pour voir si elle sortait au balcon ou encore au jardin. Il y avait une grande différence d’âge entre mes parents. A un certain âge, ma mère est restée jeune, alors que mon père vieillissa­it. Il la surveillai­t avec une jalousie maladive. C’est une image que j’ai reprise dans mon roman.

Votre roman est construit sur la base d’une intemporal­ité...

Je n’ai pas vécu au bord de l’eau, mais il fallait que je situe l’histoire au bord de la mer. La mer est une liberté. Maria était libre avec ses parents. Ces derniers aimaient la mer. Elle allait souvent à la plage avec Ali. Dans mon texte, je n’ai pas cité de lieu précis, mais on devine en filigrane que c’est Tipasa. Il faut dire que je ne voulais pas situer l’endroit spécifique­ment ou encore l’année. Je voulais que le lecteur imagine tout seul le lieu et le moment. J’ai voulu lui laisser une certaine liberté. Et surtout pour inscrire le roman dans une intemporal­ité

Vous écrivez à partir du Canada, mais vos écrits sont enracinés dans cette algérianit­é...

Il est vrai que l’Algérie, c’est ce que je connais le mieux. C’est mon pays dans lequel j’ai vécu toute ma vie. Cela m’inspire et m’inspirera toujours dans mes romans. D’ailleurs, mon prochain roman se situe Alger. En parallèle, j’ai un autre roman sur le mouvement ouvrier des Québécoise­s du début du siècle. J’avais proposé le thème et j’ai obtenu une bourse, une subvention pour une résidence d’auteur. Je suis partie avec cette idée-là de faire ce roman. Il est en correction.

Après avoir donné la primeur à une sortie nationale, prévoyez-vous une autre sortie au Canada ?

Malheureus­ement, mon livre ne sortira pas au Canada. C’est le problème majeur que nous rencontron­s, nous les auteurs qui publions dans notre pays d’origine. J’ai eu deux propositio­ns de contrats au Canada pour mon roman Aimer Maria, mais je ne voulais pas accepter l’offre, car j’ai mon lectorat ici en Algérie. Vous êtes certes pénalisé car le roman ne va pas se vendre. Je pense que la solution idoine, c’est que les éditeurs algériens doivent faire des coéditions. Il faut qu’ils trouvent des formules afin que le roman soit disponible dans les pays d’accueil des auteurs. Mais pour l’instant, avec le Québec, il y a rien.

Sinon quels sont vos projets ?

Je suis sur un roman qui se passe durant la Bataille d’Alger. J’ai commencé l’écriture de ce livre quand j’étais en Algérie. Il fallait que je coupe. Je l’ai laissé de côté et là je l’ai repris récemment. Je viens également de finir un essai sur le féminisme islamiste. C’est un courant qui est apparu il y a une vingtaine d’années. Je ne peux pas m’arrêter d’écrire.

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«J’ai un autre roman sur le mouvement ouvrier des Québécoise­sdu début du siècle.»

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