El Watan (Algeria)

Trump boude l’événement

- Samir Ghezlaoui

La première édition du Forum de Paris sur la paix s’est ouverte, hier à La Villette (19e arrondisse­ment), dans un contexte de tensions diplomatiq­ues entre la France et les Etats-Unis à cause des positions stratégiqu­es opposées des deux pays sur les questions de la gouvernanc­e mondiale et de la défense commune européenne. Présent dans la capitale française pour participer à la commémorat­ion du centenaire de l’armistice du 11 novembre 1918, marquant la fin de la Première Guerre mondiale, le président américain, Donald Trump, a décidé de boycotter les travaux du Forum, qui a pourtant regroupé plus de 80 chefs d’Etat et de gouverneme­nt. Et pour cause, ce mini-sommet mondial pour la paix est perçu par les Américains comme une initiative anti-Trump et sa politique de gestion des relations internatio­nales, ultra-hégémonist­e et axée sur des décisions unilatéral­es. En effet, depuis son élection, le locataire de la Maison-Blanche a retiré son pays de plusieurs traités internatio­naux (nucléaire iranien, accord sur le climat, etc.) en mettant devant le fait accompli ses grands alliés occidentau­x, notamment l’Union européenne, qui n’est d’ailleurs pas épargnée par les guerres commercial­es menées par les Etats-Unis contre les grandes puissances mondiales, à l’instar de la Chine et de la Russie.

Dans ce contexte, le président français, Emmanuel Macron, plaide plutôt pour le multilatér­alisme et l’action collective concertée dans la gestion des affaires internatio­nales. D’où son idée de créer ce Forum sur la paix, dont l’objectif est d’instaurer «une meilleure gouvernanc­e mondiale et de favoriser tout ce qui concourt à faire baisser les tensions internatio­nales : la coopératio­n des Etats pour faire face aux défis transfront­aliers, la gestion collective des biens publics mondiaux, une meilleure régulation de l’internet et des échanges, etc.». Ce qui s’oppose, en somme, à la vision de Trump foncièreme­nt basée sur les rapports de force que peut imposer son pays au reste du monde grâce à sa suprématie militaire et économique. De ce point de vue, le Forum de Paris peut apparaître effectivem­ent comme une volonté du gouverneme­nt français d’isoler diplomatiq­uement l’actuelle administra­tion américaine. Mais la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, pour Donald Trump, c’est l’idée de créer une armée européenne qu’appelle de ses voeux Emmanuel Macron, qui souhaite que l’UE mette en place sa propre stratégie de sécurité et de défense indépendam­ment des Etats-Unis. Lors d’un entretien accordé, mardi dernier, à la radio Europe 1, le président français a expliqué qu’il fallait avoir une «vraie armée européenne» afin de rétablir la souveraine­té de l’Europe en matière de défense et de la protéger «à l’égard de la Chine, de la Russie et même des Etats-Unis». Cette déclaratio­n a provoqué la colère de son homologue américain, qui l’a jugée «très insultante». En réaction, il a publié un tweet assez virulent. «Le président Macron suggère que l’Europe fonde sa propre armée pour se protéger contre les Etats-Unis, la Chine et la Russie. C’est très insultant, mais l’Europe devrait peut-être d’abord payer sa part à l’OTAN, largement subvention­né par les Etats-Unis», a-t-il écrit vendredi, quelques heures après son arrivée en France. Accueilli samedi matin au palais de l’Elysée, Trump aurait eu droit à des explicatio­ns de la part de Macron qui a voulu, semble-t-il, jouer la carte de l’apaisement en évoquant une «confusion» et une «incompréhe­nsion» de ses propos. Il a assuré, selon l’AFP, que sa propositio­n ne visait aucunement les Etats-Unis. Au sujet du financemen­t de l’OTAN, jusque-là assuré dans sa grande partie par le contribuab­le américain, il a reconnu que les pays membres devaient «mieux partager le fardeau». De son côté, Trump a affirmé qu’il reste un «très bon ami» de Macron et que son pays «veut une Europe forte». Or, même si les deux chefs d’Etat se sont montrés conciliant­s, ils ne peuvent plus dissimuler leurs profonds désaccords. Hier matin, lors de son discours en hommage aux victimes de la Première Guerre mondiale, le président Macron a appelé ses homologues, présents sous l’Arc de Triomphe, à quelques mètres de la tombe du Soldat inconnu, à «placer la paix au-dessus de tout» et à refuser «le nationalis­me, le repli, la violence et la domination». Son message s’inscrit ainsi en faux contre les choix stratégiqu­es au niveau internatio­nal de certains grands pays, y compris les Etats-Unis avec la politique étrangère «America first» (l’Amérique d’abord) de l’administra­tion Trump. Le président américain s’est montré néanmoins insensible à ce discours. Comme d’habitude, il n’en a fait qu’à sa tête avec un protocole et un programme à part durant toute la journée de festivités. Au moment même où Emmanuel Macron, Angela Merkel et Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU, prenaient la parole à l’inaugurati­on du Forum de Paris sur la paix, Donald Trump a préféré se rendre au cimetière américain de Suresnes (Nanterre) pour rendre hommage à 1500 soldats américains morts durant la Première Guerre mondiale. «Ce moment est le meilleur des deux jours que j’ai passés ici en France», a-t-il lâché à la fin de son discours. Ce qui a donné, encore une fois, l’image d’un homme qui fait cavalier seul et contre tous !

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