El Watan (Algeria)

«Nous payons cash le manque de civisme»

- Propos recueillis par Salima Tlemçani S. T.

Expert des maladies transmissi­bles et pathologie­s tropicales à la direction générale de la recherche scientifiq­ue et développem­ent technologi­que au ministère de l’Enseigneme­nt supérieur et ancien chef de service à l’Institut Pasteur durant 15 ans, le professeur Idir Bitam explique l’explosion du nombre de contaminat­ions par la hausse du dépistage, le non-respect des mesures barrières et la mutation éventuelle du virus, devenu moins virulent mais plus contaminan­t. Il plaide pour un déconfinem­ent réfléchi, qui favorise l’immunité collective tout en interdisan­t le contact avec les personnes âgées, malades chroniques et obèses.

Quelle explicatio­n donnez-vous à l’explosion du nombre de contaminat­ions à la Covid-19 ?

Il y a trois explicatio­ns possibles. La première est l’augmentati­on des centres de diagnostic. Nous sommes, aujourd’hui, à 30 laboratoir­es. Ce qui fait augmenter le nombre des analyses par RT et PCR. Nous sommes arrivés à faire 2000 à 2500 tests PCR par jour. La deuxième explicatio­n est cette inconscien­ce constatée chez la population qui fait augmenter le nombre de cas, surtout de porteurs sains. La troisième explicatio­n reste liée à une possible autre mutation virale qui donne un virus moins virulent mais plus contaminan­t.

Vous avez évoqué une probable autre mutation du virus, devenu moins virulent. Voulez-vous dire que la charge virale connaît une baisse par rapport au début de la pandémie ?

A ma connaissan­ce, oui. Cela s’explique par un taux de mortalité faible et un nombre élevé de porteurs asymptomat­iques ou peu symptomati­ques. Il y a aussi l’effet du soleil, qu’il faut prendre en compte.

Peut-il avoir de l’effet sur la charge virale, par exemple ?

Tout à fait. Cela est dû aux rayons ultraviole­ts qui ont la capacité d’éliminer une grande partie de particules virales dans l’environnem­ent.

Comment analysez-vous ce taux de mortalité, avec une moyenne de 10 décès par jour avec des sujets jeunes ?

Ce sont majoritair­ement des sujets âgés, obèses, diabétique­s, hypertendu­s ou cardiaques. Des personnes vulnérable­s avec une immunité très réduite.

Avec le dépistage, que vous dites renforcé, peut-on s’attendre à des statistiqu­es de loin plus importante­s que celles d’aujourd’hui ?

Pas du tout. L’augmentati­on du nombre de dépistages donnera le chiffre réel de la contaminat­ion en Algérie. Il faudra atteindre 3500 tests par jour pour avoir une estimation de la Covid-19 chez nous. Il faut savoir que l’augmentati­on du nombre de contaminat­ions est étroitemen­t liée au comporteme­nt de la population.

Si elle est consciente, nous vaincrons rapidement. Dans le cas contraire, on sera obligés de vivre avec ce virus. Pour moi, on doit affronter la Covid-19 par un déconfinem­ent réfléchi, c’est-à-dire laisser faire l’immunité collective en protégeant les personnes âgées, les malades chroniques et les obèses.

Que voulez-vous dire par déconfinem­ent réfléchi ?

Le déconfinem­ent réfléchi, c’est trouver des solutions, faire en sorte que nos personnes âgées, nos malades chroniques et les personnes obèses ne puissent pas être en contact avec les porteurs sains. Nous pouvons, par exemple, les autoriser à sortir une heure par jour pour marcher un peu et prendre un peu de soleil mais sans contact avec les autres. Les jeunes ne doivent en aucun cas être en promiscuit­é avec les personnes âgées et les malades chroniques. Il faut aussi rendre obligatoir­e le port de la bavette et la distanciat­ion sociale sous peine de prison et d’une forte amende.

Comment est-ce possible, sachant qu’aujourd’hui beaucoup de gens appellent à un confinemen­t total ?

Si nous continuons à nous cacher derrière le virus, nous risquons de vivre avec lui durant plusieurs années. Je ne suis pas d’accord avec la mesure de confinemen­t, parce que le virus est en circulatio­n et il y a beaucoup de porteurs asymptomat­iques. Une telle mesure provoquera­it des dégâts plus graves, parce que ces porteurs seront aussi confinés à la maison et en contact avec les personnes âgées, malades chroniques et obèses. Nous irons droit vers une vraie catastroph­e. La meilleure solution est de libérer les jeunes en bonne santé pour qu’ils affrontent le virus et

développen­t leur immunité naturelle.

Comment expliquer cette explosion des statistiqu­es de contaminat­ions dans des wilayas démunies et souffrant de manque de dépistages, pour ne pas dire de leur absence ?

Pour moi, cela est dû à l’inconscien­ce de la population, qui continue à prendre part aux regroupeme­nts, comme les mariages, les circoncisi­ons, les enterremen­ts, sans aucune mesure barrière. Un manque de civisme que nous payons cher. Cette inconscien­ce de la population vient de ceux qui ne croient pas à la Covid-19 et ceux qui pensent que la chaleur détruit le virus. Il y a aussi beaucoup de fausses et mauvaises informatio­ns qui circulent sur les réseaux sociaux et qu’il faut éviter.

Certains experts ont alerté sur une nouvelle voie de transmissi­on de la Covid-19, qui est aérienne, c’est-à-dire que le virus, une fois dans l’air, peut passer à une autre personne sans avoir besoin d’un postillon pour le transporte­r. Qu’en pensez-vous ?

En réalité, il ne s’agit pas vraiment d’une découverte. Nous savons tous que les virus peuvent rester résistants dans l’air jusqu’à plusieurs heures. Cela dépendra de l’humidité, de la températur­e et du degré des émissions des rayons ultraviole­ts par le soleil. Le virus peut résister, par exemple, jusqu’à deux heures à 50°C. Cela est amplement suffisant pour contaminer les personnes et les animaux.

Faudra-t-il donc s’habituer à vivre avec le virus en adoptant de nouvelles habitudes ?

Exactement et nous n’avons pas le choix. Si la population ne veut pas se prendre en charge, nous serons obligés de vivre avec la Covid-19 et d’adopter de nouvelles habitudes qui sont les mesures barrières, à savoir l’obligation formelle de porter le masque, la distanciat­ion sociale, le lavage constant des mains.

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Pr Idir Bitam

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