Le Trésor public réclame 400 milliards de dinars et le ministère de l’Industrie le dinar symbolique
Durant près de quatre heures, le juge a entendu les directeurs des domaines de Tissemsilt, Tizi Ouzou, Saïda, El Bayadh, Skikda, Sétif et Tiaret sur les concessions agricoles et industrielles dont a bénéficié Mahieddine Tahkout, ses sociétés et son fils. Les questions tournaient autour des conditions dans lesquelles des dizaines de parcelles de terrain ont été affectées à l’homme d’affaires et pour quelle raison l’administration n’a pas fait jouer les pénalités, les mises en demeure et les annulations de décisions lorsque le patron de Cima Motors a failli à ses obligations d’exploitation et de paiement des redevances. Chacun des prévenus renvoie la balle tantôt vers les walis, tantôt vers Tahkout et tantôt vers le Calpiref. A chaque fois, l’homme d’affaires répond en avançant les problèmes bureaucratiques, la nonviabilisation du terrain, l’absence d’électricité, etc., comme moyens de blocage qui ont «fait que les assiettes foncières n’ont pas été exploitées, délocalisées ou élargies». Le magistrat rappelle Mahieddine Tahkout à la barre et l’interroge sur ses biens à l’étranger. «J’ai un appartement à Nîmes et trois autres à Nice, en France, que j’ai déclarés. J’en ai même informé les enquêteurs dès ma convocation, et je leur ai remis la reconnaissance de dette que j’ai signée à celui qui m’a prêté l’argent. A ce jour, ces appartements sont hypothéqués», dit-il avant que le juge ne lui demande s’il a des sociétés à l’étranger. «Je n’ai pas de société à l’étranger. J’en ai eu trois, une en 1997, une autre en 1998 et la dernière en 2005. Elles ont toutes été dissoutes. Je les ai déclarées aux autorités compétentes au moment opportun. Il s’agit de sociétés de location de bureaux», répond Tahkout, avant de rejoindre le box des prévenus.
Le juge appelle les représentants des sociétés poursuivies en tant que personnes morales. A l’exception de
Cima Motors, aucune n’est présente. Le juge prend acte de leur absence et donne la parole aux parties civiles. D’abord l’AJT (agent judiciaire du Trésor), représenté par Me Zakaria Dahlouk qui commence par accuser Mahieddine Tahkout, ses associés et les membres de sa famille de faits de corruption et déclare aux avocats que l’AGT «est le seul représentant légal et légitime de l’Etat» et que «le ministre des Finances n’a pas cette qualité». Pour lui, les marchés du transport des voyageurs avec l’Etusa et des étudiants avec l’ONOU, ainsi que l’activité d’automobile avec tout ce qu’elle a induit comme avantages accordés à Tahkout ont «engendré un préjudice estimé à 309 milliards de dinars». Et d’évoquer «les montants d’un million de dollars et de 900 000 euros ayant servi aux achats des biens à l’étranger» qui, selon lui, «justifient pleinement (sa) constitution en tant que partie civile». De ce fait, il réclame à la famille Tahkout et ses sociétés la somme de 100 milliards de dinars, comme réparation du préjudice occasionné au Trésor public et, à chacun des autres prévenus, la somme d’un million de dinars.
Agissant au nom du ministère de l’Industrie, Me Cherbal explique : «Ce n’est pas parce que l’exministre Abdessalem Bouchouareb et les cadres de ce département sont poursuivis que le ministère n’a pas le droit de demander réparation. Par leurs actes, ces fonctionnaires ont porté préjudice au ministère. Ils portent l’entière responsabilité de leurs actes. Ils ont érigé un empire et agi en tant que tel en dictant y compris les lois pour rendre service à certains hommes d’affaires. Ils ont porté atteinte à l’image du ministère de l’Industrie, qui incarne pour beaucoup la corruption. Le préjudice n’est pas en termes économique mais d’image», déclare-t-il, avant de réclamer le dinar symbolique, comme réparation.
Représentant la société Saipa, créée par Tahkout avec une société iranienne pour commercialiser la marque Suzuki, Me Lakhdari estime que les deux ex-Premiers ministres, Abdelmalek Sellal et Ahmed Ouyahia, ainsi que les anciens ministres de l’Industrie ont porté préjudice à son mandant «en lui refusant d’être parmi les opérateurs ayant bénéficié des avantages liés au montage automobile, avantage qu’il n’a obtenu qu’au mois de janvier dernier, alors qu’il était en prison. Pourtant, il répondait à toutes les conditions dictées par la loi». A ce titre, il réclame la somme de 500 millions de dinars à Saipa, solidairement payée par Ahmed Ouyahia, Abdelmalek Sellal et Abdessalem Bouchouareb et la même somme payée à Suzuki par les mêmes prévenus. Après le lourd réquisitoire, les plaidoiries ont commencé avec les avocats venus de l’extérieur d’Alger, puis ceux de Amar Ghoul et reprendront aujourd’hui.