El Watan (Algeria)

L’heure est grave

L’ÉPIDÉMIE DE COVID-19 SEMBLE ÉCHAPPER AU CONTRÔLE

- LIRE L’ARTICLE DE ABDELGHANI AÏCHOUN

Lundi dernier, Béjaïa a déploré sa 64e victime emportée par la Covid-19. Au cours des dernières 24 heures, elle a compté 33 nouveaux cas positifs et 20 autres qui attendent les résultats des analyses. Le virus continue à se propager dans un environnem­ent des plus favorables et dans le giron d’une insoucianc­e populaire. Pendant que, dans la ville, les bus circulent bondés d’usagers, sur les plages, les baigneurs sont nombreux à y trouver leur bonheur, avons-nous constaté. Certains viennent des wilayas limitrophe­s, dont Sétif. Le flux n’est pas celui des masses des précédente­s saisons estivales, mais force est de constater que malgré la crise sanitaire, on loue cabanons et appartemen­ts aux estivants. Dernièreme­nt, une enquête épidémiolo­gique menée sur des cas testés positifs a révélé, avons-nous appris à la DSP, que des contaminés sont les membres d’une même famille sétifienne qui a campé au village touristiqu­e de Capritour. Les foyers de contaminat­ion sont multiples et actifs. A l’approche de l’Aïd du sacrifice, plusieurs points de vente de moutons sont apparus anarchique­ment dans la ville de Béjaïa, entraînant des ruées d’enfants et d’adultes tout autour des enclos. Ce sont autant de facteurs qui promettent de faire perdurer la crise.

Depuis le début de l’épidémie, on a dépassé le chiffre de 1400 contaminés dans la wilaya. Durant les deux dernières semaines, il ne se passe pas un jour sans qu’il y ait 35 cas positifs en moyenne, en piquant parfois jusqu’à la limite des 45 cas. Idris Khodja Hadj, le DSP de la wilaya, est formel : le relâchemen­t dans les gestes barrières est «suicidaire». «La responsabi­lité est individuel­le et collective», nous dit-il. Un sérieux problème de confiance a creusé un fossé entre citoyens et autorités et empêche de faire entendre raison sur la gravité de la situation, voire sur l’existence de l’épidémie. L’hôpital d’Amizour a vécu une

scène de tension, lorsque de nombreux citoyens sont venus récupérer la dépouille d’un des leurs dont ils ont refusé de croire qu’il est décédé pour cause de Covid-19. Il a fallu beaucoup d’efforts pour calmer ces esprits. Dans le même état d’esprit, les autorités ont «dû intervenir pour confiner de force des personnes chez elles», à en croire le DSP. Le déni de la réalité bloque aussi les enquêtes épidémiolo­giques, qui sont lancées pour chaque cas. «Les gens refusent de coopérer en donnant, par exemple, de fausses adresses», affirme le DSP.

«On a réussi à faire fléchir l’épidémie. Dans la deuxième quinzaine du mois de mai, les chiffres ont baissé. A l’hôpital de Kherrata, il n’y avait que deux malades, avec la remontée, il y a aujourd’hui 75 malades. En trois semaines, le nombre des contaminés a doublé», déplore-t-il. Les chiffres montent au moment où les malades ne consultent pas tous à temps. Selon notre interlocut­eur, «au début de l’épidémie, on avait moins de cas de forme sévère. De plus en plus de personnes consultent tardivemen­t. Elles ne vont consulter qu’au stade terminal».

Les statistiqu­es officielle­s montrent que 70% des malades décédés ont plus de 65 ans. «La majorité des contaminés sont des gens actifs qui contaminen­t les personnes âgées», constate Idris Khodja Hadj. L’équation est implacable : nos jeunes condamnent nos vieux.

En juin dernier, le Pr Nouasria, chef de service des maladies infectieus­es au CHU de Béjaïa, avait annoncé que 56% des cas atteints par le SarsCoV-2 sont âgés entre 26 et 55 ans. La situation est telle, que la pression continue à s’exercer sur les hôpitaux, notamment à Kherrata et Béjaïa, ce qui compromet la reprise de certaines activités médicales suspendues ou reléguées au second plan. «On allait reprendre certaines activités, mais avec cette reprise, nous les avons mises en veilleuse», nous apprend Idris Khodja Hadj. «On

ira vers l’hospitalis­ation des cas les plus graves seulement», informe-t-il encore.

NOCES INTERDITES

Hier, le wali a interdit aux maires d’établir les actes de mariage. La fermeture des salles de fêtes n’a pas empêché que des couples convolent en justes noces avec DJ et foule. Il y a une semaine, trois cortèges de mariage ont sillonné les rues de la ville dans la même journée. Au même moment, «le personnel médical est à la limite du surmenage», fait remarquer Idris Khodja Hadj. Au surmenage s’ajoute le danger de la contaminat­ion. 70 d’entre eux ont eu le virus, dont 7 étaient, à la fin de la semaine dernière, pris en charge à l’école coranique de Kherrata, réquisitio­nnée comme structure sanitaire annexe de l’hôpital de la ville. «Il y a des médecins et des infirmiers qui ont repris leur service après s’être rétablis d’une contaminat­ion. Ils n’ont jamais faibli ou failli», témoigne le DSP. La situation a obligé certains à demeurer, par mesure de prévention, éloignés de leurs familles. Ils sont 770 à loger dans 11 hôtels, la majorité à Béjaïavill­e. 13 autres hôtels restent prêts à héberger le personnel médical et paramédica­l dans la wilaya. Leur utilisatio­n est tributaire de l’évolution de l’épidémie qui a, cependant, dicté de recourir à des infrastruc­tures extra hospitaliè­res, comme l’Auberge des jeunes de Kherrata où sont hospitalis­és des malades du nouveau coronaviru­s. Au Château de la comtesse d’Aokas se trouvent 23 autres malades. En revanche, les hôpitaux non encore achevés de Tazmalt et de Oued Ghir

ne pourront pas servir. Pour le premier, après résiliatio­n de contrat, une nouvelle entreprise sera installée pour l’achèvement des travaux au bout de cinq mois, et il est attendu d’un autre entreprene­ur de finir les VRD. Tandis que pour Oued Ghir, les chambres ne sont pas adaptées pour une prise en charge en réanimatio­n, contrairem­ent à l’EPH de Souk El Tenine, où l’on est en phase de réception des équipement­s. «S’il y a extrême nécessité, on l’occupera, il nous arrange, parce qu’il y a l’oxygène», assure le DSP. Avec l’apport des donateurs et la contributi­on du privé, la wilaya dispose de 30 lits de réanimatio­n. «En termes d’espace et de lits, c’est gérable. Les appareils sont là», assure encore le DSP. Lundi dernier, neuf lits de réanimatio­n étaient occupés à l’hôpital Khellil Amrane, selon le surveillan­t médical Hafid Boudrahem. On devait dégager un nouvel espace au niveau de l’ancien service de pédiatrie. Selon le DSP, les deux dernières semaines, il y a eu constammen­t 10 malades en réanimatio­n. Si le problème matériel demeure gérable, celui des moyens humains risque de l’être moins. L’urgence dictera de pomper dans le personnel infirmier des polycliniq­ues pour satisfaire les besoins du CHU. Ce qui ne manquera pas de provoquer une pression sur le personnel restant dans ces structures sanitaires de proximité. La demande a été en tout cas faite par le DSP, qui a aussi reçu la liste des médecins de la CNAS et de la DOU engageable­s en cas de besoin. «Il faut que les gens nous aident à tuer ce virus», implore Idris Khodja Hadj, le DSP de Béjaïa.

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