El Watan (Algeria)

Ça tonne à Yaoundé

- AFP

De larges mains obstruant la vision de jeunes citadins ou dirigées vers le ciel où flotte un masque de protection : depuis son minuscule atelier de Yaoundé, Alioum Moussa, jeune artiste-plasticien camerounai­s, s’interroge sur la fragilité d’un «monde en perte de repères face à un petit virus»,

selon lui.

Depuis mars et le début de l’épidémie dans son pays, il diffuse en ligne ses tableaux sur les ravages du coronaviru­s. Plus de cent oeuvres à ce jour, d’une série baptisée «Dieu et les masques». «Un titre métaphoriq­ue inspiré des fausses informatio­ns ou fake news diffusées sur internet sur le coronaviru­s», explique-t-il. Sur l’une, un jeune de la ville, casquette vissée sur la tête, a la bouche et les yeux cachés par les doigts d’un inconnu. Sur une autre, une jeune fille couvre son visage des deux mains. Dans cette série, «j’ai voulu simuler l’aveuglemen­t», détaille Alioum Moussa, à propos des idées fausses qui pullulent sur le coronaviru­s. Au Cameroun comme ailleurs sur le continent, la Covid-19 a fréquemmen­t été perçue comme un «complot occidental», «visant à exterminer les humains, surtout les Noirs», rappelle-t-il. L’artiste luimême semble s’être fait une religion sur l’origine de la pandémie : il a peint un Chinois, la tête en forme d’épée, brandissan­t le mot «virus» sur une pancarte... Alioum Moussa peint aussi pour souligner la «fragilité du monde face à la pandémie». «La maladie a attaqué tout le monde, sans exception, riches, pauvres, Blancs, Noirs, grands, petits», poursuit-il.

«LAVONS NOS MENTALITÉS»

Au Cameroun, on est passé en moins de trois mois d’un cas à près de 10 000 contaminat­ions officielle­ment recensées, et plus de 350 décès. L’Extrême-Nord, dont est originaire l’artiste de 43 ans, n’est pas épargné par la pandémie. Un de ses tableaux, une dame qui arbore un masque, symbolise la vulnérabil­ité de la femme en milieu rural dans cette région, une des plus pauvres du pays. «Je me suis dit que si le coronaviru­s y arrivait, avec toute la violence qu’on a vue en Europe, aux Etats-Unis, ça pouvait exterminer une population beaucoup plus vulnérable», se désole Alioum Moussa. «Le savon, dans certains villages, est un luxe, et l’eau courante une denrée très rare», déplore l’artiste autodidact­e qui, à partir de l’infographi­e – son métier –, s’est imposé comme une des figures connues du Cameroun dans l’art contempora­in. Dans sa série, il veut également pousser plus loin la parabole. «Ne lavons pas seulement les mains. Lavons nos mentalités aussi», écrit-il sur sa page Facebook, où il poste ses tableaux, à propos des excès qu’a pu alimenter le coronaviru­s. Séduite, l’Agence algérienne pour le rayonnemen­t culturel propose aussi les oeuvres du Camerounai­s

sur sa page Facebook. Au Cameroun comme ailleurs, l’impact de l’épidémie sur l’art «a été immédiat, violent et sévère», déplore Alioum Moussa.

Dès mars, l’artiste a dû, pour des raisons financière­s, quitter un local de 400 m2 pour un autre de 50 m2, devenu son logement aussi.

Dans son petit atelier, d’à peine 15m2, quelques tableaux de la série «Dieu et les masques» sont accrochés au mur, de nombreux posés au sol. Pinceaux et boîtes d’acryliques s’amoncellen­t sur une unique petite table de travail.

S’il expose régulièrem­ent au Cameroun et, parfois, à l’étranger, Alioum Moussa ne cache pas qu’il doit mener, de front, sa carrière profession­nelle d’origine par nécessité. «Je parviens à survivre de mes compétence­s artistique­s mais pas de ventes régulières de mes oeuvres, je ne gagne pas grandchose en ce moment et je tiens grâce au graphisme», reconnaît-il. La cour qu’il entretient joliment sert aussi d’exutoire.

SIGNE D’ESPOIR

«Des fois, on y tient des discussion­s improvisée­s autour d’un thé, les gens sont dans l’angoisse à cause de la pandémie», lâche-t-il. «Mais je me suis dit : au lieu d’angoisser, de déprimer dans le confinemen­t, c’était l’occasion de créer», avance Alioum Moussa, qui se voit un peu «comme un thérapeute». «Quand le coronaviru­s a commencé, j’ai vu tes premiers posts suivis des textes alléchants et réconforta­nts un peu comme pour booster le moral», témoigne, sur les réseaux sociaux, un autre artiste camerounai­s, Koko Komegne.

Ses tableaux, «bien que traitant d’un fait générateur de douleur, de peur et de pleurs, sont réalisées dans des choix chromatiqu­es très lumineux et apaisants, ce qui, pour moi, est malgré tout signe d’espoir», commente Paulin Tchuenbou, administra­teur dans un centre d’art contempora­in à Douala (sud).

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Alioum Moussa peint aussi pour souligner la «fragilité du monde face à la pandémie : « La maladie a attaqué tout le monde, sans exception, riches, pauvres, Blancs, Noirs, grands, petits»

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