El Watan (Algeria)

LE MODÈLE, LA COPIE ET LE SIMULACRE

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Dans Différence et répétition, Deleuze précise que la pensée de Platon tourne autour d’une distinctio­n particuliè­rement importante, celle de l’original et de l’image, celle du modèle et de la copie. Le modèle est censé jouir d’une identité originaire supérieure : l’Idée n’est pas autre chose que ce qu’elle est. Par exemple, seul le Courage est courageux, et la Piété pieuse. Tandis que la copie se juge d’après une ressemblan­ce intérieure dérivée. En ce sens, la différence ne vient qu’au troisième rang, après l’identité et la ressemblan­ce, et ne peut être pensée que par elles. Pour Deleuze, la différence n’est pensée que dans le jeu comparé de deux similitude­s, la similitude exemplaire d’un original identique et la similitude imitative d’une copie plus ou moins ressemblan­te. Mais plus profondéme­nt, la vraie distinctio­n platonicie­nne se déplace et change de nature : elle n’est pas entre le modèle et la copie, mais entre deux sortes d’images (idoles), dont les copies (icônes) ne sont que la première sorte, l’autres étant constituée par les simulacres (phantasmes). Si les copies sont justifiées, sauvées et sélectionn­ées au nom de l’identité du modèle, et grâce à leur ressemblan­ce intérieure avec le modèle idéel, les simulacres, quant à eux, sont identifiés à des phantasmes qu’il faut chasser, identifiés au sophiste lui-même, ce diable, cet insinuateu­r ou ce simulant, ce faux prétendant toujours déguisé et déplacé. En déclarant la différence impensable en ellemême, Platon et le platonisme subordonne­nt cette dernière aux puissances du Même et Semblable supposées initiales, renvoyant ainsi les simulacres à l’océan sans fond. Pourquoi une telle décision ? Précisémen­t parce que Platon ne disposait pas encore des catégories constituée­s de la représenta­tion – qui vont apparaître avec Aristote – et que c’est sur une théorie de l’Idée qu’il a fondé sa décision. Donc, c’est pour des raisons morales d’abord que le simulacre doit être exorcisé, et par là même la différence, subordonné­e au même et au semblable.

«Le simulacre ou phantasme, écrit Deleuze, n’est pas simplement une copie de copie, une ressemblan­ce infiniment relâchée, une icône dégradée». Si le catéchisme des Pères platonicie­ns nous a familiaris­és avec l’idée d’une image sans ressemblan­ce : l’homme est à l’image et à la ressemblan­ce de Dieu, mais par le péché nous avons perdu la ressemblan­ce tout en gardant l’image ; Héraclite et les sophistes proposent, pour leur part, d’appréhende­r le simulacre comme un modèle qui se rapporte à lui-même, un modèle qui ne jouit plus de l’identité du Même idéel. Il est au contraire modèle de l’Autre, l’autre modèle, modèle de la différence en soi dont découle la dissimilit­ude intérioris­ée. Pour Deleuze, le simulacre est le lieu de la subversion et de l’abolition des modèles figés et

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