Les Algériens pénalisés
Pour la cinquième année consécutive, les autorités ont décidé de couper internet durant les épreuves du baccalauréat pour empêcher les fraudes et la fuite des sujets.
Baisse de la production, pertes de chiffre d’affaires, activités au ralenti… les coupures temporaires d’internet, décidées par le gouvernement durant les épreuves du baccalauréat, ont porté un sérieux coup aux entreprises de divers secteurs, dont le manque à gagner s’élève à plusieurs centaines de millions de dollars, s’est alarmé Younès Grar, expert en TIC. «Bloquer tout un pays à cause des épreuves du bac est irresponsable, sachant que cette décision a lourdement impacté l’économie nationale. On n’est pas le seul pays au monde qui organise le bac. Nous pouvons recourir aux expériences d’autres Etats en la matière. Il y a d’autres solutions techniques, dont les brouilleurs, et des formules pour garantir le bon déroulement des examens sans opter pour une coupure d’internet», a déploré Younès Grar, ancien conseiller au ministère de la Poste et des TIC, joint par téléphone.
Pour la cinquième année consécutive, les autorités ont décidé de couper internet durant les épreuves du bac pour empêcher les fraudes et la fuite de sujets. Les réseaux sociaux – notamment Facebook, Twitter et WhatsApp – étaient inaccessibles et internet était perturbé dans tout le pays. Cependant, aucune information n’a été communiquée par le ministère de la Poste et des Télécomunications, Algérie Télécom et les opérateurs de téléphonie mobile, excepté Ooredoo. Ce dernier a publié, avant-hier, un communiqué ambigu dans lequel il a annoncé avoir «rétabli» le réseau «après des perturbations». A aucun moment, il n’a mentionné des coupures d’internet en lien avec le bac. Dans le cas de tous les opérateurs, les horaires précis pendant lesquels les réseaux internet fixe et mobile étaient indisponibles n’ont pas été rendus publics. «Il y a aussi urgence de revoir la manière de concevoir les épreuves du bac. On ne peut les concevoir avec les mêmes schémas des années 1970. Il faut aussi revoir la gestion du bac. C’est impensable qu’en 2020, on continue à imprimer les sujets à Alger et ensuite les transporter par avion vers des centres d’examen du Sud, alors qu’il y a des facilités électroniques», a ajouté notre interlocuteur, invitant le ministre de l’Education nationale à ouvrir un large débat public pour préparer la prochaine session du bac.
Pour le spécialiste des TIC, les coupures d’internet pendant l’examen du bac ont occasionné environ un milliard de dollars de pertes à l’économie nationale, déjà fortement impactée par la Covid-19. «Une étude faite par un bureau d’études étranger évalue la perte à 50 millions de dollars/heure, soit 400 millions de dollars/jour, c’està-dire 2 milliards de dollars/semaine. A la lumière de cette projection, je considère que l’Algérie a perdu, à peu près, un milliard de dollars à cause de cette coupure», a-t-il expliqué, déplorant le fait que «c’est le pauvre citoyen qui payera cette facture».
Dans le cas des opérateurs de téléphonie fixe et mobile, la coupure d’internet a coûté 150 millions de dollars aux abonnés, selon lui. Younès Grar a calculé cette perte financière en se basant sur la moyenne des 30 millions d’abonnés à la téléphonie mobile et fixe en Algérie et en estimant la consommation journalière des abonnés à 100 DA (un dollar) par personne. Dans le domaine du e-commerce, des sociétés ont enregistré une baisse conséquente de leur activité et des pertes financières. «Il y a aussi des entreprises qui ne travaillent qu’avec internet, à l’instar de Yassir et Jumia. Lorsque l’on coupe internet, leurs chiffres d’affaires chutent brutalement. Si ces entreprises attaquent en justice Algérie Télécom, Mobilis, Djezzy ou Ooredoo, normalement, dans un pays où la loi est respectée, ils auraient gain de cause», a-t-il souligné.
Outre les entreprises du commerce électronique, d’autres sociétés issues de plusieurs secteurs, dont les agences de voyages, les concessionnaires automobiles et les banques, ont essuyé des pertes financières. Younès Grar a déploré l’attitude des opérateurs de téléphonie mobile et fixe au sujet de la coupure d’internet et leur refus de dédommager leurs clients. «Les opérateurs n’ont même pas daigné communiquer et s’excuser auprès des abonnés. Comme les années précédentes, les opérateurs de téléphonie ne vont pas rembourser. Lorsqu’il y a une pression de la part des personnes, certains opérateurs proposaient des jours d’abonnement en plus. Or, ils doivent rembourser les gens», a-t-il insisté.
Pour sa part, le juriste Abdellah Haboul a estimé que «couper internet et priver des millions d’Algériens des services de communication électronique constituent une violation de l’article 4 et 7 de la loi 18-04 relative à la poste et aux communications électroniques».
En 2019, l’ONG Netblocks, qui lutte contre la censure et la surveillance du web au niveau mondial, a révélé que les coupures d’internet durant le bac avaient causé à l’Algérie une perte financière estimée à 250 millions de dollars, soit plus de 30 milliards de dinars.