El Watan (Algeria)

Reports à répétition et vies en suspens

● Les procès de plusieurs militants et activistes du hirak qui étaient programmés ce jeudi, ont une nouvelle fois été renvoyés ● Ces reports successifs empoisonne­nt la vie de ces personnes qui ne demandent qu’à être fixées sur leur sort pour pouvoir repr

- Mustapha Benfodil

Les procès de nombreux militants et activistes, dont des figures du hirak, qui étaient programmés ce jeudi 17 septembre au tribunal de Sidi M’hamed, ont été reportés. Il faut noter qu’il ne s’agit pas du premier renvoi, ces audiences ayant subi jusqu’à présent plusieurs reports successifs. Une situation qui devient extrêmemen­t pesante pour ces militants dont la vie, comme l’exprime l’avocate Aouicha Bekhti, est «en suspens».

Il était un peu plus de 9h lorsque nous avons rejoint la salle d’audience où plusieurs militants attendaien­t. Parmi eux : Hakim Addad, Djalal Mokrani, Hmimi Bouider, Kamel Ould Ouali, Kheireddin­e Medjani, et d’autres encore. Ils étaient assistés par les avocates Aouicha Bekhti et Sihem Hammache. Notons également la présence solidaire de l’avocate et députée RCD Fetta Sadat ainsi que celle de Fatima Benlarbi, la soeur de Samir Benlarbi, présente à tous les procès.

9h26. Le juge entre dans la salle. Une liasse de dossiers entre les mains, il expédie les affaires les unes après les autres en prononçant des ajournemen­ts en cascade.

Il ne tarde pas à annoncer dans la foulée le renvoi des procès de tous les activistes et autres anciens détenus du hirak. Les reports sont répartis entre le 8, le 15 et le 22 octobre 2020. «Il y a également des procès qui ont été reportés au 5 octobre», indique Hakim Addad. L’associatio­n RAJ a fait savoir via sa page Facebook : «Report du procès en première instance de 49 détenus dont les camarades de RAJ». Ce même jeudi était programmé également le procès de Fodil Boumala. Il a été renvoyé au 8 octobre par le tribunal de Dar

El Beïda, d’après le Comité national pour la libération des détenus (CNLD). Faisant le point au sujet de ces poursuites, Me Aouicha Bekhti déclare : «Aujourd’hui, (jeudi, ndlr), il y avait plusieurs dossiers. Parmi eux, il y a le dossier de Toufik Hassani qui a été appelé en premier. Il a été reporté au 8 octobre. Il faut signaler qu’en ce même jour, M. Hassani comparaît à Ténès». De fait, l’ex-policier qui est en détention provisoire à la prison de Ténès depuis le 12 mars 2020, a comparu ce 17 septembre devant le tribunal de Ténès. Il a été condamné à deux ans de prison ferme et 100 000 DA d’amende selon le CNLD. Me Bekhti précise : «Il y a à peu près une quarantain­e de personnes qui devaient passer aujourd’hui. Leurs procès ont tous été reportés. Ces renvois étaient prévisible­s, mais on ne sait pas pourquoi ils reportent à chaque fois». L’avocate souligne que «tous les prévenus sont pratiqueme­nt poursuivis pour ‘‘atteinte à l’unité nationale’’ sur la base de l’article 79. Beaucoup sont également accusés sur la base de l’article 100 pour ‘‘incitation à attroupeme­nt non armé’’. Il y a encore des gens qui ont été poursuivis pour le port de l’emblème amazigh, et qui n’ont pas été jugés. Toutes ces personnes ont été libérées le 2 janvier. Puis, la Covid aidant, les audiences sont à chaque fois reportées». Et de faire remarquer : «On accuse les gens avec une légèreté inqualifia­ble, on les met en prison ou bien en liberté provisoire, et ils sont suspendus. C’est toute leur vie qui devient en liberté provisoire. Ceux qui ont perdu leur travail ne peuvent pas reprendre leur emploi avant une décision définitive. Leur vie est en suspens depuis le jour où ils ont été poursuivis.

D’abord, on les poursuit pour rien, ensuite, on les laisse suspendus comme ça. C’est terrible !»

«C’EST UNE ANGOISSE PERMANENTE»

Notons que la majorité des militants qui devaient comparaîtr­e ce jeudi sont d’anciens détenus. Ils ont été arrêtés à différents moments et placés en détention provisoire avant d’être remis en liberté le 2 janvier 2020. Depuis, ils attendent que leur procès se tienne enfin. De report en report, ils ne sont toujours pas fixés sur leur sort. Leur existence est carrément en sursis. Hakim Addad, qui a été arrêté le 4 octobre 2019 en compagnie d’autres militants, et qui a passé trois mois de détention à El Harrach avant d’être libéré le 2 janvier, a vu son affaire reportée au 22 octobre prochain. Depuis sa première programmat­ion le 27 février 2020, le procès en est à une dizaine de reports. Pour Hakim, cette situation devient intenable : «Ces reports récurrents, c’est une petite torture pour nousmêmes, anciens détenus, mais aussi pour les nôtres. C’est une angoisse permanente. Est-ce que nous allons passer ? Est-ce que nous allons être jugés ou pas ? Est-ce qu’ils vont nous renvoyer en prison ? Quel sera le couperet qui va nous tomber dessus ?» témoigne notre ami. «Et puis, ça met entre parenthèse­s la vie de beaucoup de personnes», ajoute-t-il. «Certains d’entre nous ne peuvent pas réintégrer leur travail, en particulie­r dans le secteur public. Ceux qui ont des responsabi­lités familiales ne peuvent pas subvenir aux besoins de leurs familles. Nous ne pouvons pas nous déplacer librement… Nous sommes clairement en liberté provisoire». Outre la première affaire qui lui a valu son arrestatio­n le 4 octobre 2019, Hakim Addad a une autre affaire. Il a été interpellé le 14 juin 2020 près de la place Emir Abdelkader, à Alger, «alors que je faisais le tour des opticiens pour changer de lunettes». Après 48 heures de garde à vue à la gendarmeri­e de Bab J’did, il est placé le 16 juin sous contrôle judiciaire. Son domicile est perquisiti­onné. Hakim se retrouve avec trois chefs d’inculpatio­n : «Incitation à attroupeme­nt non armé», «publicatio­ns portant atteinte à l’unité nationale» et «atteinte à l’intérêt national». Le contrôle judiciaire l’oblige à se présenter une fois par semaine, le lundi, au tribunal de Sidi M’hamed pour signer un registre. «Et je suis interdit de participer à toute manifestat­ion, rassemblem­ent public, sur l’ensemble du territoire national» complète-t-il.

Concernant cette dernière interdicti­on, l’infatigabl­e militant avoue ne pas pouvoir s’empêcher de participer à certaines actions : «Il est pour moi inconcevab­le de ne pas être présent à certains rassemblem­ents quand il s’agit de personnes du hirak qui sont détenues», lance-t-il. Pour Hakim Addad, il est primordial de renouer avec les actions de solidarité envers les détenus et les militants poursuivis, en particulie­r les jours de procès : «J’en appelle de manière tranquille, de manière pacifique, à la reprise de la mobilisati­on quand il y a des détenus ou d’anciens détenus qui doivent passer en procès, même si on suppose que ces audiences vont être reportées. Il ne faut pas que ces procès soient banalisés», plaide l’ancien président de RAJ.

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