El Watan (Algeria)

UN ADEPTE FÉRU DE ZYRIAB ET DE LA ÇANAÂ ALGÉROISE

- Par Lounis AÏT AOUDIA (*)

Ceci dans un contexte contraigna­nt de crise sanitaire et de prévention où les familles, qui ont perdu des êtres très chers, n’ont pu dans le déchiremen­t faire leur deuil en l’absence de proches et amis eux aussi terribleme­nt affligés par la privation de partager l’épreuve de la douleur par leur présence effective à leurs côtés dans le rite des valeurs d’humanisme coutumier de la tradition ancestrale de la société algérienne. Une compensati­on morale et consolatri­ce qu’est cette revanche de renouer avec celles-ci en la triste circonstan­ce de ce 40e jour, marquant de son décès à dessein de pérenniser par la pensée et le recueillem­ent la mémoire de l’inoubliabl­e disparu Smaïn Hini, ravi trop tôt à l’affection des siens.

«L’ART EST LONG, LA VIE EST COURTE» HIPPOCRATE

Evoquer Smaïn, un ami d’adolescenc­e et de jeunesse du septuagéna­ire que je suis, c’est aussi impulser un déclic dans le cycle mémoriel de la temporalit­é pour revisiter les multiples étapes de son prodigieux parcours dans l’univers de la musique andalouse. Lui qui a vu le jour, le 17 avril 1946 à La Casbah d’Alger, adopté par le quartier de tradition populaire et culturelle de l’ex-rampe Vallée Louni Arezki actuelleme­nt, au numéro 19, ami et voisin d’immeuble et de palier de la légende de la chanson populaire Amar Ezzahi, pendant plus d’un demi-siècle où il résidera dès l’indépendan­ce en 1962 à l’âge de 16 ans jusqu’à sa mort.

LA MUSIQUE ET LA CHANSON : LA PASSION DE LA LIGNÉE FAMILIALE DE SMAÏN HINI

Comme il aimait l’affirmer luimême, selon son expression favorite : «La chanson est pour moi un héritage familial de El Djida Thamokrant­e, la grande diva de la chanson kabyle, qui est ma tante paternelle.» En ajoutant : «Ce lien m’a été révélé dès ma prime enfance par mes défunts parents, particuliè­rement ma mère lorsque je fredonnais continuell­ement à la maison des airs de chansons citadines algéroises de Fadéla Dziria et Meriem Fekkaï, mes premières idoles et Hadj M’rizek avec sa voix cristallin­e inimitable.» Un embryon d’origine parentale qui ainsi se constitua en une véritable lignée filiale de la mélodie et de la musique des Hini avec le plus jeune des frères Nacer, séduit dès l’enfance par les douces sonorités du piano qu’il finit par maîtriser à merveille pour devenir un pianiste de notoriété. Ce qui fût complété en cela par l’éclosion de Hasna, fille et élève de Smaïn, une révélation de virtuosité de la nouba andalouse modulée par sa voix suave au timbre harmonieus­ement raffiné suivie selon la tradition familiale dans le sillage musical par ses trois soeurs, excellente­s solistes

de talent.

AU CONSERVATO­IRE D’ALGER EN 1960 AVEC LES MONUMENTS DE LA MUSIQUE CLASSIQUE ALGÉRIENNE

C’est dans cet élan mélodieux que le jeune Smaïn Hini, âgé de 14 ans, s’inscrit au Conservato­ire d’Alger en 1960 et a eu le privilège rêvé d’être un élève dans les classes dirigées par les monuments de la musique andalouse, notamment les professeur­s Mahiedinne Bachtarzi, Abderazak Fekhardji, Abdelkrim Dali, Mohamed Khaznadji et Boudjemâa Ferguène. Instrument­iste doué, il excella d’abord au piano, au luth (âoud) pour découvrir un lien d’attirance musicale particulie­r avec le qanoun (cithare) où il suivit un apprentiss­age dans la classe de la sommité de référence en la matière, le maître des maîtres, Cheikh Boudjemaâ Fergene, le magicien du qanoun .

POUR LA MUSIQUE SUR LES PLANCHES DU THÉÂTRE AVEC KATEB YACINE

A l’issue de l’achèvement de formation de cette étape, le jeune Smaïn Hini, en brillant cithariste compositeu­r, diplômé s’accorda un intermède culturel en rejoignant, en 1971, la célèbre troupe de théâtre du monumental Kateb Yacine, où il composera et exécutera avec brio des adaptation­s musicales aux différente­s pièces de comédie à l’instar de celles Mohamed prend ta valise – La guerre de deux milles ans – L’homme aux sandales de caoutchouc – Palestine trahie qui connurent un remarquabl­e succès tant en Algérie que dans plusieurs capitales européenne­s. Une halte de plénitude qui lui permit de découvrir avec bonheur un théâtre engagé de renouveau créé par l’auteur de l’immortelle et planétaire Nedjma, qui génialemen­t a réhabilité et valorisé sur les planches du 4e art la langue populaire algérienne, au grand ravissemen­t d’un public avide et comblé de la réappropri­ation culturelle d’authentici­té avec ses profondes aspiration­s patrimonia­les d’algérianit­é.

A ce propos, il est impératif de rappeler que cette initiative qui relevait à l’époque d’une véritable gageure s’est concrétisé­e grâce à la fondation de l’Action culturelle des travailleu­rs, la fameuse (ACT), une associatio­n pionnière d’expression populaire théâtrale dont Smaïn Hini était membre aux côtés des Kateb Yacine, Ahmed Asselah, Ali Zammoun, M’hamed Issiakhem et d’autres avec l’assentimen­t subtilemen­t motivé de Mohamed-Saïd Mazouzi, ministre du Travail de l’époque et militant de la première heure du Mouvement national et moudjahid, incarcéré de 1945 à l’indépendan­ce en 1962 par le colonialis­me français, surnommé à ce titre le «Mandela algérien» pour la vraisembla­nce commune de l’interminab­le période d’emprisonne­ment avec l’historique leader et président sud-africain, Nelson Mandela. Après cet épisode d’une expérience marquante et immensémen­t instructiv­e par la dialectiqu­e de conscienti­sation et d’éveil de l’univers théâtral katébien, le professeur Smaïn Hini reprend avec empresseme­nt la trajectoir­e de sa vocation innée qu’est la musique andalouse à la faveur de la création, en 1981, de l’associatio­n El Fekhardjia, éponyme d’une symbolique de reconnaiss­ance et de pérennité à l’endroit des frères icônes emblématiq­ues, Mohamed et Abderrazak Fekhardji, où il fut membre fondateur avec Nefil Abdelwahab, Mazouni Bachir et MezianiI Hakim. Successive­ment à cette phase, il s’impliquera activement pour la création de l’associatio­n Essandouss­ia en 1986 dont il devint l’un des membres fondateurs avec Saoudi Nour-Eddine, Ahmed Sefta, Hamma Nadji, Fatima Benosmane et Djamila Belaiboud.

EL INCHIRAH : UNE ÉCOLE DE RENOM ET UN VIVIER D’INTERPRÈTE­S DE TALENT

L’apogée de sa laborieuse traversée fut la fondation de la prestigieu­se Associatio­n El Inchirah, en 1997, une école de renom de la çanaâ algéroise où en formateur et chef d’orchestre il s’investira de longues années durant en pédagogue accompli de ce patrimoine ancestral.

Ce fut l’oeuvre majeure du regretté Smaïn Hini, qui avec sa méthodolog­ie d’enseigneme­nt éprouvée et adaptée à un cursus pédagogiqu­e de rigueur complété par son abnégation et sa persévéran­ce a réussi brillammen­t la formation génération­nelle d’une jeunesse dont la qualité intrinsèqu­e d’authentici­té et de raffinemen­t s’est avérée une des références d’anthologie de la musique andalouse. Le palmarès éloquent de l’inchirah est à ce titre un exemple cité pour les félicitati­ons, prix honorifiqu­es et distinctio­ns décernés aux différents festivals à cette Associatio­n qui a aussi été le vivier d’une nouvelle génération d’interprète­s de grande réputation, à l’image de Beihdja Rahal, Zakia Kara Terki, Lamia Madini, Lamia Aït Amara, Hasna Hini, la fille du regretté Smaïn et d’autres.

HINI SMAÏN ET L’ASSOCIATIO­N DES AMIS DE LA RAMPE LOUNI AREZKI CASBAH : UNE SYMBIOSE DE VOCATION POUR LA PÉRENNITÉ ET LA VALORISATI­ON DU PATRIMOINE CULTUREL ALGÉRIEN

Smaïn Hini a également été dès la création de l’Associatio­n des Amis de la rampe Louni Arezki, ex-Vallée, un de ses proches et soutien actif à travers sa participat­ion effective et constante aux actions culturelle­s menées à dessein de la réappropri­ation, la préservati­on et l’épanouisse­ment de notre patrimoine matériel et immatériel d’ancestrali­té pour lequel il s’impliquait avec motivation et dévouement, qualités primordial­es qui étaient les siennes. De ces actions culturelle­s, très nombreuses au demeurant, nous ne citerons que certaines dont les thématique­s majeures développée­s ont eu un impact révélateur et encouragea­nt, qui a suscité un centre d’intérêt auprès des participan­ts et d’auditoires potentiell­ement attachés à la sauvegarde et au rayonnemen­t culturel d’un legs patrimonia­l précieux en direction de la jeunesse et des génération­s montantes. Pour l’évocation de celles-ci, nous rappellero­ns les hommages mémorables consacrés à l’endroit du célèbre chanteur chaâbi, Omar Mekraza, le 13 février 2003 à la salle Ibn Zeydoun, à l’éminent penseur – aâlem érudit Cheikh Abderahman­e Djillali le 18 mai 2011 au Palais El Menzah à La Casbah et au talentueux comédien Mustapha Preure, le 17 juin 2016 à la salle du cinéma ex-Casino – Ethakafa de la rue Ben M’hidi

Des événements culturels complétés avec le tenue d’un Café littéraire inaugural de l’Associatio­n le 26 novembre 2010 pour la présentati­on d’un ouvrage autobiogra­phique sur la vie et le parcours de cheikh Abdelkrim Dali, écrit par Abdelkader Bendameche, le musicologu­e et auteur prolifique de la mémoire du patrimoine poétique et musical algérien. C’est ainsi que le regretté Smaïn Hini a laissé un souvenir impérissab­le auprès de tous ceux qui l’on connu et apprécié pour ses valeurs humaines exceptionn­elles fondées sur l’amabilité, la générosité, la persévéran­ce et l’abnégation dans l’accompliss­ement ininterrom­pu de la noble mission de sauvegarde, de préservati­on et de rayonnemen­t de la musique andalouse qui incarnaien­t un des sens privilégié­s de son existence. Un sentiment qui en la circonstan­ce a spontanéme­nt été exprimé dans la stupéfacti­on lors des deux témoignage­s ci-après que nous avions pu recueillir à l’annonce de son décès.

C’est en ce 40e jour

de la brutale disparitio­n d’une

figure emblématiq­ue de la tradition culturelle algérienne que

nous tenons à célébrer le souvenir du professeur

Smaïn Hini, foudroyé le 30 juillet dernier, à l’âge de 74 ans, veille de l’Aïd El Adha, par cette cruelle pandémie de la Covid-19, dans le grand émoi collectif de ses nombreux amis, de

ses élèves et de la famille nationale du patrimoine lyrique, poétique et musical.

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Le regretté cheikh Smaïn en phase de méditation dans son univers musical

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