El Watan (Algeria)

Des familles entières prennent la mer pour l’Europe

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Soit nous mourrons ensemble, soit nous réussirons à rallier l’Europe.» La famille Houije a vu des proches se noyer dans la périlleuse traversée de la Méditerran­ée et échoué deux fois à quitter la Tunisie, mais elle reste déterminée à partir clandestin­ement. Un nombre croissant de familles prend la mer en espérant trouver ailleurs des perspectiv­es qui leur semblent impossible­s en Tunisie, où le chômage dépasse les 30% dans certaines régions. «Si j’avais une embarcatio­n, je tenterais à nouveau ma chance avec ma famille !», lance Mabrouka, la mère, qui ne voit «pas d’autre solution» pour survivre et donner une chance à son fils Ahmed, 22 ans, tétraplégi­que. Dans un quartier populaire de Sfax, ville portuaire du centre de la Tunisie, Mabrouka occupe avec ses enfants, sa soeur et ses neveux une maison rudimentai­re au bout d’un chemin défoncé. Pas d’eau courante, un branchemen­t clandestin à l’électricit­é, quelques tomates, poivrons et trois oeufs pour nourrir les neuf bouches de la maisonnée. Certains jours, ils en sont réduits à manger des escargots. Le père de famille, Raouf, chiffonnie­r, gagnait à peine de quoi vivre, 20 dinars (7 euros) par jour en ramassant des bouteilles en plastiques dans la rue, lorsque le confinemen­t l’a empêché de travailler quatre mois durant. Mabrouka a reçu des autorités régionales une aide de 180 dinars (environ 58 euros), versée une seule fois. Après avoir économisé les menus prêts et aides reçus depuis des années, la famille a tenté de traverser illégaleme­nt la Méditerran­ée en juillet, puis en août, pour rejoindre l’Italie où des connaissan­ces leur ont promis de l’aide. En vain : ils ont été intercepté­s deux fois par les gardescôte­s tunisiens, et Raouf est actuelleme­nt en prison pour émigration illégale mettant en danger un mineur.

8000 EN HUIT MOIS

Leur fille de 12 ans, Eya, qui n’avait jamais vu la mer à 10 km de chez eux, avoue avoir eu «peur». Mais ils ne voient pas d’autre issue pour faire soigner leur aîné, alité chez eux après un accident il y a cinq ans. Ils ont un carnet de santé permettant une prise en charge dans des hôpitaux publics, mais nombre des soins nécessaire­s ne sont accessible­s que dans le privé. Lors de leur première tentative, une vidéo de cette famille en mer avec leur fils et son respirateu­r au fond de la barque a beaucoup circulé sur les réseaux sociaux. «Ne me blâmez pas parce que j’ai emmené mes enfants avec moi! Personne ne s’est adressé à nous pour nous aider !», criait Raouf aux garde-côtes. Le nombre de Tunisiens émigrant clandestin­ement en Italie, qui avait atteint un record après la révolution de 2011, avec plus de 20 000 arrivées, a ensuite fortement baissé. Mais il est reparti à la hausse depuis 2017. Sur les huit premiers mois de 2020, plus de 8000 Tunisiens ont atteint l’Italie, selon l’ONU.

Si les parents tentaient naguère de dissuader les jeunes de partir, la famille entrave de moins en moins les départs, selon le Forum tunisien pour la défense des droits économique­s et sociaux (FTDES). «Petit à petit, encombrée par les difficulté­s socio-économique­s, la famille ne voit plus d’inconvénie­nt à financer la migration illicite de ses enfants», souligne Romdhane Ben Amor, membre de cette ONG. Un nombre grandissan­t d’enfants prennent la mer. Cette année, les gardes-côtes ont intercepté 250 mineurs, pour la plupart accompagné­s d’au moins un adulte, a indiqué à l’AFP la Garde nationale. AFP

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Le nombre de migrants clandestin­s tunisiens a atteint un record après la révolution de 2011

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