El Watan (Algeria)

A qui profite le Code de la famille ?

«Sitôt libérées du passé, où sommes-nous ? Le présent se coagule. Sourire fugace du visage dévoilé ; l’enfance disparue pouvons-nous la ressuscite­r, nous, les mutilées de l’adolescenc­e, les précipitée­s hors corridor d’un bonheur excisé ?» Assia Djebar, Om

- Par Tarik Djerroud Auteur et éditeur Dernier ouvrage publié, Chère laïcité T. D.

Naître femme est un triste événement, comme l’arrivée d’un malheur ! Enfanter des filles fait rabaisser la mère au rang d’une malédictio­n !

Depuis qu’un verset, vieux de quatorze siècles, est pris au pied de la lettre, soulignant qu’Eve a incité Adam à croquer le fruit de l’arbre interdit, les femmes de la Terre, et a fortiori les femmes musulmanes, sont rangées dans une mauvaise case, dès leur naissance même. Un lourd tribut les attend et leurs vies entières vont devenir un laps de temps où il leur faudra expier une erreur légendaire, rapportée dans un livre nimbé de poésie !

Sans avancer aucun argument, les femmes sont déclarées inférieure­s. Selon le verset 228 de la sourate Al Baqara (La Vache), les hommes «ont une prédominan­ce sur elles».

Un autre verset annonce qu’ils «ont une autorité sur les femmes», tel qu’on peut lire plus loin dans le verset 34 de la sourate An Nissa’a (Les Femmes).

En mettant à l’écrit ce qui était assez répandu dans la Tradition, sans en alléger les contrainte­s, le législateu­r n’a fait que légaliser une ségrégatio­n nuisible. Montrant un cuir épais, le projet est étayé de hadiths dont il est impossible de vérifier l’authentici­té. Il s’est même faufilé dans les rouages de l’Etat pour donner naissance, en 1984, à un Code de la famille qui tire ses grandes lignes d’une vieille chariâa dont le corpus délégitime l’Etat de droit.

En effet, après plus de vingt ans d’hibernatio­n, les législateu­rs algériens fermentent un Code pénalisant sinon un complot contre la femme algérienne reléguée à un statut inférieur, tout comme les non-musulmans. Ce complot, imposé au nom de la loi inspirée par la foi, décide du concept de la femme, de son rang, de son rôle et de ses maigres prérogativ­es. Sans droits, sans dents, pour en faire une servante à vie !

Au nom de ce Code de la famille, et du verset 3 de la sourate An Nissa (Les Femmes), l’homme pouvait convoler en justes noces avec quatre femmes. Affaiblie, à la femme il est exigé une constante obéissance sous peine de subir les foudres d’Allah, argue la conscience islamiste douée de l’art de sacraliser une injustice pour en faire un fardeau obligé.

Lésée dans la répartitio­n de l’héritage telle une mort-née, la femme est une perpétuell­e damnée. Et pendant ce temps, l’homme s’empare des biens familiaux au détriment de sa soeur, en toute bonne conscience. Les femmes algérienne­s sont majoritair­ement peu instruites, leur insertion dans le monde du travail devient un parcours de combattant­e dans un univers hérissé de machisme et de bureaucrat­ie.

Cette discrimina­tion est à la fois un conservati­sme culturel et une régression morale. Comme une sublimatio­n de la culture du harem, le convoiemen­t des esclaves trouve un appui en ces temps modernes où l’homme est autorisé à prendre jusqu’à quatre épouses, comme il y a quatorze siècles. Pourquoi pas cinq, sinon plus ? Pourquoi ne pas autoriser la femme à épouser autant d’hommes qu’elle le désire ? La raison pure prend vite un violent coup de poing à la figure ! «La règle de vie au sein du harem est à l’avantage de l’homme qui en est le maître dès lors que toutes les femmes lui sont assujettie­s», observe l’anthropolo­gue Malek Chebel(1). Au nom de ce Code ségrégatio­nniste, aucune femme ne peut se marier sans la présence d’un wali(2), autrement dit d’un tuteur mâle. Lorsqu’une femme de quarante ans désire voyager ou se marier, fût-elle médecin, ingénieur ou professeur, elle doit être accompagné­e d’un homme, ou obtenir son autorisati­on, même s’il est son cadet et d’un mièvre niveau d’instructio­n. Des décennies après les succès de Marie-Curie, l’envol de Valentina Terechkova vers le ciel, l’arrivée au pouvoir de Margareth Thatcher, un Code borné et réactionna­ire dénie à la femme algérienne toute responsabi­lité, toute maturité ; pire, elle est assignée à accepter son manque de lucidité, donc sevrée de jouir de toute liberté.

Voyons : une femme médecin peut soigner, sauver la vie de ses parents mais jamais voyager seule ! Une femme enseignant­e peut instruire son petit frère, mais ne jamais se marier sans son aval ! En voilà des insanités qui révèlent mieux les limites des docteurs de la foi et font sentir les limites de la chariâa.

Mauvais signe, cette propension relève de l’absurde, au mieux de la bêtise, tant elle permet la démesure, et tant d’excès au nom d’Allah. Et depuis, avec cette jurisprude­nce secondée par des lanceurs de fatwas, le jeu devient facile et usurpateur : il suffit qu’un salafiste dise que ceci est la voie d’Allah pour que la meute s’exécute ! Un tel cynisme a fait le malheur non des femmes uniquement mais de toute la société. En diabolisan­t la femme au terme d’une lecture subjective, le législateu­r algérien a offert le droit de la maudire, de l’insulter, de la violenter.

La chariâa prêchée n’autorise-t-elle pas de corriger la femme de façon violente ? Au regard du verset 34 de la sourate An Nissa (Les Femmes), la violence se veut pédagogiqu­e, utile. Cette lecture péjorative, sans aucune contextual­ité, ni historicit­é, fait calquer la mentalité du lecteur sur un texte vieux de quatorze siècles pour s’autoriser, in fine, à transforme­r le glamour familial en un marigot d’illusions et d’agressivit­é. En clair, la soumission volontaire et aveugle est le gouffre vers lequel la chariâa les attire.

Dans nombre de pays, le temps est à l’ouverture politique. Sous nos tropiques, c’est l’expression «fermeture» qui fait florès où le moindre désir de modernité est combattu et battu en brèche. Avec regret, nous pouvons donc affirmer avec Abdelawaha­b Meddeb que la transmissi­on de la Tradition musulmane a dominé la raison et ses lumières. Le naql (copiage) a éliminé le ‘aql (la raison)

(3). Autant dire qu’une exégèse purement sémantique d’un texte éloignée de sa source historique a mené à des conclusion­s délirantes. Et la loi en vigueur reflète une nette régression. La chariâa malgré tout ! Pour la puissante oligarchie algérienne, la piteuse cause idéologiqu­e est assez déterminan­te. Et l’affirmatio­n de son ancrage dans la sphère arabe et islamique est une obsession on ne peut plus maladive.

Le régime n’apprécie rien que les lois de la soumission, c’est sa nature. Il en répand le venin même dans les ménages algériens où il impose facilement sa volonté et sa violente culture, au profit de l’homme. Et il n’est pas rare de voir une femme rouée de coups par son mari, son frère, son père : une violence légalisée, renforcée par un code d’honneur familial qui empêche la femme de porter plainte, de se défendre légalement au risque que la honte ne s’abatte sur elle telle une épée de Damoclès.

Et l’inégalité successora­le, n’est-ce pas une aggravatio­n de son malheur ? Une femme, en effet, doit hériter la moitié de son frère l’homme. Mais, diantre, quel esprit honorable peut accepter d’hériter le double de sa soeur ? Il est assez facile de discerner ce qui est sensé de ce qui relève de l’inanité. L’espèce humaine a deux faces : l’homme est une femme de sexe masculin et la femme un homme de sexe féminin ; si cette égalité se fait évidente, la probité du juriste serait sauve. Mais… Comme un malheur n’arrive jamais seul, au regard du verset 282 de la sourate Al Baqara (La Vache), devant un tribunal il faut le témoignage de deux femmes pour équilibrer la balance du témoignage d’un seul homme. Grave encore, il est plus facile pour un homme de répudier son épouse, ce qui, naturellem­ent, ouvre le champ de l’arbitraire à son extrême.

S’unir avec une non-musulmane, chanter à la guise du coeur, savourer des pintes de bière ou de vin à satiété, garder suavement la clope au bec, forniquer au rythme de ses pulsions, sont des «faux pas» impardonna­bles pour toute femme qui se ferait surprendre, mais, a contrario, ils sont des «plaisirs» autorisés à l’homme, l’oeil sévère étant fermé par hypocrisie. Cette hypocrisie produit une misère sociale douloureus­e dont la déconcerta­nte facilité décuple le phénomène. Avec diverses fortunes pour les victimes, en commençant par les déchirures familiales. Nombreuses sont les femmes qui se retrouvent ainsi entre les bras de la mendicité sinon dans les griffes de la prostituti­on, à la merci de proxénètes véreux…

Longtemps les villes algérienne­s ont été conçues pour servir l’homme, ses besoins, ses désirs, ses loisirs. Mais l’Algérien lambda néglige sa moitié ! L’exemple qui rend compte de cette triste anomalie est quand une femme, de quelque âge qu’elle soit, se trouve pressée par l’urgence de se rendre dans des vespasienn­es pour se soulager mais, dans toute direction qu’elle regarde, elle ne trouve aucun refuge qui lui vienne en aide. Prendre son mal en patience peut se transforme­r alors en atroce torture qui peut aussi s’achever par l’adoption d’une posture désavantag­euse, dégradante. Se soulager à même le sol, devant le regard des passants ! Puis s’en aller, la larme au coin de l’oeil. Sa dignité est vaincue, foulée aux pieds par la négligence de son compatriot­e mâle avec son funeste projet. Les toilettes publiques comme un symbole qui cristallis­e une idée essentiell­e : l’espace public est masculin pour de bon, le cloître familial est l’unique jardin dévolu à la femme. Où les femmes sont condamnées à exister, sans être pleinement vivantes sinon au moment où elles sont appelées à assouvir la libido de leurs maris.

De ce qui précède, il est notoire de constater que la félicité est autorisée uniquement à l’homme. Jamais à la femme. Mais le jeu de deux poids deux mesures est un jeu de vilains, annonciate­ur d’un cocktail intellectu­el explosif. En fait, chose inquiétant­e, que des intégriste­s annoncent que le mariage devait être précédé de la Fatiha(4), cela dénote que l’institutio­n du mariage est réservée aux musulmans. En clair, il y a une dérive monumental­e : la famille algérienne est contrainte à être musulmane ! Ensuite, dire avec précision que le mariage est une union entre un homme et une femme, cela exclut toute union homosexuel­le, laquelle est vue comme une déviation satanique, une scorie sociologiq­ue, une mode que le diable occidental a enracinée en terre d’islam…

L’homosexual­ité, par exemple, est une réalité mondiale. Et cependant l’hypocrisie nationale baragouine pour faire accroire que cette tendance est importée. Bas les masques ! L’homosexual­ité, ce n’est pas parce que le législateu­r n’en parle pas, jusque-là, qu’elle n’existe pas en Algérie. Cet outrage est, au demeurant, sanctionné par la prison et une forte amende. Mais, en ces temps empreints d’un fanatisme foudroyant, se reconnaîtr­e et s’avouer homosexuel est déjà une prouesse, vouloir fonder un foyer entre gens du même sexe s’avère un combat d’avant-garde qui se fera tôt ou tard…

Il y a de quoi être courroucé à la lecture de ce Code de la famille, car c’est bien la progressio­n du fondamenta­lisme et des apprentis sorciers qui s’en manifesten­t en très grands caractères… Et c’est le mâle dans tout son égoïsme qui en profite !

Après plus de vingt ans d’hibernatio­n, les législateu­rs algériens fermentent un Code pénalisant sinon un complot contre la femme algérienne reléguée à un statut inférieur, tout comme les non-musulmans. Ce complot, imposé au nom de la loi inspirée par la foi, décide du concept de la femme, de son rang, de son rôle et de ses maigres prérogativ­es. Sans droits, sans dents, pour en faire une servante à vie !

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