Nouvelles arrestations dans les milieux prokurdes
Les autorités turques ont lancé hier un mandat d’arrêt contre 82 personnes actives dans les milieux prokurdes, dont un maire, rapportent des médias relayant l’agence étatique Anadolu. Elles sont accusées d’être impliquées dans des manifestations datant d’il y a six ans, a annoncé le bureau du procureur d’Ankara. Les mandats d’arrêt ont été émis dans le cadre d’une investigation sur les violentes manifestations qui ont éclaté en octobre 2014 pour protester contre le siège de Kobané, ville syrienne à majorité kurde, par les djihadistes du groupe Etat islamique (EI). Les arrestations visent 82 personnes dans la capitale turque et six autres villes. Dix-neuf personnes concernées par ces mandats ont d’ores et déjà été arrêtées, selon l’agence étatique Anadolu. Le maire de Kars (est), Ayhan Bilgen, qui en fait partie, a ainsi été placé en garde à vue, ainsi que plusieurs ex-députés et dirigeants du HDP (Parti démocratique des peuples, prokurde). Aylan Bilgen a été élu maire de Kars en 2019 sous l’étiquette HDP, deuxième plus grand parti d’opposition au Parlement. «Cette opération ne doit pas être considérée comme visant uniquement le
HDP, mais aussi la politique démocratique et la détermination de lutter contre le fascisme», a réagi Mithat Sancar, coprésident du parti, lors d’une conférence de presse à Ankara. Le HDP fait l’objet d’une répression implacable depuis plusieurs années. Selahattin Demirtas, sa figure de proue et un ancien rival du président turc, Recep Tayyip Erdogan, à l’élection présidentielle, est en prison depuis 2016.
RÉPRESSION
Après des élections municipales en 2019, les autorités turques ont arrêté ou remplacé plusieurs dizaines de maires élus sous les couleurs du HDP dans le sud-est de la Turquie. Selon le HDP, le gouvernement a remplacé ses maires dans 47 des 65 villes qu’il a remportées. Le gouvernement affirme que le HDP est lié au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, groupe rebelle kurde), considéré comme «terroriste» par Ankara et ses alliés occidentaux. Le HDP rejette ces accusations et se dit persécuté en raison de son opposition au président Erdogan. De violentes émeutes pour dénoncer le siège de Kobané par l’EI avaient fait plus de 30 morts en 2014 dans le sud-est de la Turquie. Les autorités turques accusent les dirigeants du HDP d’avoir organisé ces émeutes. Le HDP nie et accuse les forces de l’ordre d’avoir provoqué la violence.
«Le HDP n’a pas déclenché ces protestations», a déclaré Mithat Sancar. «Au contraire, c’est le gouvernement qui en est responsable en annonçant les attaques de l’EI contre Kobané comme une bonne nouvelle et en préparant le terrain pour la violence.» Les manifestants ont reproché à la Turquie de ne pas venir en aide militairement à Kobané pris en étau. Les forces kurdes, soutenues par les frappes de la coalition conduite par les Etats-Unis, ont chassé l’EI de Kobané en janvier 2015, après plus de quatre mois de violents combats. «Le gouvernement est déterminé à neutraliser, et si possible achever le HDP», a estimé Mithat Sancar. «Mais c’est un effort vain. Aucun pouvoir ne peut détruire le HDP tant que le peuple nous soutient.»
Par ailleurs, le ministre des Affaires étrangères turc, Mevlut Cavusoglu, a dénoncé hier «l’ignorance flagrante» de la présidente de la
Chambre des représentants aux Etats-Unis, Nancy Pelosi, qui a cité la Turquie parmi les pays non démocratiques en s’en prenant au président Donald Trump.
Ce dernier s’est attiré jeudi des réactions outrées après avoir refusé de promettre un transfert pacifique du pouvoir, si son rival Joe Biden l’emportait lors de la présidentielle américaine du 3 novembre, certains le comparant à un dictateur. Il faut «lui rappeler : vous n’êtes pas en Corée du Nord, vous n’êtes pas en Turquie, vous n’êtes pas en Russie M. le Président. Et d’ailleurs, vous n’êtes pas en Arabie Saoudite. Vous êtes aux Etats-Unis d’Amérique. Nous sommes une démocratie», a ainsi déclaré en conférence de presse la «Speaker» démocrate Nancy Pelosi.
En rangeant la Turquie parmi les pays qu’elle considère comme non démocratiques, elle a suscité l’ire d’Ankara. «Ce qui est vraiment inquiétant pour la démocratie américaine, c’est l’ascension de Nancy Pelosi pour devenir présidente de la Chambre des représentants, compte tenu de sa flagrante ignorance», a tweeté le chef de la diplomatie turque. R. I.