Les intermittents de campagne électorale
La campagne officielle «d'explication et de sensibilisation» du projet de révision constitutionnelle, lancée par les pouvoirs publics pour inciter les électeurs à se rendre massivement aux urnes et à un large plébiscite du texte, doit compter avec deux handicaps majeurs qui limiteront fatalement sa portée : la situation sanitaire peu propice aux rassemblements et meetings populaires, sans lesquels la campagne électorale perdra tout son sens, et la crise politique et institutionnelle que vit le pays et qui fait planer de lourdes incertitudes sur la participation électorale. Face à ces contraintes objectives qui plaident naturellement pour un ajournement de l'agenda électoral, le pouvoir a maintenu le cap de sa feuille de route politique tout en accélérant la cadence de sa mise oeuvre pour couper l'herbe sous le pied de ses contradicteurs. Pourtant, l'expérience des derniers scrutins a démontré, de façon implacable, que le processus électoral qui n’est pas l'émanation d'institutions démocratiques, imposé d'en haut, est générateur de désert électoral, avec en prime un déficit de légitimité qui collera à la peau des instances élues et affaiblira leur pouvoir. Pour n’avoir pas bien médité ce postulat de base d’une gouvernance démocratique, le président Tebboune s'engage sur un terrain mouvant avec un mouvement populaire mis en veilleuse en raison de la situation sanitaire, mais toujours présent et prêt à rebondir. Et une feuille de route politique linéaire, imperméable à tout compromis dont la mise en oeuvre s'opère au pas de charge, dans un climat de tension et de confrontation dont l’épicentre s'est déplacé de la rue vers d'autres espaces d'expression et de mobilisation via notamment les réseaux sociaux. Il serait faux de croire que la non-reprise des marches populaires du hirak, avec la force et l'amplitude du raz-de-marée d’avant la pandémie, est un signe de pacification accomplie de la rue. Le nouveau discours du pouvoir considérant que la décantation s’est désormais opérée entre le «hirak assil» (originel), «béni» dont la mission se serait terminée avec l’élection présidentielle et le hirak «dévoyé», réduit à l'état résiduel par le discours officiel, ne reflète pas la réalité du terrain. Le démarrage poussif de la campagne électorale est la preuve manifeste que la feuille de route politique du pouvoir pour sortir de la crise ne fait pas le consensus, ni dans la classe politique ni dans l'opinion. La mobilisation des moyens de l'Etat, de la classe politique soutenant la feuille de route du pouvoir, du mouvement associatif, levier capital dans la stratégie électorale du pouvoir, des médias publics, voire aussi de certains organes de la presse privée, écrite, et audiovisuelle, appelés en renfort pour mobiliser l’électorat et faire campagne pour le «oui massif» ne suffit pas. L’ ancrage populaire, la crédibilité et la probité des animateurs de la campagne électorale seront déterminants dans la réussite ou l’échec de l’opération tout autant que l’adhésion populaire au processus politique engagé. Le pouvoir aurait voulu délibérément saborder son projet de référendum qu'il ne se serait pas pris autrement ! On ne va pas au front avec une armée de soutiens : politiques, de relais médiatiques, d'associations clientélistes, discrédités pour avoir servi le régime chaotique de Bouteflika, y compris la forfaiture du 5e mandat avorté. Après avoir rasé les murs au lendemain de la chute de Bouteflika, cette clientèle sort du bois pour offrir ses services dans la campagne électorale sur le projet de révision constitutionnelle et réaffirmer son soutien et son allégeance au nouveau pouvoir. Cette forme de gouvernance à l'algérienne de «changement dans la continuité» qui fait partie de l'ADN du système a encore de beaux jours devant elle. La rupture avec les hommes et les pratiques de l’ancien système implique des choix programmatiques et systémiques clairs, audacieux, un nouveau cap pour ne pas reproduire les mêmes échecs et les mêmes désordres dans le pays.