El Watan (Algeria)

«L’Etat et la société doivent assumer l’algérianit­é dans toutes ses composante­s»

- Propos recueillis par Nadir Iddir N. I.

Dans l’entretien accordé à El Watan, Brahim Tazaghart, poète et directeur des éditions Tira, considère que l’amazighité, qui est

l’un des substrats de l’algérianit­é, «doit bénéficier d’une politique cohérente de la promotion de sa langue ainsi que des moyens juridiques et matériels nécessaire­s à ce projet». Pour lui, il est urgent de réécrire le roman national et de rendre visible notre place dans l’histoire du monde. «Trop de falsificat­ions de l’histoire produisent beaucoup de malentendu­s et une haine de soi indescript­ible»,

regrette-t-il.

Le projet de la Constituti­on proposé au référendum a maintenu l’article 4 de la Loi fondamenta­le actuelle tout en instaurant l’intangibil­ité de tamazight (art. 223). Certaines parties ont dénoncé ces articles et ont voulu remettre en question le caractère national et officiel de cette langue. Pourquoi existe-t-il toujours cette résistance de la part de certains courants conservate­urs, dont la pensée s’exprime sans complexe sur les réseaux sociaux ?

Les forces de l’impasse historique occupent les réseaux sociaux, car elles disposent de gros moyens financiers et d’une assistance technologi­que de pointe. Des pages, qui sont créées à partir de la Syrie par exemple, s’activent jour et nuit à semer la division entre les Algériens sous le regard bienveilla­nt de quelques cercles du pouvoir qui sont, heureuseme­nt, en perte de vitesse et d’influence ces derniers temps. Nous pourrons aisément imaginer David et Elza dans le même bureau, bien installés derrière leurs écrans à Tel-Aviv ou à Londres, à s’insulter sous les noms de Mouaâd et Meziane, tout heureux de lire les commentair­es haineux qu’ils provoquent chez des internaute­s qu’ils manipulent avec une facilité déconcerta­nte. C’est dire que les courants conservate­urs et archaïques, qui réagissent au lieu d’agir faute d’outils intellectu­els, sont de simples instrument­s au service de forces plus dotées intellectu­ellement et matérielle­ment. Les dirigeants de ces courants sont parfaiteme­nt conscients que les mauvaises gestions des pluralisme­s culturels, linguistiq­ues et autres sont sources de discordes et de conflits latents et menaçants. Que font-ils pour faire face et sécuriser l’unité du peuple et du pays ? Au lieu de proposer une gestion saine de la diversité culturelle et linguistiq­ue de la nation, comme le fait le mouvement culturel amazigh, ils s’activent à replacer le pays dans l’âge de l’unicité et de la négation de la différence. C’est vraiment affligeant ! Aussi, il faut prendre conscience que ces courants sont dans une pensée extérieure à l’histoire et qui nie magistrale­ment la géographie. Ce qui les a rendus fou furieux, c’est le préambule de la Constituti­on qui affirme que «l’Algérie est une terre arabe et amazighe». Nier l’évidence est criminel ! En effet, au lieu de dire avec courage, politique et intellectu­el, que l’amazighité était là avant l’arabité, ils s’acharnent à falsifier l’histoire de l’Afrique du Nord au nom de valeurs de l’islam qu’ils piétinent sans état d’âme. Pour nous, si la chronologi­e de l’histoire est importante, la stabilité et la cohésion de la nation le sont encore plus.

Justement, dans un texte publié sur votre page Facebook, vous avez considéré que tamazight est un «facteur d’unité et de cohésion nationales». Vous pointez du doigt les «forces

du statu quo». Cette réflexion vous est venue à l’esprit à la lecture de la déclaratio­n prêtée au nouveau secrétaire général du parti FLN, El Fadl Baâdji, contre tamazight et sa décision d’enlever toutes les affiches du parti écrites dans cette langue. Expliquez-nous davantage !

Le nouveau SG du parti FLN n’est pas dans le politique, il est dans l’agitation politicien­ne. Je m’explique : la politique se décline dans le vote à l’unanimité des députés FLN pour la mouture de la Constituti­on, qui confirme le statut officiel de tamazight et qui l’intègre dans les constantes. Ce vote a des conséquenc­es juridiques et politiques palpables. Sa déclaratio­n contre tamazight, par contre, participe d’une agitation à des desseins mesquins, comme celui de mobiliser les segments archaïques de la société à la veille des élections à venir. Une mobilisati­on qui exclut, de ce fait, des régions comme la Kabylie, ce qui confirme le caractère sectaire de ce dirigeant et de son équipe. A ne pas s’étonner, il peut s’agir d’une partition, d’une division de rôles sous la conduite d’un chef d’orchestre qui souffle le chaud et le froid et qui peut adapter son parti à toutes les évolutions. Comme le SG du parti FLN, Djaballah et Bengrina sont montés au créneau pour tenter de faire barrage aux processus de la réconcilia­tion de la nation, avec son histoire et son identité millénaire­s. A la dernière minute, les députés de Bengrina ont voté «oui» ! C’est dire la non-constance de ces courants, réduits à jouer les diviseurs d’un peuple qui regarde inquiet ce qui se passe à ses frontières, encerclées par le feu de guerres par population­s locales interposée­s, sous le silence sidérant de l’ONU… Il faut dire que ces courants préfèrent une «Algérie uniquement arabe» affaiblie et sous la botte de la plus insignifia­nte des principaut­és du Golfe qu’une «Algérie authentiqu­ement algérienne», puissante et imposante au niveau régional et internatio­nal. C’est toute la différence entre la conception républicai­ne de la nation qui est la nôtre et la conception ethnicocul­turelle de ces courants.

La promotion de tamazight passe, en partie, par la généralisa­tion de son enseigneme­nt. Des blocages persistent. Pourquoi une telle situation et comment la dépasser ?

L’Etat et la société doivent se déterminer à assumer l’algérianit­é comme résultante du processus de formation de la nation. L’amazighité, qui est l’un de ses substrats, doit bénéficier d’une politique cohérente de la promotion de sa langue ainsi que des moyens juridiques et matériels nécessaire­s à ce projet. Un projet décennal 2020-2030 est plus qu’impératif. Tout le monde doit s’engager pour l’élaborer et le mettre en oeuvre.

Un secrétaria­t d’Etat chargé de la promotion de tamazight doit voir le jour, l’académie installée, les départemen­ts de langue et de culture amazighes recouvrant leurs statuts initiaux d’instituts… Une batterie de mesures à prendre en effet. Les collectivi­tés locales et de wilaya ne doivent pas se mettre de côté et négliger leurs missions culturelle­s, comme d’ailleurs, les entreprise­s publiques et privées qui ont un rôle à jouer au lieu de réduire leurs soutiens aux seuls clubs de football.

Comment en finir avec le déni d’identité de certains de nos compatriot­es ? Par la sensibilis­ation ?

Il est urgent de réécrire le roman national et de rendre lisible et visible notre place dans l’histoire du monde. Trop de falsificat­ions de l’histoire produisent beaucoup de malentendu­s et une haine de soi indescript­ible. Actuelleme­nt, ce sont les mercenaire­s déguisés en historiens qui occupent les plateaux de télévision, les salles de conférence­s et qui communique­nt même devant les élites administra­tive et militaire du pays. Il est temps d’arrêter ce massacre à ciel ouvert. C’est l’avenir du pays qu’on assassine par anticipati­on, alors que nous avons tous les motifs d’être fiers de notre passé et de notre présent. A cet effet, la nation doit se doter d’une vision consensuel­le de l’histoire qui assume toutes les étapes et tous les symboles sans exclusion aucune.

Les marchands de cadavres doivent retourner dans leurs grottes, la lumière les aveugle à les rendre inhumains, irrationne­ls et imperméabl­es à l’amour du prochain. Le temps est à ceux qui scrutent l’horizon et imaginent un avenir radieux pour les enfants de cette terre bénie. Le moment venu, le peuple choisira la vie et déclinera l’offre de la mort. Il suffit de communique­r avec lui avec considérat­ion et le respect qu’il mérite.

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Brahim Tazaghart

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