Le pays du Cèdre replonge dans la crise politique
● Les efforts du Premier ministre pour la constitution du gouvernement ont buté sur un système de partage communautaire du pouvoir et plus spécifiquement les revendications de deux formations chiites, le Hezbollah et son allié Amal, qui réclament le portefeuille des Finances.
Le Premier ministre libanais désigné, Moustapha Adib, a annoncé hier renoncer à former un nouveau gouvernement, rapportent des médias. Cette décision intervient suite à la pression internationale qui augmente pour remplacer celui qui a démissionné après l’explosion meurtrière au port de Beyrouth, il y a bientôt deux mois. «Je m’excuse de ne pas pouvoir poursuivre la tâche de former le gouvernement», a-t-il déclaré lors d’un point de presse au palais présidentiel, présentant ses excuses aux Libanais pour son «incapacité» à réaliser leurs «aspirations pour un gouvernement réformiste».
Les partis politiques libanais se sont engagés début septembre à former un cabinet de «mission», composé de ministres «compétents» et «indépendants» dans un délai de deux semaines pour sortir le pays du marasme économique. Mais «alors que les efforts pour former le gouvernement touchaient à leurs fins, il m’est apparu clairement que ce consensus n’existait plus, et qu’une équipe (ministérielle) selon les critères que j’ai fixés était déjà vouée à l’échec», a indiqué Moustapha Adib lors de son allocution. Sachant que la première tâche du gouvernement aurait été de relancer les négociations avec le Fonds monétaire international (FMI) sur un plan de sauvetage vital, bloquées cette année. Le gouvernement libanais a démissionné à la suite de l’explosion dévastatrice au port de Beyrouth le 4 août, qui a fait plus de 190 morts et plus de 6500 blessés et a ravagé des quartiers entiers de la capitale. Nommé le 31 août, Moustapha Adib est sous pression pour former un gouvernement au plus vite, de façon à lancer les réformes réclamées par la communauté internationale pour débloquer des milliards de dollars d’aide. Ses efforts ont, toutefois, buté sur un système de partage communautaire du pouvoir, en vigueur depuis l’indépendance, et plus spécifiquement les revendications de deux formations chiites, le Hezbollah et son allié Amal, dirigé par le chef du Parlement, Nabih Berri, qui réclament le portefeuille des Finances.
«Nous refusons que l’on nomme nos ministres à notre place. Et nous refusons que l’on s’oppose à ce que la composante que nous représentons ne dispose pas du ministère des Finances», avait déjà indiqué le Hezbollah dans un communiqué le 17 septembre.
RETOUR AU POINT DE DÉPART
De son côté, le président Michel Aoun a «accepté» hier le renoncement de Moustapha Adib, affirmant qu’il prendra «les mesures appropriées conformément aux exigences de la Constitution» pour désigner un nouveau Premier ministre. «L’initiative lancée par le président français, Emmanuel Macron, est toujours en cours et bénéficie de tout mon soutien», a-t-il observé en référence à la feuille de route mise en place par Paris pour aider le pays à sortir de sa crise. L’initiative française «doit se poursuivre car elle exprime l’intention sincère de l’Etat français ami et du président Macron personnellement de soutenir le Liban», a affirmé de son côté Moustapha Adib lors de son discours de renoncement.
Le 31 août, le président français, en visite à Beyrouth, a appelé à la mise en place d’un «gouvernement de mission» au «plus vite». Mercredi, Paris a exhorté les partenaires du Liban à exercer des «pressions fortes et convergentes», aux côtés du président Macron, pour pousser à la formation d’un nouveau gouvernement.
Avec le départ du Premier ministre, la crise politique resurgit au pays du Cèdre. Elle s’ajoute aux difficultés socio-économiques qui continuent à sévir dans le pays : une dépréciation inédite de sa monnaie, l’hyperinflation et des licenciements massifs. Et pour la première fois de son histoire, le Liban a annoncé en mars être en défaut de paiement. Selon l’agence internationale Standard and Poor’s (S&P), le pays du Cèdre croule sous une dette de 92 milliards de dollars, soit près de 170% de son produit intérieur brut (PIB). Beyrouth s’est engagé en 2018 à effectuer des réformes en contrepartie de promesses de prêts et de dons d’un montant total de 11,6 milliards de dollars. En mai dernier, il a entamé des négociations avec le FMI pour obtenir une aide cruciale dans le cadre d’un plan de sauvetage élaboré par le gouvernement. Mais le processus est toujours au point mort.
En octobre 2019 s’est déclenché un mouvement de contestation populaire contre la classe dirigeante, quasi inchangée depuis des décennies et accusée de corruption. Le pays est classé 138e sur 180 dans l’indice de perception de la corruption de l’organisation non gouvernementale Transparency International. Près de la moitié des Libanais vivent dans la pauvreté et 35% de la population active est au chômage, selon des statistiques officielles.