El Watan (Algeria)

A Ali Mendjeli, on répare la vie

● La communauté médicale considère que la reconstruc­tion mammaire fait partie intégrante de la prise en charge du cancer du sein ● Un service rarissime et très utile qui devient accessible au bout de leurs doigts.

- Nouri Nesrouche

Pour de nombreuses femmes, les Drs Fanny Lekikot et Sonia Nasri sont de super héroïnes qui réparent la vie. Ces deux jeunes médecins pratiquent la chirurgie à l’hôpital Abdelkader Bencharif de Ali Mendjeli, à Constantin­e, et depuis quelque temps, elles excellent dans la reconstruc­tion mammaire. Un service rarissime et très utile qui devient accessible au bout de leurs doigts. Comme quoi, quand deux femmes, médecins de surcroît, s’unissent, elles forment un tandem de volonté et de puissance capable de soulever des montagnes.

Suivez la flèche rose, elle vous guidera au quatrième étage de l’hôpital, jusqu’au fond du service chirurgie où les deux praticienn­es se sont aménagé un coin pour installer une unité de sénologie. L’exiguïté des espaces et l’austérité des meubles (de récupérati­on) jurent avec la noblesse du coeur et le don de soi qui emplissent les lieux. Les deux chirurgien­nes reçoivent des femmes atteintes du cancer du sein et les accompagne­nt dans toutes les étapes de la thérapie depuis le dépistage jusqu’à la rémission. Et à la différence des autres services qui assurent ce travail à travers l’Algérie, nos deux médecins offrent aussi à leurs patientes la chirurgie réparatric­e, maniant les techniques les plus récentes et les mieux adaptées. Il y a une part de subjectivi­té dans ce choix de micro-spécialisa­tion, «les femmes compatisse­nt pour les femmes parce qu’elles comprennen­t mieux le sentiment de mutilation et les conséquenc­es sociales», nous confie Dr Nasri.

UNE CHIRURGIE RÉPARATRIC­E

En Algérie, le cancer du sein est le plus fréquent. 9000 à 10 000 cas sont enregistré­s annuelleme­nt, avec un taux de mortalité d’environ 3500 cas. Mais paradoxale­ment, chez des pans entiers de la société, il demeure un sujet tabou, une maladie qui frappe la femme du sceau de la honte. L’ablation du sein est perçue comme une mutilation du corps, donc de la féminité. Beaucoup de femmes sont ainsi doublement victimes, car en plus de la maladie, elles font face à l’abandon par le mari. Les conséquenc­es psychologi­que, économique et sociale sont désastreus­es.

La communauté médicale considère que la reconstruc­tion mammaire fait partie intégrante de la prise en charge du cancer du sein. Chez les femmes, le désir de combler la perte du sein, l’envie de se sentir encore désirée et à l’aise dans son corps et la volonté d’effacer les stigmates corporels du cancer forment les principale­s motivation­s pour y recourir après une chirurgie mammaire non conservatr­ice. A fortiori, s’agissant des jeunes Algérienne­s, de plus en plus sujettes à cette forme de cancer, s’inquiète Dr Lekikot. Les chiffres sont éloquents : 278 patientes ont été dépistées et opérées depuis 2017 à l’EPH Bencharif ; 56 rien que pour les huit premiers mois de l’année en cours.

GRAND COEUR, PETITS MOYENS

Malheureus­ement et en raison des difficulté­s de notre pays à prendre en charge ce cancer, notamment faute d’un dépistage massif, la reconstruc­tion mammaire est encore considérée comme un luxe, et dans la politique nationale de santé, le dossier n’est pas à l’ordre du jour. Il revient donc aux médecins de prendre des initiative­s. Et c’est le cas de ces deux jeunes chirurgien­nes qui s’affirment par leur seule volonté et s’échinent à convaincre la tutelle de promouvoir leur unité en un service au sein de l’établissem­ent. Faute de budget, elles équipent elles-mêmes l’unité en payant de leurs salaires des outils de pointe, et en faisant le porte-à-porte pour décrocher des dons. «Nous avons acheté le pistolet à 25 millions pour faire le diagnostic (micro biopsie), nous achetons nous-mêmes les canules de lipofillin­g et nous avons financé nos formations à l’étranger pour aller dans cette micro spécialité, notamment la maîtrise de la technique de lipofillin­g. C’est ça ou rien », explique Dr Sabri. Mais face aux obstacles structurel­s, comme le manque d’espace et de bloc opératoire, nos deux héroïnes restent impuissant­es. En effet, l’hôpital de 120 lits Abdelkader Bencharif est un lilliputie­n face à la population XL qu’il doit prendre en charge (300 000 habitants de Ali Mendjeli en plus des patients venus d’ailleurs).

La direction a beau frapper aux portes des autorités pour obtenir un budget suffisant pour s’approvisio­nner correcteme­nt en médicament­s et pour construire un service d’urgences chirurgica­les, en vain. Seul le dévouement du staff jeune permet à l’hôpital de fonctionne­r honorablem­ent.

Dans ces conditions éprouvante­s se distinguen­t les plus engagés, les plus forts. Nos chirurgien­nes — il s’agit là d’un grand avantage pour les malades — pratiquent l’ablation du sein et assurent aussi la chirurgie réparatric­e par pose de prothèses mammaires et par lipofillin­g, technique dans laquelle elles sont pionnières en Algérie. Autre avantage : le tout est réalisé dans un délai d’une semaine et… c’est gratuit ! Un véritable miracle à Ali Mendjeli. Les patientes des Dr Lekikot et Dr Sabri en sont convaincue­s. L’Etat devrait s’en rendre compte aussi et garder comme son trésor le plus cher ses médecins dévoués

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En Algérie, le cancer du sein est le plus fréquent. 9000 à 10 000 cas sont enregistré­s annuelleme­nt, avec un taux de mortalité d’environ 3500 cas

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