El Watan (Algeria)

«La chirurgie mammaire nous rapproche plus de ces femmes fragilisée­s»

- Propos recueillis par Nouri Nesrouche N. N.

Vous exercez malgré de nombreux obstacles ; qu’est-ce qui vous motive à ce point ?

Dr Sonia Nasri. La première des choses c’est l’amour de ce métier que nous avons choisi par conviction. Pour nous, la chirurgie (toutes les interventi­ons de chirurgie générale confondues) est un art avant d’être une science. La chirurgie carcinolog­ique mammaire et oncoplasti­que nous rapproche plus de ces femmes fragilisée­s par la maladie qui a rongé leur âme et leur corps, et elles trouvent plus de facilités à se confier à des femmes chirurgien­nes qui sentent leur mal. Nous aussi, nous nous sentons très proches de nos patientes et cela nous procure une réelle satisfacti­on de réussite malgré les contrainte­s journalièr­es.

Justement, dans quelles conditions pratiquez-vous la reconstruc­tion mammaire ? Est-ce facile ?

Dr Sonia Nasri. Non, ce n’est pas facile pour nous de faire ce travail dans un hôpital de périphérie (EPH Bencharif Abdelkader, ndlr). Mais comme on dit, aux grands maux les grands moyens. On s’occupe de tout, nous-mêmes : on joue aux psychologu­es dès la première consultati­on, car il faut dès le début exposer à la patiente les options qui s’offrent à elle pour conserver ou reconstrui­re son sein et cela lui donne beaucoup d’espoir. La méthode de reconstruc­tion n’est pas la même pour toutes les femmes chacune est un cas à part. Par ailleurs, nous n’avons pas de choix pour nous former si ce n’est nous prendre en charge par nos propres moyens. Pour ce faire, nous avons suivi des formations continues au service de sénologie de défunt Pr Bendib à Alger et avec les professeur­s Krishna et Safrati à l’Institut du sein à Paris, en plus des participat­ions aux congrès internatio­naux où on communique notre travail. Cela a un prix coûteux que l’hôpital ne peut pas prendre en charge. Pour opérer, enfin, nous avons besoin de quantités de canules et d’aiguilles qui coûtent assez cher et qu’on achète par nos propres moyens ainsi que le matériel pour tatouage, des expandeurs et des prothèses. Heureuseme­nt qu’il existe aussi des bienfaiteu­rs qui n’hésitent pas à nous apporter de l’aide.

Comment se comportent les femmes que vous traitez ? Acceptent-elles facilement l’ablation du sein ou encore la chirurgie réparatric­e ?

Dr Lekikot. La mastectomi­e est une forme de mutilation qui entraîne des douleurs physiques, psychologi­ques et sociales. Reconstrui­re, c’est redonner de l’espoir aux patientes. La première consultati­on est très importante pour la prise en charge ultérieure de ces douleurs multiples. On explique à la patiente qu’après cet acte elle n’aura plus de cancer et que cette maladie ne tue plus, que la reconstruc­tion est possible, que pour accepter le sein reconstrui­t, il faut faire le deuil du sein perdu. La perte sera moins douloureus­e lorsque ce dernier aura été pansé. Avant d’être chirurgien­ne nous avons besoin de préparer psychologi­quement la patiente, et nous avons notre méthode qui fonctionne à tous les coups. Avant de passer à l’ablation de son sein, on partage tout avec elle, les pleurs et les fous rires. Bien entendu, le tempéramen­t psychologi­que de nos malades joue un grand rôle, comme le soutien familial, celui du mari en premier.

Pensez-vous que l’Etat devrait consacrer plus d’attention et de moyens à la reconstruc­tion mammaire ? Pourquoi ?

Dr Lekikot. Je pense que la politique de l’Etat concernant le cancer du sein doit complèteme­nt changer, sachant que c’est le premier cancer de la femme en Algérie qui, plus est, touche la femme jeune. Nous avons besoin d’un programme complet au niveau national comprenant la prévention, le dépistage, le diagnostic, le traitement et la reconstruc­tion. Hélas, dans la doctrine actuelle de santé publique, la reconstruc­tion mammaire est considérée comme chirurgie esthétique, ce qui est faux, car il s’agit d’une chirurgie réparatric­e dans tous les sens du terme, qui fait suite au traitement oncologiqu­e (oncoplasti­e). Je suis convaincue que l’Etat gagnerait à soutenir cette branche pour le bien des Algériens. Par cette occasion, nous lançons un appel aux hauts responsabl­es de la santé pour aider les médecins à se former et progresser et cela pour la bonne prise en charge de nos patientes.

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Dr Lekikot (à droite) et Dr Nasri (à gauche)

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