Atavismes
Les symboles du système, dont la rue réclamait le départ au début du mouvement de contestation de février 2019, n’étaient finalement pas des personnages. Ce sont des pratiques. La thèse des «3 B» qui devaient incarner l’impasse nationale était un immense leurre, comme il en existe des dizaines aujourd’hui, à l’image de ces improbables chefs de zaouïa parachutés défenseurs de la démocratie, ou des meneurs de la «révolution» recrutés dans la délinquance ordinaire, prioritairement positionnés à l’étranger. Entre infantilisation et conditionnement, la société n’en sortira pas grandie, et le pays ne sera pas remis sur les rails du développement. De nombreuses anciennes figures du régime ont été mises hors du circuit officiel, jetées en prison et tourmentées dans les tribunaux. Mais le système est resté dans toute sa splendeur, avec moins de moyens mais plus de motivation à reproduire les réflexes du passé. Ses nouveaux représentants mettent plus d’entrain à cultiver des pratiques qui devaient être révolues pour des raisons historiques. Créé par le Président déchu, le prix du «journaliste professionnel» est relancé solennellement sans s’embarrasser de scrupules sur le sort d’une profession très mal en point, qui a plus besoin de liberté que de récompense. Ces derniers jours, les radios locales, brutalement exfiltrées du terrain de la pratique journalistique, annonçaient les termes du prix du président de la République pour la littérature et la langue amazighes, avec, naturellement, les dotations financières. Ceux qui ont conseillé la mise en place de ce prix mettent l’autorité politique dans la même posture et le même niveau de détermination et d’efficacité que le chef religieux qui veut mettre de l’ordre dans la vie politique. A un moment où les exigences de l’histoire et des populations vont dans le sens de la décentralisation et plus de pouvoirs de décision et de gestion dans les régions, les décideurs optent plutôt pour une hypercentralisation qui, si elle est paralysante en politique, est mortelle pour la culture.
Comme prélude à l’instrumentalisation de l’administration, de triste mémoire, l’engagement des membres de l’Exécutif lors des rendez-vous électoraux diligentés par les tenants du pouvoir, un phénomène qui a laissé de vraies séquelles dans l’esprit des citoyens, risque d’être réédité. Quand un représentant du gouvernement est attendu sur des chantiers abandonnés et se retrouve à une tribune pour présider une rencontre avec la «société civile», on passe du statut de ministre à celui de VRP d’un agenda électoral. Si Ouyahia et Sellal ont mérité leur infortune judiciaire aux yeux des Algériens, ce n’est pas en raison de l’enrichissement personnel ou celui de leur progéniture, qui est la préoccupation la mieux partagée dans le pays, mais parce qu’ils ont menti pendant les campagnes électorales dans le seul but de prolonger un règne présidentiel absolu. Pour se stabiliser et mettre en oeuvre une réelle action gouvernementale, et plutôt que de chercher à réduire la protestation citoyenne et l’opposition politique, le pouvoir doit en priorité vaincre ses propres atavismes.