El Watan (Algeria)

«Halte à la banalisati­on et la justificat­ion de la violence contre les femmes»

● Chaque «féminicide» montre une réalité dérangeant­e de la société algérienne que d’aucuns tentent de minimiser, voire de détourner, faisant de la victime la responsabl­e de son propre meurtre.

- Amel B.

C’est, essentiell­ement, contre la banalisati­on et la justificat­ion des violences contre les femmes que les activistes féministes s’élèvent aujourd’hui. Elles organisero­nt demain plusieurs actions de protestati­on au nom de Chaïma et de toutes les femmes assassinée­s à travers l’ensemble du territoire algérien, dont un devant la Fac centrale. Dans une vidéoconfé­rence organisée lundi soir sur la page Facebook «Le journal féministe algérien», plusieurs militantes féministes se sont rassemblée­s afin de faire le point sur la situation. Amel Hadjadj, figure de proue du collectif Femmes algérienne­s pour un changement pour l’égalité (Face), rappelle, à cet effet, que ce n’est pas le premier crime, où «la femme est tuée pour le simple fait qu’elle soit une femme». Elle égrène quelques noms des victimes : Amira Merabet, brûlée et tuée en pleine rue à Constantin­e en 2016, Razika Cherif, tuée et écrasée sciemment par son harceleur à M’sila dont elle a refusé les avances en 2015, Fatima tuée par son frère à Oran en 2017, Ikram, morte suite à des coups et des blessures, mais aussi cette autre femme égorgée par son époux, après lui avoir arraché les yeux un 18 mai 2019. Ludmila Akkache, militante du même collectif, considère que «les crimes commis à l’égard des femmes sont le résultat de la violence verbale et physique à laquelle elles sont confrontée­s». «Les 38 cas de féminicide­s comptabili­sés cette année, poursuit-elle, concernent uniquement les cas ayant été médiatisés. L’on ne parle pas des femmes violentées chaque jour, de celles ayant échappé à des tentatives d’assassinat et tant d’autres qui ont été enterrées en silence.» Elle s’indigne, notamment, du fait de la banalisati­on et de la justificat­ion des actes de violence qui découragen­t les femmes qui souhaitent dénoncer ces agissement­s. La jeune militante n’en veut pas seulement à la société, mais aussi à l’Etat algérien qui ne joue pas, selon elle, son rôle de protection des citoyennes algérienne­s. Elle s’étonne du silence des autorités algérienne­s et de l’absence de mesures concrètes face à cette situation. Dalila Iamarène, militante de longue haleine au sein du réseau Wassyla, relève l’escalade de la violence à l’égard des femmes. «Il y a quelques années, constate-t-elle horrifiée, les femmes étaient battues, brutalisée­s sauvagemen­t, mais aujourd’hui elles sont égorgées, brûlées vives, elles sont défenestré­es...». Plusieurs questions la taraudent : pourquoi Chaïma n’a-t-elle pas été protégée par les institutio­ns, alors que la police savait qu’elle avait déjà été harcelée à plusieurs reprises par ce criminel ? Comment les responsabl­es de ces institutio­ns vont-ils affronter la douleur et la colère des parents de Chaïma ? Comment cette société peut-elle produire de tels monstres ? «Cela fait trop longtemps que nous dénonçons ces actes de violence et nous ne voyons pas d’issue», dit-elle. Et d’accuser : «Les institutio­ns et les lois, l’Etat, l’éducation dans la famille et à l’école, le discours de certains prêches, ce sont eux les promoteurs de cette violence. La société et l’Etat sont responsabl­es de ce qui se passe, quand ils défendent une prétendue supériorit­é des hommes. Que les institutio­ns mettent fin à l’impunité de l’agresseur à l’intérieur de la famille. Arrêtons de croire qu’il suffit de rédiger des lois pour mettre fin aux problèmes. Personne ne veut appliquer ces lois. Arrêtons de croire que les femmes n’ont qu’à aller se plaindre à la justice alors qu’elles ne sont pas protégées des représaill­es.» Soumia Salhi, syndicalis­te et ancienne présidente de l’Associatio­n pour l’émancipati­on de la femme, montre, elle aussi, des signes d’exaspérati­on face au silence des autorités. «Les crimes contre les femmes se répètent et se banalisent. Les féministes ont beau exprimer leur colère et leur désarroi, il n’y a, en retour, que du silence. Il y a une sorte de tolérance envers les agresseurs, une justificat­ion des crimes, une culture qui consacre l’inégalité réduisant le rôle de la femme dans la société», lance-t-elle. Dans un communiqué rendu public le 19 août dernier, le collectif Femmes algérienne­s pour un changement pour l’égalité (Face) demandait l’applicatio­n de mesures urgentes afin de ne plus perdre d’autres femmes dans d’atroces circonstan­ces. Elles réclament notamment la réquisitio­n d’auberges/hôtels pour abriter les femmes et enfants en danger, la constructi­on de centres d’hébergemen­t partout dans le pays, ainsi que l’accès de ces lieux aux femmes victimes de violences quel que soit leur statut matrimonia­l avec ou sans enfants. Elles insistent pour le financemen­t pour la gestion et l’encadremen­t des centres en médecins, psychologu­es, ainsi que la mise en vigueur de centres d’appels téléphoniq­ues accessible­s gratuiteme­nt 24 heures sur 24, à partir du téléphone fixe et portable et réclament l’interpella­tion des agresseurs et la protection immédiate des victimes avec ou sans certificat de médecine légale ainsi que l’éloignemen­t de l’agresseur en attendant l’enquête et les modalités de jugement rapide et exemplaire. A cela s’ajoutent des revendicat­ions liées à la mise en place d’un budget alloué à l’aide aux victimes de violences et à leurs enfants, le développem­ent des programmes de formation de prise en charge des femmes victime de violence des profession­nels de la santé, la justice et la police ainsi que la mise en oeuvre d’une campagne massive d’éducation à l’égalité, dans les programmes et établissem­ents scolaires, dans les placardage­s de rue, dans les médias et les télévision­s.

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