«Il ne s’agit pas d’un cas isolé, le problème est sociétal» Militante féministe
Que vous inspire le drame vécu par Chaïma, 19 ans, violée
et tuée ?
L’avantage, si j’ose dire, consiste dans le fait que ces drames sont aujourd’hui médiatisés via les réseaux sociaux. L’opinion publique est maintenant informée des cas de violences contre les femmes. Auparavant, des cas comme celui de Chaïma et de tant d’autres sombraient dans le silence. Aujourd’hui encore, beaucoup de femmes meurent sous les coups sans que personne ne le sache. Ce sont des crimes qui tombent sous le coup de l’omerta familiale ou sociale. Ne sont comptabilisés dans les statistiques des violences contre les femmes que ceux qui sont arrivés aux commissariats et aux postes de gendarmerie. Un travail «collégial», avec les services de sécurité et les associations, avait été entamé dans ce sens qui n’a malheureusement pas abouti. Le fait est, par ailleurs, que cette jeune fille a déjà déposé plainte et que la justice a été mise en branle. L’auteur du crime a, semble-t-il, été gracié. C’est là quelque chose qui doit nous interpeller.
Les citoyens, choqués par la mort atroce de la jeune fille, en appellent à l’application de la peine de mort. Qu’en pensez-vous ?
La peine de mort n’a jamais résolu le problème depuis le début de l’humanité. Les violences ont existé et elles existeront encore. Cela pourra, tout au plus, étancher la soif de violence et la colère que peuvent ressentir les familles en pareil cas. Car, il y a sans doute un historique pour que ce jeune homme en vienne à devenir un prédateur sexuel. Il n’est pas né pervers sexuel. Le fait est qu’aucun travail n’est fait sur ce plan dans aucune institution. A l’école, par exemple, les filles subissent des harcèlements et des attouchements sexuels sans que cela ne soit jamais pris en considération. Il ne s’agit pas d’un cas isolé, le problème est sociétal. Ce qui a le plus choqué, c’est peut-être que l’auteur du crime soit allé dans l’extrême violence, en brûlant sa victime. Il est à signaler, par ailleurs, que la peine de mort n’a jamais été annulée en Algérie, c’est juste qu’il n’y a plus d’exécution. Il y a aussi d’autres personnes qui tiennent un discours moralisateur selon lequel la victime «l’aurait un peu cherché», car «elle ne porte pas le hidjab et qu’elle s’expose sur les réseaux sociaux». Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Je dénonce, à ce sujet, la manière dont certains médias ont traité l’affaire. Ennahar TV, par exemple, qui filme la maman, dans un moment de détresse et de colère, qui raconte la petite vie d’une jeune fille ordinaire, sans savoir que cela suscitera des commentaires hargneux. L’on dépasse le seuil du discours moralisateur. Mais ce qu’il faut savoir, c’est que nul n’est à l’abri et qu’un crime pareil peut arriver à n’importe qui.
38 «féminicides» ont été enregistrés cette année ; est-ce qu’il y a aujourd’hui une prise de conscience par rapport à ce phénomène ?
Le féminicide a toujours existé. Les femmes étaient enterrées dans le silence. Le seul changement perceptible, c’est que lorsqu’il est possible de recueillir l’information, les cas de violences à l’égard des femmes sont aujourd’hui médiatisés. Mais dans les faits, il y a bien plus que 38 cas de féminicide.
C’est juste que le crime a été passé sous silence. Bien évidemment, il y a une prise de conscience, mais il reste à la faire surgir. Le patriarcat règne encore, l’archaïsme demeure et l’islamisme a rajouté sa couche. Dans la société algérienne, le fait de dénoncer un père, un frère ou un mari violent est considéré comme une honte. La procédure de déposition d’une plainte est longue et décourageante. Pourtant, les lois protégeant les femmes dans ces cas de figure existent bel et bien. Le code pénal est ferme à ce sujet. Mais elles ne sont pas appliquées. Le fait est aujourd’hui que l’on se retrouve dans des tribunaux où la victime devient coupable. Les juges ne se montrent pas partiaux, notamment dans les cas de viols ou de harcèlement sexuel, où l’on demande à la victime ce qu’elle portait et où elle allait. Faut-il souligner, à ce propos, que nous avons reçu dans des associations féminines des femmes violées bien qu’elles portaient le «djilbab» et que la tenue vestimentaire n’a rien à voir….