El Watan (Algeria)

Il est temps de redéfinir l’engagement dans la région du Sahel

- PAR S. E. AMB. SMAÏL CHERGUI

● Le Sahel requiert aujourd’hui une attention toute particuliè­re, afin de conjurer la spirale de la violence et une accumulati­on des défis socio-économique­s et leurs graves répercussi­ons sur toute l’Afrique de l’Ouest et menacer davantage la paix et la sécurité internatio­nales ● Il est temps de redéfinir notre engagement collectif au Sahel.

Alors que le monde est aux prises avec la pandémie de Covid-19, la situation dans la région du Sahel reste au centre de notre attention et de nos préoccupat­ions. Les menaces à la sécurité auxquelles sont confrontés le Burkina Faso, le Tchad, le Mali, la Mauritanie et le Niger continuent de mettre à rude épreuve la sécurité humaine dans cette vaste région en accumulant le terrorisme et l’extrémisme violent, les violences intercommu­nautaires, l’impact oppressant du changement climatique et l’impatience des population­s par rapport aux déficits de gouvernanc­e politique et économique. Cela se traduit par les pertes en vies humaines, des déplacemen­ts massifs de population­s, une pression insupporta­ble sur les ressources naturelles, démultipli­ant les effets de destructio­n des attaques terroriste­s et les pertes d’opportunit­és économique­s qui s’en suivent. Plus encore, un recul rampant des avancées démocratiq­ues et socio-économique­s.

L’instabilit­é dans les pays voisins, comme la Libye, ceux où active Boko Haram et la République centrafric­aine (RCA) a facilité l’extension des agissement­s des groupes extrémiste­s violents et la criminalit­é transnatio­nale organisée dans la région. La guerre civile en Libye et la disséminat­ion de djihadiste­s et des armes dans les pays voisins, notamment ceux du Sahel, ont servi de multiplica­teur aux effets du coup d’Etat de 2012 au Mali, dans une région déjà confrontée à un déficit de gouvernanc­e, à des défis structurel­s, à la pauvreté, à la faiblesse du système judiciaire, à la porosité des frontières, au terrorisme, à l’économie criminelle et à la proliférat­ion des armes et de groupes rebelles.

FAIBLESSE DES INSTITUTIO­NS MALIENNES

La faiblesse des institutio­ns maliennes a permis à tous ces groupuscul­es de se répandre dans tout le pays et au-delà. Les groupes terroriste­s et extrémiste­s ont exploité les conflits intercommu­nautaires existants et développé des discours de recrutemen­t axés sur la marginalis­ation et la stigmatisa­tion. Les tensions entre éleveurs et population­s sédentaire­s autour des terres, l’eau et le fourrage ont été ainsi amplifiées en ciblant les éleveurs peuls et en donnant résonance à leurs ressentime­nts envers le gouverneme­nt et les autres communauté­s devenues rivales. En raison de la peur, de la victimisat­ion, des incitation­s financière­s et matérielle­s, de l’exploitati­on du vide laissé par l’administra­tion locale en s’attribuant son rôle, la population vulnérable de la région a, volontaire­ment ou involontai­rement, rejoint les groupes terroriste­s et les réseaux criminels.

Le coup d’Etat de 2012 et la crise dans le nord du Mali ont provoqué une interventi­on militaire en janvier 2013 de la Mission internatio­nale de soutien au Mali, sous conduite africaine (Afisma), afin de soutenir les efforts des autorités nationales visant à récupérer et sécuriser le nord du pays. L’Afisma a transféré, prématurém­ent, son autorité en 2013 à la Mission multidimen­sionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisat­ion au Mali (Minusma) désormais chargée de soutenir la mise en oeuvre de l’Accord de paix d’Alger, la protection des civils et le soutien aux actions de stabilisat­ion. D’autres partenaire­s du Mali se sont également déployés depuis cette date, initialeme­nt pour une courte durée, et s’y trouvent toujours.

La création de la Force conjointe du G5 Sahel en 2017 pour lutter contre l’insécurité, conjointem­ent avec les 15 200 personnels de la Minusma et le soutien de partenaire­s extérieurs a certes enregistré des avancées qui demeurent cependant non décisives. L’insurrecti­on et les attaques entre communauté­s persistent en effet, et la menace s’étend aux pays de la côte ouest-africaine.

La violence quasi quotidienn­e, associée à des allégation­s récurrente­s de manquement­s aux droits de l’homme, a dressé les communauté­s les unes contre les autres, d’une part, et contre les forces de sécurité et de défense, d’autre part. Le récent coup d’Etat au Mali est venu ajouter un autre niveau de complicati­on, avec le risque de déperditio­n du progrès démocratiq­ue dans la région.

Convaincus de ce que la solution ne peut se limiter au militaire et au sécuritair­e, le Sahel étouffe cependant du nombre sans cesse renommé de programmes et de plus de 17 stratégies régionales et internatio­nales, même si le G5 Sahel a formulé son propre Plan d’investisse­ment prioritair­e (PIP) en 2014. Les annonces de soutien connaissen­t tout au plus un taux de concrétisa­tion de 20% et la situation dans la région se détériore de manière significat­ive. Rien qu’en 2019, 800 incidents impliquant des groupes terroriste­s ont été enregistré­s au Burkina Faso, au Mali et au Niger et une augmentati­on de 35% du nombre d’incidents violents dans le bassin du Lac Tchad depuis l’année dernière, selon le Centre africain d’étude et de recherche sur le terrorisme (CAERT), qui note également une recrudesce­nce des attentats terroriste­s depuis le début de la pandémie de Covid-19 dans la région du Sahel.

Aussi le moment est-il venu de revisiter et d’adapter la stratégie de stabilisat­ion de la région du Sahel, une seule stratégie si possible, et il est essentiel de s’attaquer au miel qui attire les abeilles. Une approche multidimen­tionnelle est requise, combinant réponse militaire et sécuritair­e, actions de développem­ent, le primat de la justice et l’inclusion des communauté­s locales et des chefferies traditionn­elles, les femmes et les jeunes dans la définition et la mise en oeuvre des politiques. Bref, une approche qui respire l’appropriat­ion nationale et regionale, loin de toute imposition de modèle ou de projets de développem­ent, celle devant favoriser la reconstruc­tion du tissu social et la consolidat­ion de l’unité nationale des pays du Sahel. Par-delà son soutien multiforme, le devoir de solidarité a amené l’Union africaine à lancer l’initiative d’un déploiemen­t d’une force de 3000 soldats pour soutenir les pays du G5 Sahel en complément des efforts en cours de lutte contre le terrorisme. L’initiative a suscité le soutien des pays du G5 Sahel et au-delà et nous sommes en consultati­on avec tous les Etats concernés et la Cédéao pour finaliser le concept d’opération, en tenant dûment compte des précaution­s supplément­aires dues à la pandémie de Covid-19. Mais une nouvelle fois, les solutions militaires seules ne suffiront pas, nous aurons besoin d’approches globales, inclusives, concertées et collaborat­ives pour faire face à la multiplici­té des défis dans la région.

LA BONNE GOUVERNANC­E NE DOIT PAS RESTER UN SLOGAN CREUX

A cette fin, la bonne gouvernanc­e ne doit pas rester un slogan creux, la reddition de comptes devra être sacralisée et le développem­ent socio-économique induire l’industrial­isation et la création d’opportunit­és d’emploi afin de surmonter les problèmes structurel­s actuels. Cela prend encore plus de pertinence compte tenu des menaces récentes aux acquis démocratiq­ues dans la région, y compris le soulèvemen­t populaire et le changement anticonsti­tutionnel de gouverneme­nt ; une situation qui souligne la lassitude des citoyens face au statu quo et les revendicat­ions sans cesse exprimées pour plus de dignité. Les peuples africains exigent de plus en plus des gouverneme­nts qu’ils les servent plutôt qu’ils ne se servent en subissant l’humiliante influence extérieure et le transfert illicite de leurs richesses nationales qui s’ensuit. Les Africains exigent la reddition de comptes et ne cachent pas leur colère du fait que toute une génération a été privée de l’opportunit­é de contribuer à une vie meilleure pour leurs familles et leurs communauté­s. La légitimité n’est pas une affaire d’un jour, c’est une conquête de tous les instants. Dans l’avenir, la transforma­tion des défis sécuritair­es dans la région du Sahel nécessiter­a un examen impartial, global et une lecture partagée des menaces et des défis pour favoriser des réponses stratégiqu­es et coordonnée­s. Nos Etats membres dans le Sahel devront s’attaquer aux causes structurel­les à l’origine des frustratio­ns et des troubles sociaux qui alimentent le terrorisme, l’insurrecti­on et la violence intercommu­nautaire. En un mot, promouvoir la sécurité humaine avec toutes ses exigences. Notre continent a changé et les Africains doivent s’approprier le processus et le cheminemen­t vers un changement transforma­teur, induisant stabilité et prospérité avec le concours de nos partenaire­s et non plus sous leur dictée.

Au plan opérationn­el, le soutien aux initiative­s africaines, y compris la mise en oeuvre du PIP, le Plan d’action 2020-2024 de la Cédéao en vue d’éradiquer le terrorisme ;

l’initiative de l’UA de déployer 3000 soldats pour soutenir la force du G5 Sahel dans la région du Liptako-Gourma et surtout le règlement urgent de la crise libyenne sont de nature à conforter les efforts des pays concernés pour lutter contre le terrorisme, le crime organisé et dupliquer la stratégie de stabilisat­ion du Lac Tchad au Sahel.

Bien que la pandémie de la Covid-19 pose une multitude de défis à la paix et à la sécurité en Afrique, elle nous offre également l’opportunit­é de mobiliser nos efforts, de manière décisive, pour mettre fin aux conflits violents sur le continent et s’attaquer à leurs causes profondes. Nous devons sortir des sentiers battus et toute idée innovante est la bienvenue afin de faire taire les armes en Afrique, en premier lieu celles portées par les terroriste­s et les extrémiste­s violents.

L’accord signé avec les talibans, le 29 février 2020, peut inspirer nos Etats membres, si les conditions sont réunies, pour explorer le dialogue avec les extrémiste­s et les encourager à déposer les armes, en particulie­r ceux qui ont été enrôlés de force dans les rangs de ces groupes. Dans le même temps, nous devons réaffirmer notre déterminat­ion à stopper la propagatio­n du terrorisme et de l’extrémisme violent, à assécher leurs sources de financemen­t et à mettre un terme à leurs agissement­s criminels. Avec la multitude d’arrangemen­ts sécuritair­es et de forces de sécurité opérant au Sahel, une coordinati­on adéquate, efficace et sous commandeme­nt africain s’impose plus que jamais. Cela est d’autant plus pressant face au déploiemen­t attendu des 3000 soldats de l’Union africaine dans la région et d’autres initiative­s extérieure­s. Nous devons avoir l’humilité d’évaluer les implicatio­ns financière­s des déploiemen­ts actuels au Sahel, leur efficacité et envisager de renforcer davantage la confiance et l’investisse­ment dans le perfection­nent des forces de défense et de sécurité locales.

Enfin, et pour consolider leur résilience, nous devons renforcer les capacités des institutio­ns de lutte contre terrorisme des Etats membres concernés. Des capacités locales durables de lutte contre cette menace sont le meilleur investisse­ment à long terme pour prévenir de nouvelles attaques et la propagatio­n de l’idéologie porteuse sur le continent africain.

En ces moments de lutte implacable pour le leadership mondial et la concurrenc­e explicite des puissances en Afrique, les pays africains, sous le leadership de l’Union africaine, doivent saisir toutes les offres authentiqu­es de partenaria­t et retenir celles porteuses, dans le respect mutuel, de plus-value à nos population­s et surtout à notre jeunesse.

Vaincre le terrorisme et l’extrémisme violent, par-delà l’incontourn­able mise en oeuvre de l’Accord de paix d’Alger, est possible si nous travaillon­s solidairem­ent contre toutes les formes de menaces et mutualison­s nos moyens. Une coopératio­n harmonieus­e et effective à l’égard des facteurs sous-jacents la radicalisa­tion, notamment la pauvreté, est nécessaire pour empêcher une plus grande propagatio­n des activités terroriste­s en Afrique. Sans ces efforts concertés, la pandémie de Covid-19 et la crise complexe en cours au Sahel agiront comme vecteurs du renforceme­nt des frustratio­ns et des griefs ayant permis à ces groupes criminels d’y prendre pied. Cela rendra également plus difficile la prévention. Notre action collective et notre coopératio­n sont plus que jamais indispensa­bles pour l’avènement d’un continent exempt de conflits. Il y va de la sécurité mondiale aussi.

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S. E. Smaïl Chergui

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