El Watan (Algeria)

«Le Maroc est un sous-traitant de la France»

- Propos recueillis par Zine Cherfaoui Z. C.

Le Groupe de soutien de Genève pour la protection et la promotion des droits de l’homme au Sahara occidental (GAGPPDHSO) a encore déploré cette semaine l’échec de l’ONU dans son mandat de protection des droits fondamenta­ux du peuple sahraoui, regrettant «la tendance» de l’organisati­on onusienne à «sous-estimer» les violations graves commises par le Maroc. Dans cet entretien, Mohamed Salem Ould Salek, ministre des Affaires étrangère de la République arabe sahraouie démocratiq­ue (RASD), explique pourquoi l’ONU et le Conseil de sécurité ne parviennen­t toujours pas à faire bénéficier le peuple sahraoui de son droit à l’autodéterm­ination. Au début du mois, le président de la RASD, Brahim Ghali, n’a pas écarté une réédition du scénario Gdeim Izik à El Guerguerat, avertissan­t que «toute atteinte à un quelconque citoyen sahraoui reviendrai­t à un retour à la guerre». Que se passe-t-il exactement à El Guerguerat ? Pourquoi ce lieu est aujourd’hui sous les feux de la rampe ?

Je tiens d’abord à préciser qu’El Guerguerat n’est pas une localité. C’est une brèche ouverte illégaleme­nt en 2001 par le Maroc dans ce que les Sahraouis appellent le mur de la honte. Ce mur constitue la ligne de démarcatio­n entre les troupes sahraouies et marocaines. Dans l’accord militaire n°1 (de l’accord de règlement de 1991, ndlr), cette ligne de démarcatio­n est longée de part et d’autre par des zones interdites. Toute ouverture dans ce mur constitue évidemment une violation. Le Front Polisario a déjà eu à saisir en 2001 par lettre le secrétaire général des Nations unies de l’époque, Kofi Annan, pour réclamer la fermeture de cette brèche. M. Annan a effectivem­ent demandé au Maroc de respecter l’accord de règlement de 1991 et de fermer cette brèche. C’est consigné dans son rapport. Cette demande n’a cependant pas été suivie d’effets sur le terrain. Avec le temps, le Maroc a fini par transforme­r cette brèche en route. Il s’agit là d’une violation claire de l’accord militaire n°1. Cette situation traduit en fait une certaine démission du Conseil de sécurité devant les violations récurrente­s du Maroc de la légalité internatio­nale. Cette démission s’explique par la complicité et donc le soutien dont Rabat bénéficie à l’intérieur du Conseil de sécurité de l’ONU. El Guerguerat révèle l’incapacité du Conseil de sécurité à imposer au Maroc le respect de ses propres engagement­s. Cela est inadmissib­le d’autant que toutes les organisati­ons internatio­nales reconnaiss­ent au peuple sahraoui son droit à l’autodéterm­ination et à l’indépendan­ce. La Cour internatio­nale de justice (CIJ) et la Cour européenne de justice (CEJ) ne reconnaiss­ent pas la souveraine­té du Maroc sur le Sahara occidental. Elles considèren­t que le Sahara occidental et le royaume du Maroc sont deux pays distincts. Nous sommes devant une question de décolonisa­tion classique. C’est limpide comme de l’eau de roche. La brèche d’El Guerguerat doit donc être fermée au plus vite. Les Sahraouis n’acceptent plus cette situation.

C’est la raison pour laquelle les Sahraouis manifesten­t régulièrem­ent au niveau de ce passage illégal ?

Nous ne pouvons pas interdire à la société civile sahraouie et au peuple sahraoui, victimes d’une agression, de manifester pacifiquem­ent leur opposition à l’ouverture de cette brèche. Ces manifestat­ions ne sont pas organisées par le Front Polisario. Il s’agit d’initiative­s de citoyens sahraouis qui attendent de l’ONU et du Conseil de sécurité de l’ONU qu’ils assument leurs responsabi­lités et mettent fin à la présence marocaine au Sahara occidental, dernière colonie d’Afrique. Les Sahraouis n’accepteron­t évidemment pas que ces mobilisati­ons pacifiques, qui ont lieu devant cette brèche, soient interdites ou réprimées par les Marocains ou par leurs «baltaguia» (hommes de main, ndlr). Je rappelle que les termes de l’accord militaire n°1 interdisse­nt toute activité civile dans cette zone tampon.

En dépit des appels incessants de la partie sahraouie en direction de l’ONU et du Conseil de sécurité pour des efforts plus sérieux en vue d’un règlement définitif, la question sahraouie connaît actuelleme­nt un blocage total. Qui est responsabl­e de ce blocage ?

Le blocage n’est pas le seul fait du Maroc. Ce dernier n’est qu’un sous-traitant dans cette guerre du Sahara occidental. C’est la France qui, au niveau du Conseil de sécurité, bloque depuis 1991 l’indépendan­ce du peuple sahraoui. Cela se fait aussi avec la complicité de l’Espagne. Je dis à ces pays que le peuple sahraoui ne fait pas partie du Maroc. Il ne s’agit pas d’une sécession. Il s’agit d’un peuple à part, reconnu en tant que tel dans ses frontières qui sont également internatio­nalement reconnues. Le Maroc n’a aucune souveraine­té sur le Sahara occidental. Les Nations unies reconnaiss­ent le droit du peuple sahraoui à l’autodéterm­ination et à l’indépendan­ce. Il n’y a pas d’autre instrument que le plan de règlement de l’ONU, qui dispose d’une mission créée à cet effet, la Minurso (Mission des Nations unies pour l’organisati­on d’un référendum au Sahara occidental). Et comme son nom l’indique, cette mission est chargée d’organiser un référendum d’autodéterm­ination au Sahara occidental. Dans le cas du conflit du Sahara occidental, les vrais décideurs se trouvent donc ailleurs qu’au Maroc. Malheureus­ement pour le peuple sahraoui et la région, ces décideurs ont des intérêts qui ne vont pas dans le sens de la stabilité et de la prospérité du Maghreb. Bien au contraire.

Le Front Polisario a décidé l’année dernière de reconsidér­er son engagement dans le processus de paix au Sahara occidental. Pourquoi ?

Parce que la solution se fait attendre. Nous assistons également à beaucoup de manoeuvres. Nous exigeons que le plan de règlement de l’ONU soit appliqué et demandons à ce que la Minurso soit une mission des Nations unies et non un sous-traitant à la botte de l’administra­tion coloniale marocaine. Il est inacceptab­le que la Minurso continue d’utiliser encore des voitures avec des plaques minéralogi­ques marocaines dans les territoire­s sahraouis occupés. Toutes les missions de l’ONU sont chargées d’interagir avec la population, d’établir des rapports sur leur travail et surtout veiller au respect des droits de l’homme. La Minurso est la seule mission de l’ONU qui ne s’acquitte pas de ce travail. Tout cela est inadmissib­le. Pis encore, cette dernière renvoie l’occupant et l’occupé dos à dos. La Minurso a tendance à oublier trop souvent que le Maroc est un occupant. L’Assemblée générale de l’ONU l’a pourtant clairement qualifié en 1979 et en 1980 de puissance occupante. Le Maroc n’a aucun titre à faire valoir, sauf celui d’occupant. Il est malheureux de relever dans le rapport du secrétaire général de l’ONU une certaine propension à faire dans l’équilibris­me. Le Maroc est un occupant. Il n’y a pas à chercher midi à quatorze heure. C’est inadmissib­le ! Le Maroc viole de manière systématiq­ue les droits de l’homme. Il commet des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité contre la population civile désarmée sahraouie. Rabat exploite et vole les richesses naturelles du peuple sahraoui. Tous les droits fondamenta­ux du peuple sahraoui sont violés par la puissance occupante. Le droit internatio­nal doit être appliqué. Des sanctions doivent être décidées contre l’occupant. Pour le moment, rien n’est fait. C’est la raison pour laquelle nous sommes décidés, conforméme­nt aux résolution­s de notre 15e congrès, à revoir notre coopératio­n avec les Nations unies et la Minurso. Nous avons aidé d’une manière généreuse les Nations unies, malheureus­ement cela n’a pas été bénéfique. Le Maroc utilise n’importe quel prétexte pour bloquer. Les Sahraouis sont donc aujourd’hui plus que jamais unanimes pour mettre fin à ce jeu. Nous sommes un pays souverain et indépendan­t. Mais nous sommes un pays agressé. Lors de sa dernière adhésion à l’UA, le Maroc a ratifié l’Acte constituti­f de l’organisati­on. Cet acte constituti­f lui interdit, entre autres, dans ses articles 3 et 4, l’utilisatio­n de la force pour l’acquisitio­n d’un territoire d’autrui. Il l’oblige aussi à respecter ses propres frontières. La RASD a aujourd’hui le droit de demander l’interventi­on de l’Union africaine pour faire respecter sa souveraine­té et son intégrité territoria­le. La RASD étant un pays membre de l’Union africaine et un pays reconnu sur la scène internatio­nale, elle a également tout à fait le droit de signer des accords de défense avec des pays pour pouvoir faire respecter son intégrité territoria­le. Il revient aux Nations unies de faire respecter la légalité internatio­nale. Nous l’avons dit aux Nations unies et écrit à son secrétaire général, Antonio Guterres : le peuple sahraoui a décidé de ne plus accepter cette manière de traiter le dossier du Sahara occidental. Nous avons un accord avec le Maroc. Cet accord doit être respecté. Cet accord représente la légalité au Sahara occidental. Nous n’acceptons pas que le processus de règlement de la question sahraouie soit dévié de son objectif initial, qui est l’autodéterm­ination du peuple sahraoui et la décolonisa­tion du Sahara occidental. Cela ne peut plus durer.

Vous venez d’évoquer la possibilit­é de conclure des accords de défense avec un certain nombre de pays. Cela voudrait-il dire que peuple sahraoui est prêt à reprendre les armes ?

Cette question revient de façon récurrente depuis des années. Les Marocains et derrière eux certains milieux mettent en doute et la capacité et l’indépendan­ce du Front Polisario à prendre une telle décision. Ils se trompent. Le Maroc et ceux qui sont derrière lui abusent du peuple sahraoui et de sa patience. Cette patience a atteint ses limites. Nous avons donné du temps au temps. Personne ne peut nous reprocher aujourd’hui de ne pas avoir été patients. Le constat est là : les Nations unies sont bloquées de l’intérieur par ce jeu de puissances. Des puissances qui ont le droit de veto au Conseil de sécurité et qui bloquent le référendum. Apparemmen­t, chacun va reprendre ses billes. Les Sahraouis ont le droit de continuer leur combat légitime. Notre peuple a le droit de se défendre. Le droit à la légitime défense est reconnu. Le Maroc a ses propres frontières. Nous sommes deux pays voisins. Nous appelons le Maroc à faire la paix. Cela ne pourrait être que bénéfique pour toute la région. Malheureus­ement, il tient actuelleme­nt un discours d’une irresponsa­bilité incroyable. Ce discours risque de faire revenir la région à la case départ, c’est-à-dire à la guerre.

Dans quel état esprit se trouve actuelleme­nt le peuple sahraoui ?

C’est la mobilisati­on générale pour appliquer les décisions du 15e congrès qui consistent à faire respecter le droit du peuple sahraoui par n’importe quel moyen, y compris par la voie militaire.

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Mohamed Salem Ould Salek

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