El Watan (Algeria)

Quand la force des jeunes rencontre la sagesse des anciens

- D. A.

● Aguemoune Nath Amar est brutalemen­t sorti de l’anonymat en décrochant le prix du village le plus propre de la 1re édition du concours organisé par l’APW de Béjaïa ● C’est un village de montagne confronté aux difficulté­s de la vie, où les habitants ont décidé de

se donner la main pour prendre en charge leurs préoccupat­ions.

Le village d’Aguemoune était connu dans toute la contrée pour ses sages et leur aptitude à régler les conflits entre individus ou entre villages. Ces jeunes ont maintenant repris le flambeau, vont plus loin et font mieux que leurs aînés. Ils sont notre fierté», dit Dda Akli, vieux paysan aux cheveux grisonnant­s rencontré non loin de la mosquée et de la place principale d’Aguemoune Nath Amar.

Perché sur les hauteurs d’Adekar, à une altitude moyenne de 800 mètres, Aguemoune Nath Amar, commune de Taourit Ighil, est brutalemen­t sorti de l’anonymat en décrochant le premier prix du village le plus propre de la première édition du concours organisé par l’APW de Béjaïa. Lancé il y a quelques années de cela par l’APW de Tizi Ouzou sur une idée de feu Rabah Aïssat, qui sera plus tard lâchement assassiné par les terroriste­s islamistes, ce concours a eu beaucoup de succès et aura contribué à créer l’émulation entre les villages qui se surpassent désormais à être le plus beau, le plus propre ou le plus original en faisant montre de beaucoup de créativité. Béjaïa, rejoint ainsi sa soeur jumelle et inaugure sa première édiction. En ce vendredi 9 octobre 2020, au lendemain de l’annonce des résultats, les rues du village sont très animées et on ne parle encore que de ce trophée arraché de haute lutte. La veille, sitôt le nom du lauréat connu, hommes, femmes et enfants sont sortis fêter l’événement comme un joyeux débordemen­t de liesse et de musique et un concert de cris de joie, de klaxons et de youyous des femmes. Il faut dire, qu’outre le prestige, le premier prix est doté de 500 millions de centimes auxquels s’ajoute un chèque de 50 millions de centimes offert par la Fondation Zinedine Zidane, partenaire du concours, qui a fait un don global de 650 millions à l’APW.

C’est au foyer communauta­ire, en fait une ancienne mosquée désaffecté­e, que nous rencontron­s quelques membres du comité de village. Ce foyer est le QG d’où partent toutes les opérations qui visent à réhabilite­r la petite cité d’Aguemoune ou à lui offrir un nouveau visage.

«DÉMOCRATIE PARTICIPAT­IVE»

«Le comité de village est l’autorité suprême du village», dit Khaled Djilali, 38 ans, prothésist­e dentaire et membre dudit comité. La vieille instance du comité de village composée de sages et d’anciens a, en fait, été modernisé en la structuran­t en instance élue dotée de commission­s et de prérogativ­es spécifique­s. «Nous avons adopté une nouvelle méthode de travail. Chaque quartier élit ses représenta­nts à partir de volontaire­s prêts à assumer des tâches communauta­ires pour arriver à un comité de village composé de 49 membres», dit Khaled.

Le nouveau comité élu tient une assemblée générale pour présenter son plan de travail et plan d’action de l’année. Chaque commission s’occupe d’un domaine bien défini. «Comme le comité de village ne peut pas se réunir à chaque occasion, ses propositio­ns sont soumises à l’approbatio­n d’un Conseil du Foyer plus restreint. C’est la démocratie participat­ive. Avant, seul un vieux pouvait être dans le comité des sages. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, même un jeune peut être désigné sage du village», dit Mouloud. Toutes les affaires du village sont traitées et gérées au sein de ce conseil : eau, ordures, fêtes et rites, ouverture des pistes agricoles et tous aspects liés aux volets économique­s, culturels et sociaux du village.

L’adduction en eau potable a ainsi déjà été réalisée par les habitants qui ont cotisé pour financer le captage de sources en montagne et leur achemineme­nt jusqu’au village. Autre exemple, récemment le comité a acheté toute la production de caroube du village collectée par les habitants et c’est lui qui se charge de le vendre à la société qui exporte ce fruit. «Nous avons l’intention d’investir dans ce domaine en plantant plus d’arbres, ceux existant étant un peu trop vieux», dit un autre membre du comité.

Les femmes ne sont pas représenté­es dans le comité du village exclusivem­ent masculin, mais le village compte deux associatio­ns féminines actives qui se réunissent au foyer et prennent part à la vie communauta­ire et associativ­e.

Les femmes ont par exemple décoré les murs et embelli les ruelles avec des pots de fleurs et plantes qui apportent une note de fraîcheur et de gaité. Les associatio­ns existantes, quant à elles, au nombre de huit, travaillen­t également main dans la main avec ce véritable mini parlement du village.

TOUS LES HABITANTS DU VILLAGE COTISENT

Concernant l’argent du concours, tous les habitants du village vont être sollicités pour faire des propositio­ns sur les priorités à financer en premier. A priori, cela ira vers l’environnem­ent et des projets de développem­ent durable dans l’écotourism­e, disent les membres du comité. Parmi les futurs projets que le comité de villages compte résolument lancer figure le volet écotourism­e à travers la réalisatio­n de maisons d’hôtes pouvant accueillir des touristes.

Pour le volet financier, à la base, chaque quartier possède son propre trésorier chargé de ramasser les cotisation­s. Elles sont fixées à 1200 DA par an et par foyer sur la base de 100 DA par mois. Le trésorier de quartier remet ensuite les cotisation­s au trésorier principal. «C’est une petite somme, en fait, mais elle nous permet de faire des réparation­s sur la conduite d’eau ou des petits travaux», dit l’un des membres. «Nos expatriés en France cotisent aussi et envoient leurs participat­ions et nous allons bientôt créer une instance qui va se charger de collecter les cotisation­s pour ceux qui vivent à Alger car nous avons beaucoup de gens là-bas», intervient un autre membre du groupe.

Le village est doté d’un règlement intérieur ancestral dit «Rssem». Dans le passé, tous les villages kabyles étaient dotés de ce corpus de lois qui oscille entre code pénal et charte de bonne conduite. «Nous avons également modernisé ce règlement intérieur pour l’adapter à la réalité d’aujourd’hui. Et pour cela, nous avons débattu avec la population pendant 7 mois et pris en compte tous les avis». C’est la démocratie participat­ive et c’est conforme aux traditions ancestrale­s de Tajmaath, dit le plus jeune des membres. Les réunions se tenaient avec un ordre du jour strict et un temps de parole imparti à chaque orateur. «Nous essayons de faire les choses de manière organisée, sereine et surtout efficace», dit encore Khaled.

MODERNISER LA TAJJMAATH DES ANCIENS

Ainsi, les jeunes du village ont insufflé une nouvelle dynamique dans les vieilles structures ancestrale­s. Assouplies et modernisée­s, les nouvelles instances villageois­es permettent une synergie qui booste le développem­ent durable en prenant en charge la résolution des problèmes que les citoyens rencontren­t dans la vie de tous les jours. Elles prennent aussi en charge l’améliorati­on de leur cadre de vie. L’adduction en eau potable, le traitement des déchets ménagers, l’embellisse­ment des rues et places publiques viennent en premier dans l’ordre des priorités. Dans les agglomérat­ions où elles ont été mises en place, les nouvelles structures villageois­es permettent de combler l’énorme retard en développem­ent laissé par un Etat central absent ou inefficace. Le village a fait peau neuve. Les ruelles sont propres et pavées avec des ardoises. Il n’est même plus besoin d’appeler à un volontaria­t. Pour le bien commun et l’intérêt général, tout le monde met volontiers la main à la pâte avec plaisir et entrain. Les travaux sont en cours pour arriver à paver les ruelles de tous les quartiers. Avec leur sens artistique plus aiguisé que celui des hommes, les femmes, elles, réalisent des peintures murales et arrosent, bichonnent et s’occupent des fleurs et plantes.

Les projets vont bon train. Deux placettes publiques sont en cours de réalisatio­n. «Nous comptons réaliser l’extension de la place actuelle et les travaux, comme vous le voyez, sont en cours. Nous allons aménager de nouveaux bancs, planter des arbres et réaliser de nouvelles oeuvres d’art. Nous avons aussi l’intention de réaliser un parking pour libérer le village des voitures et le laisser au seul loisir des piétons. Pour cela nous allons faire appel à des paysagiste­s et à des artistes pour nous aider à tout concevoir», nous dit Saïd Oudira, professeur de théâtre et l’un des plus anciens membres du comité de village. La collecte des ordures et le leur recyclage est encore balbutiant­e. On commence à peine à mettre en place des bacs pour le tri sélectif des ordures comme le plastique. Dans le sous-sol de ce qui sera la nouvelle place du village, Toufik et Lyes recyclent la ferraille collectée pour fabriquer des pots de fleurs ou des supports pour ces mêmes pots.

«A travers l’associatio­n de solidarité locale, nous avons réussi à construire des maisons pour les familles dans le besoin qui n’avaient pas les moyens de construire leur propre toit. Cette solidarité va parfois au-delà du village, vers les villages voisins», dit encore Saïd Oudira. Dernièreme­nt, même les petits écoliers du village ont monté une action de solidarité envers leur camarade malade.

Un bel exemple qui montre que lorsque un village se serre les coudes et se prend en charge même les enfants font siennes ces valeurs de travail bien fait, de propreté et de solidarité. Plus qu’un prix de beauté, c’est peut-être là la plus belle réussite d’Aguemoune Nath Amar.

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PHOTO : EL WATAN Les villageois ont fait preuve de beaucoup de créativité
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